Yvan Martial : « Que Bhadain cesse de badiner ! »

La passation de pouvoirs du père au fils ne l’émeut guère. Et pourquoi devrait-il l’être quand il en a déjà vu toutes sortes de girouettes politiques dans le passé. Par contre, Yvan Martial ne mâche pas ses mots envers Roshi Bhadain. « Pourquoi découvre-t-il aussi tardivement qu’une passation de pouvoirs premiers ministériels papa-piti, qu’il porte depuis si longtemps sur les fonts baptismaux, devient subitement, au Jour J et à l’Heure H, une entorse à cette Bonne Gouvernance, qui semble bien moins l’intéresser que les Finances nationales ? », s’interroge cet observateur politique averti…

  • « Nos alliances électorales même contre-nature, commencent souvent avec des majorités des trois quarts pour terminer piteusement sur les rotules ».

 

Q : Alors que tous les yeux étaient braqués sur Pravind Jugnauth à la cérémonie de prestation de serment lundi dernier, c’est finalement Roshi Bhadain qui a volé la vedette au nouveau Premier ministre. Comment interprétez-vous cette stratégie de l’ancien ministre de la Bonne Gouvernance ?

R : J’ignore si Roshi Bhadain comprend ce qu’il a fait lundi dernier. S’il le comprend, il peut bien en être le seul. Des rumeurs d’arm twisting expliqueraient de précédents crossing the floor inexplicables. Espérons que tel n’est pas présentement le cas.

« Les yeux braqués sur la prestation de serment et passation de pouvoir papa-piti », dites-vous. Uniquement pour ceux se voulant voyeurs braqueurs. Des Mauriciens avaient heureusement mieux à faire. Le journal-télévisé-marathon et ô combien braqueur leur a suffi. Nous compatissons avec les invités condamnés à participer à cette corvée, devant marquer leur présence. Difficile pour nous de comprendre l’ire de ceux partant prématurément, faute de places réservées. Il y avait pourtant des places inoccupées par M. et Mme Roshi Bhadain.

A en croire les images de notre Ministers Broadcasting Corporation, des amis de Pravind ont voulu que son sacre n’ait rien à envier à celui de Napoléon et de Joséphine. Ils ont heureusement pu se montrer enthousiastes et exubérants pour dix. Chacun se réconforte comme il peut. Qui nous en dira le coût de cette mobilisation à la spontanéité suspecte ?

Roshi a incontestablement brillé par son absence. Cela nous change de ses interminables interventions télévisées. Nous le regretterons. Lui au moins sait parler brillamment pendant des heures, de vive voix, sans l’aide de notes, de discours préparés par des nègres de service, de prompteurs-ping-pong, dix mots à droite, dix mots à gauche et ainsi de suite.

 

Q : L’accession de Pravind Jugnauth au poste de Premier ministre a eu lieu sur fond de contestation de part et d’autre. Arrivera-t-il, selon vous, à gouverner dans la sérénité durant les trois prochaines années ?

R : Contestations de part et d’autre, mais ô combien stériles. A désespérer des partis politiques se vantant de représenter chacun 40% des suffrages, mais qui moisissent dans caro cannes, incapables qu’ils sont à faire élire un conseiller municipal.

Pravind n’a nul besoin de sérénité pour gouverner. Sa majorité parlementaire de 42 voix ou plus devrait lui suffire amplement. Nous avons connu des gouvernements plus souffreteux s’offrant le luxe d’aller au-delà du mandat légal. Chacha Ramgoolam, par exemple, avec une majorité initiale de seulement deux voix, s’est accordé, en frisant l’illégalité, une prolongation d’un bon semestre en 1981-82. Il avait même triomphé, mais tout juste d’une contestation boohdooiste, comprenant jusqu’à une dizaine de boolellistes. La transfusion avait alors atteint, il est vrai, des sommets. Bhai Anerood a aussi connu de difficiles fins de mandats parlementaires, comme en 1983, 1986, 1990, 1995 et 2017.

Nos alliances électorales même contre-nature, commencent souvent avec des majorités trois quarts pour terminer piteusement sur les rotules. Réjouissons-nous car une sérénité gouvernementale avec une majorité des trois-quarts possiblement abusive peut friser la dictature et le bolchevisme.

 

Q : N’est-il pas étonnant que Roshi Bhadain vienne dire que la passation de pouvoir entre Saj et Pravind Jugnauth viole les principes de bonne gouvernance alors qu’il avait déjà lui-même cautionné cette démarche ?

