Workers’ Rights Bill : Satisfaction des syndicats, appréhensions du patronat

Le Workers’Rights Bill vient apporter de nouvelles modifications majeures dans les lois du Travail du pays. Il a été présenté par le ministre du Travail et des Relations industrielles, Soodesh Callichurn, à l’Assemblée nationale le mardi 6 août. L’objectif de cette loi : remplacer l’Employment Rights Act de 2008 par un cadre législatif moderne qui va pallier aux lacunes existantes. En outre,  la nouvelle loi vise les secteurs émergents en garantissant une meilleure sécurité d’emploi pour les travailleurs et la promotion du développement durable. Si les syndicalistes voient là une avancée pour la protection des travailleurs, les chefs d’entreprise ont exprimé des craintes quant à l’impact de la loi sur les entreprises, surtout les PME et sur l’économie en général.

Les principales provisions de la nouvelle loi

  • Élimination de la discrimination

Le projet de loi vise à protéger davantage les travailleurs contre toute forme de discrimination en élargissant la définition de ‘discrimination’, y compris un traitement différencié pour les travailleurs qui effectuent le même travail au sein d’une filiale ou de la société mère d’une entité quelconque.

  • La précarité d’emploi

Le Workers’ Rights Bill vise à protéger les travailleurs contre la précarité d’emploi, notamment en restreignant les contrats à durée déterminée  pour des travaux de nature temporaire.

  • Le travail ‘atypique’

Le projet de loi vise aussi à donner à une personne qui effectue un travail ‘atypique’, tel que le travail sur une plateforme en ligne, le statut de travailleur.

  • Protection contre les accords contraignants au détriment des travailleurs

La nouvelle loi prévoit que les accords ou autres compromis entre la direction et un travailleur soient approuvés par le représentant juridique du travailleur, son syndicat ou un représentant du ministère du Travail pour une meilleure protection des travailleurs si ceux-ci sont contraints de signer un accord à leur détriment.

  • L’introduction du ‘flexitime’

Le projet de loi vise à réconcilier le travail et la vie de famille en mettant sur une base juridique des modalités de travail plus flexibles, telles que des horaires en ‘flexitime’.

  • Une protection contre le non-paiement des salaires

Le Workers’ Rights Bill prévoit le recours à un ‘protective order’ pour garantir la rémunération des travailleurs, y compris pour un versement anticipé à partir d’un ‘Wage Guarantee Fund Account’ quand un employeur omet de payer promptement.

  • Allocations de maternité

Les prestations de maternité seront étendues à toute mère qui adopte un enfant de moins d’un an.

 

  • Congés

Les conditions de travail de base seront harmonisées, notamment par rapport aux congés.

  • Mise sur pied d’un ‘Redundancy Board’

La loi vise à offrir une meilleure sécurité d’emploi par la mise en place d’un ‘Redundancy Board’.

  • Le ‘retirement gratuity’

Les travailleurs auront un ‘retirement gratuity’, en fonction du nombre d’années comme salarié, et sans tenir compte du nombre des différents employeurs.

  • La violence sur le lieu du travail

La violence sur le lieu du travail sera combattue plus efficacement car l’employeur sera désormais tenu pour responsable, dans certaines circonstances, des actes commis par un travailleur sur un collégue ou autre personne.

RÉACTIONS

Business Mauritius : « Une loi qui n’est pas assez réfléchie » 

Business Mauritius, dans son communiqué de presse du samedi 3 août 2019, avait fait savoir que le Workers’ Rights Bill n’est pas assez réfléchi. Pour l’organisme, il est essentiel de procéder à de véritables consultations techniques ainsi qu’à un « Regulation Impact Assessment », qui est une évaluation systématique des incidences économiques, sociales, et autres de cette loi. Il est donc important, d’après Business Mauritius, de ne pas se précipiter vers des objectifs à court terme qui pourraient ne pas être durables.

Business Mauritius a auss prévenu dans d’autres communiqués que les provisions relatives aux contrats de travail à durée déterminée (CDD), ainsi qu’à l’emploi de sous-traitants (job contractors), pourrait amener des licenciements conséquents dans les secteurs de la construction et de l’agro-industrie, due à une forte réduction de l’utilisation de sous-traitants dans ces secteurs. Cela pourrait mettre sérieusement en péril plusieurs PME dans cette industrie. Similairement, dans le secteur du BPO où les contrats aménagés sont de norme internationale, Business Mauritius est d’avis que la rigidité de la nouvelle loi pourrait faire drastiquement baisser l’attractivité et la compétitivité de Maurice, car c’est une industrie où les opérateurs recherchent le « ease of doing business ».

Pradeep Dursun, COO de Business Mauritius : « L’absence de consultation laisse à désirer » 

Pradeep Dursun, le ‘Chief Operating Officer’ de Business Mauritius, tient à dénoncer d’emblée le manque de consultation sur ce projet de loi capital. « Quand il s’agit des lois du travail, il doit y avoir des consultations approfondies, car ces lois ont un impact significatif sur l’économie et la population en général. Dans le cas du Workers’ Rights Bill, les consultations étaient très minimes. Or, c’est important d’avoir des consultations entre toutes les parties prenantes. Aussi, comme ‘best practice’, il aurait dû y avoir un ‘Regulation Impact Assessment’. » Selon lui, « L’évaluation des impacts économiques et sociaux est importante ».

Concernant le ‘Portable Retirement Gratuity Fund (PRGF)’, Pradeep Dursun se dit être en faveur d’une telle mesure, car les aînés auront un plan de retraite adéquat. « Il est vrai qu’il y a déjà des plans de pension privés mais ce PRGF prendra en considération les choses qui ne sont pas couvertes par les plans privés. Nous sommes ainsi sur la même longueur d’onde », explique-t-il.

Toutefois, un flou persiste quant à l’élément de « gross misconduct » et le « Redundancy Board » . « Cela peut être un frein pour que les entreprises qui vise à une restructuration. Ces compagnies ne pourront aussi recruter. Concernant la ‘shift allowance’, les secteurs qui travaillent 24/7 éprouveront des difficultés. Le paiement des ‘overtime’ augmentera les coûts d’opération pour ces compagnies. »

Une loi contraignante pour les petites entreprises

Dans un communiqué rendu public par Business Mauritius, qui a donné la parole à certains opérateurs des entreprises, Mike Webb, le CEO de l’entreprise Pti Salé a déclaré : « Nous sommes une petite entreprise de 20 personnes et l’application de certaines provisions contraignantes de cette loi fragiliserait une petite entreprise comme la mienne. Des frais additionnels énormes sont imposés sans prendre en considération la capacité pour nous de gérer. Nous avons une main-d’œuvre restreinte mais polyvalente et vu la compétition vis-à-vis des grandes entreprises et les charges additionnelles que j’aurais à encourir, on aura des difficultés à payer, ce qui pourrait résulter à des licenciements. » 

« Quant au PRGF, il serait prudent de procéder par étapes car on ne peut pas loger tous les secteurs au même taux pour tous. Il est très important de revoir cela. » 

« Il faudrait que le gouvernement mette en place un système de gestion de pension ou l’entrepreneur et l’employé auront accès, un accès transparent aux informations. Le paiement de pension se fera alors dans la transparence quel que soit le taux imposé ».

Manisha Dookhony, économiste : «  Il est important de renforcer les mesures permettant de mieux protéger les employés »

Selon l’économiste Manisha Dookhony : « Nous devenons une économie à haut revenu, nous ne pouvons pas évoluer avec les mêmes mesures pour les droits des travailleurs que celles des pays avec une économie à faible revenu et il est donc important de renforcer les mesures permettant de mieux protéger les employés. » 

Quel sera l’impact socioéconomique de la loi ? « Le Workers’ Rights Bill permettra plus de mouvements entre le secteur public et le secteur privé, qui est un facteur important pour une société plus moderne. Cela sera plus bénéfique pour les travailleurs car ils auront une certaine flexibilité, ce qui est important pour des raisons familiales. Pour le ‘Wage Guarantee Fund Account’, il y aura moins de fermetures des compagnies où les travailleurs n’ont pas reçu leurs salaires, comme cela a été le cas récemment », explique-t-elle.