R : Cette passation de pouvoir entre les Jugnauth, père et fils, qui fait la une de l’actualité depuis plusieurs mois, peut surprendre seulement les imbéciles n’ayant jamais prévu qu’à n’importe quel moment un Premier ministre, âgé de 84 ans, pouvait déléguer en grande partie ses pouvoirs premiers ministériels au leader du parti majoritaire à l’Assemblée nationale, parti se trouvant être à la fois celui qu’il a fondé en avril 1983, le MSM, et dont le leader est son fils. Si cette évidente succession prétendument dynastique offusque certains, dont Roshi Bhadain, ils auraient dû l’être depuis que Bhai Anerood s’est retiré de la politique active pour devenir notre Président de la République en 2003 et depuis qu’il avait confié la direction du MSM à son fils. Même le MMM de Monsieur Bérenger ne s’était pas offusqué de cette succession dynastique à la tête du MSM. Que dire alors de Roshi Bhadain prenant place, longtemps après, dans ce train partisan orange ? Le phénomène de fils-à-papa affecte maintenant notre vie politique après avoir fait les beaux jours des principales firmes de notre libre entreprise. Je ne connais pas de cas, à ce jour, de fils à papa, succédant à son géniteur à la tête d’un important conglomérat économique, à avoir attiré les foudres de défenseurs de bonne gouvernance. Pourquoi cela serait-il le cas dans un parti politique, surtout au sein d’un MSM financé en partie par un « Sun Trust » dirigé, nous le savons, par la famille Jugnauth,  Ashok non compris et incompris ? Quoi de plus risible qu’une association de fils-à-papa politique protestant contre la passation de pouvoir papa-piti au Bureau du Premier ministre ? Soyons sérieux ! Tout fils de Bhai Anerood et de Lady Sarojini qu’il peut être, Pravind, notre  tout nouveau Premier ministre, devra affronter de nouveau l’électorat mauricien, en 2019 ou avant. Nous, électeurs mauriciens, déciderons alors de plébisciter ou non la passation de pouvoir papa-piti ou de confier le gouvernement de notre pays à d’autres personnes, y compris d’autres fils-à-papa politiques, parce que nous voulons bien donner un plus à tout politicien jouissant déjà d’un patronyme politique déjà connu et célèbre et n’ayant qu’un prénom à nous imposer s’il en est capable. Il reste à Roshi Bhadain de nous expliquer pourquoi découvre-t-il aussi tardivement qu’une passation de pouvoirs premiers ministériels papa-piti, qu’il porte depuis si longtemps sur les fonts baptismaux, devient subitement, au Jour J et à l’Heure H, une entorse à cette Bonne Gouvernance, qui semble bien moins l’intéresser que les Finances nationales ? Tout cela paraît en effet cousu de fil blanc. Roshi Bhadain doit être plus sérieux s’il veut nous convaincre, non de sa bonne gouvernance, mais de sa bonne foi.

 

Q : Doit-on être choqué et inquiet quand on entend dire qu’il y a une mafia qui gravite autour de l’Hôtel du gouvernement ?

R : Nous avions des parle-mentère. Nous aurons peut-être des ministres menteurs. Nous surprendre devient de plus en plus difficile. Nous avons déjà vu de toutes les couleurs. Par balle même ! Trop de Mauriciens, y compris des journalistes et non des moindres, s’entêtent à prendre au sérieux des politiciens n’ayant pas plus de stabilité qu’une girouette. Voilà un ancien muet du sérail qui retrouve subitement, miraculeusement, puisqu’on veut nous gargariser de nouveau miracle économique, la parole, pour nous révéler qu’une mafia cancérise l’Hôtel du gouvernement. L’on voudra bien me pardonner d’attendre plus amples précisions, avant de commencer à m’inquiéter. J’ai précédemment connu des gouvernements marchant à coups de transfusion politique (PTr de 1969 à 1982), d’autres invitant des barons de la drogue à la garden-party à Réduit, ou hantant les couloirs du Pouvoir, en arborant de grosses enveloppes bourrées de billets de banque. Nous avons connu des députés, prenant l’avion comme nous prenons l’autobus, participant à de mystérieux forums internationaux à Amsterdam, entre la Noël et la fin d’année, d’autres charroyant de valise rouge d’héroïne. Nous avons connu des gouvernements survivant à une motion de défiance grâce à des voix mafieuses. Que dire d’épouse de receveur d’autobus empêchant un futur ministre à la prendre en photo et voulant interdire à nos journaux de parler d’elle et de sa fille ? Nous survivrons, je l’espère, à une simple allégation presque ministérielle de menace mafieuse contre le régime bananier en place.