Personnellement, elle ne pense pas que cela conduira à des problèmes tels que des licenciements ou des fermetures des compagnies, mais elle pense que certaines entreprises, qui sont probablement déjà en difficulté, pourront utiliser ceci comme prétexte pour une fermeture. « Il faut savoir que des pays comme l’Allemagne et la France offrent des niveaux de protection encore plus avancés et des droits meilleurs. Malgré cela, l’économie continue d’évoluer. Le niveau de chômage en Allemagne est à seulement 3 %. Il est important de comprendre qu’avoir plus de droits et des lois en faveur des travailleurs peuvent augmenter leur productivité et donc finalement profiter à l’ensemble de l’entreprise. »

Selon elle, le premier principe est que les lois doivent évoluer et elle pense que dans certains secteurs, le revenu perçu par les travailleurs est encore assez faible, en prenant en considération le niveau du coût de la vie. « En tant qu’une société moderne, il est de la plus haute importance de donner plus de droits aux travailleurs et il est dans l’intérêt de l’économie de former les travailleurs, en particulier dans une société comme la nôtre, car la ressource principale de Maurice reste notre main d’œuvre », dit-elle.

Les modalités de travail flexibles englobent généralement les modifications des horaires, du modèle et du lieu de travail. La flexibilité devient de plus en plus importante non seulement à Maurice, mais dans le monde entier pour les employés que les employeurs afin d’équilibrer les priorités contradictoires de la vie. Cela aura probablement un impact réel sur le retour d’un plus grand nombre de femmes sur le lieu de travail. À Maurice, environ 40% seulement des femmes font partie de la population active. Un calendrier flexible aidera à encourager davantage les femmes à retourner au travail. C’est un facteur important alors que nous cherchons à développer le GDP et la croissance par habitant.

Manisha Dookhony explique que dans ces entreprises, les travailleurs se sentent heureux, car les employeurs, plus responsables, donnent à leurs employés un ‘écosystème’ dans lequel ces derniers peuvent évoluer. Les entreprises qui donnent plus d’autonomie à leurs employés leur fournissent en fait plus de droits. « Pourtant, ces entreprises, que ce soit à Maurice ou dans le monde, continuent à bien avancer », fait-elle ressortir.

Le Portable Retirement Gratuity Fund : une ‘lump sum’ pour les travailleurs 

La clause 86 du projet de loi introduit le Portable Retirement Gratuity Fund, qui fait provision pour une ‘lump sum’ pour un travailleur ou à ses heritiers en cas de décès, lorsqu’il prend sa retraite à l’âge de 60 ans, ou avant, par exemple dans le cas d’une incapacité. Ce seront les employeurs qui auront à contribuer au PRGF mensuellement. Ce fonds est ouvert à presque tous les travailleurs (à quelsques exceptions pres), y compris les ‘self employed’.  Toutefois, le PRGF pose problème, notamment concernant les employés qui ont changé d’emplois plusieurs fois.

Atma Shanto, syndicaliste : « Une avancée, notamment concernant la protection des employés »

Le président de la Fédération des travailleurs Unis (FTU), Atma Shanto, est satisfait que certaines propositions faites par la FTU ont été prises en considération par le GM. « Si on compare la loi existante et celle qui a été présentée, on constate que c’est une avancée, notamment concernant la protection des employés. Il y a eu une situation abusive où les travailleurs étaient licenciés sous prétexte de restructuration économique. Par exemple, le patronat licencie des travailleurs locaux pour ensuite employer les travailleurs étrangers.  Le ‘Redundancy Board’ soulèvera la question des employeurs sur les ‘redundancies’. » 

Il poursuit : « Les fédérations syndicales ne croient pas que le Portable Retirement Gratuity Fund (PRGF) aura des conséquences sur l’économie comme l’affirme Business Mauritius. Business Mauritius ne croit pas dans la protection des travailleurs. »

Le ‘Redundancy Board’ : Prévenir les excès des ‘redundancies’

La loi mettra sur pied un ‘Redundancy Board’, presidé par une personne qui a les capacités pour être nommée comme juge de la Cour suprême.  Il comprendra aussi des économistes et des comptables et pourra mener une enquête sur le bien-fondé de toute déclaration de ‘redundancy’ par un employeur et émettre tout ordre nécessaire en conséquence.