Aurais-je été Commissaire de police que j’aurais déjà donné des instructions pour en savoir davantage. De quelle mafia parle Bhadain ? Qui en sont les membres ? Où résident-ils ? Où travaillent-ils ? Comment menacent-ils un gouvernement naissant ou presque ? Ont-ils des connexions en dehors du « Bell Boy » ? Je promets d’accorder l’attention la plus grande à tout communiqué, même rassurant, des Casernes centrales à ce sujet. En attendant, qu’on me permette de dormir sur mes deux oreilles.

 

Q : Bhadain soutient avoir des dossiers contre plusieurs membres du gouvernement. Ne se rend-il pas complice de cette mafia en ne les rendant pas publics ?

  • Nous avons une opposition désunie, atomisée…Toute aversion à l’égard de coffres-forts bourrés de mystère nous rapproche du régime papa-piti

R : Sans être un féru d’activités mafieuses, je crois savoir que toute vraie mafia ne menace jamais. Elle agit. Elle nous met devant le fait accompli. J’ai souvent exprimé mon admiration pour le gouverneur A.P. Phayre (1874-78), pour mieux ridiculiser nos gouvernements « nou-pou-faire ». Faites-les ! Après quoi, nous vous jugerons sur vos réalisations. Nous n’avons que faire de vos promesses si souvent mensongères.

Notre opposition ne vaut guère mieux. Qui a oublié la célébrissime menace : Mardi je fais éclater une bombe politique au Parlement ?! Résultat : Plates excuses au Premier ministre, accusé à tort d’avoir prémédité mort d’homme.

Que Bhadain cesse de  badiner. S’il détient des dossiers compromettants contre tel ou tel ministre, qu’il les dévoile en plein jour ou qu’il se taise. Nous en reparlerons mais seulement en connaissance de cause… Si ses prétendus dossiers valent quelque chose.

 

Q : Le rôle du ‘Mentor Minister’ n’équivaut-il pas finalement à celui d’un ‘Senior Advisor’ ?

R : Commençons par le « senior advisor ». J’ai connu une époque plus heureuse quand un ministre se contentait de surveiller le fonctionnement de son ministère. Pour nous journalistes, les secrétaires permanents étaient, sauf quelques notables exceptions,  plus importants et influents que leurs ministres. Quelques exemples : Dayendranath Burrenchobay s’imposant à Seewoosagur Ramgoolam, Frank Richard tolérant Kher Jagatsingh, Benoît Arouff disant à Basant Rai ce qu’il convient ou non de faire. Pyndiah ne se laissant pas conter, ni compter, par Nadesse Ringadoo. Roby Honoré et Armand Maudave n’hésitaient pas à tenir tête à Gaëtan Duval, jusqu’à ce que ce dernier avoue avec son humilité, intelligence et compétence hors du commun : « Sorry, Coco, je comprends après coup que tu avais raison et que tu m’as empêché de faire une couillonnade ». Mais n’est pas Gaëtan qui veut.  J’accuse pourtant le même Gaëtan d’avoir créé de toutes pièces la farce des attachés de presse. Il l’a toutefois fait par générosité pour dépanner un journaliste en chômage. Avant ce premier attaché de presse, nos ministres pouvaient se prévaloir d’un excellent Bureau de l’Information que la presse écrite respectait parce qu’il était capable de lui fournir quelques nouvelles gouvernementales crédibles intéressant ses lecteurs au plus haut point. Si l’armée des attachés de presse ayant suivi ce premier protégé de Gaëtan Duval valait quelque chose, cela se saurait. Ce virus cancérise nos médias depuis. Il bâillonne les journalistes que cette carotte fait saliver.

J’ai connu des ministres n’ayant nul besoin de conseillers spéciaux ou ordinaires. Quand ils avaient besoin d’un conseil, ils savaient à qui s’adresser même hors fonction publique, sans devoir puiser dans la poche du contribuable pour rémunérer ce bon conseiller d’occasion. Il était question, il est vrai, des intérêts supérieurs du pays et non d’intérêts particuliers privés et occultes. Accuser quelqu’un d’être de bon conseil relèvera bientôt de la diffamation.

Un ministre Mentor a l’avantage sur un conseiller même spécial d’être au …cabinet avec ses collègues. Il peut intervenir à un moment davantage …décisionnaire. Je parle toujours des intérêts supérieurs du pays et non pas de combines occultes. Ce ministre Mentor, sans portefeuille ou presque mais pas sans défense, permettra à Bhai Anerood d’échapper à un double écueil : une possible funeste élection partielle en cas de démission parlementaire ou l’humiliation de siéger en backbencher après 18 ans comme Premier ministre et neuf ans comme Président de la République. J’appréhende seulement pour Bhai Anerood la proximité entre mentor et menteur. Mais ministre sans portefeuille, comme Jules Koenig en 1963, aurait-il été plus crédible ?

 

Q : Le PTr et le PMSD se sont mobilisés vendredi contre le ‘deal papa-piti’. Croyez-vous que les partis de l’opposition puissent éventuellement s’unir pour faire tomber le gouvernement ?

R : Je vous ai déjà dit de ce que je pense de fils-à-papa politiques s’insurgeant contre la passation de pouvoir entre Jugnauth père et fils. C’est vrai qu’ils s’entendent mieux que moi en matière de filiation dynastique. N’a pas le sang bleu qui veut. Pour faire tomber un gouvernement en place, il faut disposer, même occasionnellement, d’une majorité parlementaire. Cela n’est pas impossible car même le bolchévisme s’effrite. Il n’y a plus que Trump à vouloir s’entêter d’ériger, aujourd’hui encore, des murs de la honte, d’un océan à l’autre. C’est dire qu’il y a des électorats encore plus misérables que les nôtres. Nous craignons maintenant que ceux de la France  plébiscitent Marine Le Pen. May be…, comme dit de plus en plus la Perfide Albion. Nous en reparlerons quand se profilera à notre horizon parlementaire quelque chose ressemblant à une menace de renversement d’un régime peut-être bananier, mais pouvant toujours recourir au cancer de la transfusion.

N’oublions pas que nous avons une opposition désunie, atomisée…Toute aversion à l’égard de coffres-forts bourrés de mystères nous rapproche du régime papa-piti. N’oublions pas cet air d’opérette : « Sans mon soleil, meurent les cœurs… »

 

Q : Le parti que compte créer Bhadain pourra-t-il représenter une alternance aux partis politiques existants ?

R : Bhadain veut créer un parti…So what ? Comme on le dit au CEB de Collendavelloo…Qui ne veut pas créer un parti ? SON parti ? Qui n’aspire pas à en être le leader et même le Premier ministre en cas, bien sûr, de victoire électorale ? Gagner une élection n’est rien. Faut-il pouvoir encore obtenir la collaboration compétente, efficace et fructueuse de notre fonction publique. Nous en reparlerons quand Bhadain aura créé son parti. Quand il réussira à faire élire des députés, sans aucune béquille électorale. À ce jour, je ne connais que Jugnauth, Ramgoolam, Bérenger, Boodhoo, presque Hurdoyal (No 9), pas même Bizlall, à pouvoir le faire. Même Bissoondoyal n’a pu le faire en 1976, à Rose-Belle. Déjà ce refus d’opposants à « pèse nénez, boire dé l’huile », « marié piqué », pour vaincre l’adversaire du jour. Le succès, la victoire, en matière d’élections est davantage affaire de rassemblement d’éléments que tout oppose que d’atomisation à l’infini d’opposants de tous poils. Si nous ne prenons pas garde, nous aurons bientôt une majorité de députés indépendants ne sachant même plus s’ils sont du côté du pouvoir ou de l’opposition parlementaire. Est seulement crédible le politicien capable au pied levé de rassembler quelques milliers de personnes à un meeting improvisé même sur une caisse de savon et sans micro, au coin d’une rue. Les autres sont des camarades rêveurs, de salon de surcroît. Ils ne valent pas mieux que moi. Jusqu’à preuve du contraire, les réseaux sociaux peuvent aussi être une masturbation intellectuelle et même politique. Croyez-moi, il y a loin de la coupe aux lèvres, du rêve à la réalité, du parti politique en Espagne à un maroquin ministériel. Il y a du vrai dans le dicton créole : « Ene ti lichien vaut mieux que dé ti lérats ». Bonne chasse, Roshi !