Violence domestique : La semaine de l’horreur

La violence domestique et conjugale est un fléau qui prend des proportions alarmantes à Maurice. Il ne se passe pas un jour sans que l’on apprenne qu’une femme est victime de violence dans les mains de son conjoint. Des fois c’est le mari qui est violenté. Une violence qui finit souvent en crime abominable. Ainsi, rien que du 4 au 12 septembre,  trois femmes ont connu une horrible fin. Les autorités du pays et les forces vives expriment leur inquiétude sur le nombre des cas, qui prend toujours de l’ampleur.

À Maurice, une femme sur 4 est victime de violence domestique

Selon les statistiques de l’ONG Gender Links compilées en decembre 2018,  une femme sur cinq dans le monde est victime de violence domestique. À Maurice, la violence domestique montre des chiffres encore plus élevés : ainsi, une femme sur 4 est une femme battue ou victime d’une quelconque forme de violence domestique.

Trois femmes victimes de violence domestique y laissent leur vie dans une semaine seulement

Trois femmes victimes de violence conjugale ont laissé leur vie dans l’espace d’une semaine seulement.

  • Le dernier cas est celle de Joyce Revat, âgée de 32 ans, retrouvée à son domicile à Cité Pitot à Curepipe, dans la soirée du jeudi 12 septembre. Son compagnon Rodney Rambhojun, 36 ans, a été arrêté, soupçonné d’avoir agressé et plongé la tête de sa concubine dans un seau d’eau. Interrogé, le suspect a avoué d’avoir tabassé sa concubine mais a nié avoir causé sa mort en plongeant sa tête dans un seau.

 

  • Shabneez Mohammud, une habitante de Bel-Air Rivière Sèche, a été étranglée à mort ce mardi 10 septembre par son époux Nasureedhin lors d’une dispute. Les deux fils de la victime, inconsolables après la disparition soudaine de leur mère, déplorent la lenteur de la police, qui a pris trop de temps pour réagir, alors qu’ils s’étaient rendus au poste de police pour y chercher de l’aide. Témoins de cette dispute, les fils de Shabneez racontent que leur mère vivait un calvaire quotidien auprès de leur père, car ce dernier soupçonnait sa femme de lui être infidèle. Alors qu’ils sont intervenus pour défendre leur mère, les enfants ont également reçu des coups de la part de Nasureedhin.

 

  • Autre cas de meurtre dans le contexte de la violence domestique : Stéphanie Ménès, 32 ans, a été tuée par son époux au domicile conjugal à Ste-Croix le 4 septembre. Elle a été retrouvée avec des blessures, les mains et les pieds ligotés, sur un lit. Une bonbonne de gaz ménager ouverte a également été retrouvée sur les lieux du drame. Fait troublant, Stéphanie Ménès avait déjà dénoncé son époux à la police le samedi 31 août. Mais cela n’a pas empêché l’époux de la tabasser pour une énième fois, avec des conséquences fatales cette fois-ci.

 

Des sanctions envisageables contre les policiers s’ils ont fauté dans le cas de Shabneez Mohammed

Un préposé de la cellule de communication de la police nous explique que les victimes doivent impérativement se rendre au poste de police le plus proche pour consigner une déposition afin de dénoncer tout acte de violence domestique. Si jamais des blessures sont infligées aux victimes, ces dernières doivent recevoir les soins nécessaires à l’hôpital munies de leur ‘Form 58’. De là, l’affaire est référée à la Police Family Protection Unit, où les officiers entament une enquête et enclenchent les procédures afin que la victime puisse avoir recours à un ‘Protection Order’ émis par la cour. Toutefois, il indique que c’est au magistrat de décider si la victime a besoin d’un ‘Protection Order’ intérimaire jusqu’ à ce que l’affaire est débattu en cour.

Concernant le cas de Shabneez Mohammud, où les proches de la défunte allèguent que la police n’a pas levé le petit doigt quand ses enfants sont allés chercher de l’aide, l’officier nous confie qu’il est essentiel de déterminer l’heures précise où les enfants se sont présentés au poste de police. Interrogé sur le fait si des sanctions sont envisageables contre les policiers, l’officier a répondu : « Bien évidemment, si les policiers ont fauté, des sanctions seront prises contre eux. Mais je ne crois pas que la police n’a pas porté assistance, surtout qu’il s’agit d’une requête faite par deux enfants. »

 

Le système d’alerte de RBG : à considérer en toute urgence

Prisheela Mottee, présidente de l’ONG Raise Brave Girls (RBG), qui milite pour l’autonomisation des femmes et qui aide à promouvoir l’égalité des genres à Maurice, estime que les campagnes doivent être renforcées à tous les niveaux, et mieux cibler les groupes concernés. Des séances de ‘counseling’ doivent être organisées pour hommes et femmes.

« Un cas de violence domestique est déjà un de trop. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre plus de filles. Les cas de violence domestique ne diminuent pas dans le pays et nous vivons dans une ère où le niveau de violence a atteint son apogée, et conduit à la mort dans des cas récemment signalés. On ne doit pas exclure les garçons et les hommes dans nos campagnes contre la violence domestique, car ils doivent faire entendre leurs voix et d’exprimer leurs émotions dans le cadre de toute campagne de sensibilisation », nous dit Prisheela Mottee.

D’un point de vue juridique, le RBG plaide contre le mariage des filles et des garçons de 16 ans, même avec le consentement de leurs parents. « Ce tetxe de loi doit être abrogé, car à 16 ans, nos enfants doivent être à l’école et non pas liés par le mariage », nous indique la presidente de RBG.

Dernier point, mais non des moindres, au niveau des décideurs politiques : le RBG propose un système d’alerte en utilisant la technologie ‘blockchain’ pour détecter les cas de violence domestique. « Nous avons conçu un système d’alerte, basé lui-même sur un système d’évaluation, et cela avant qu’un cas de violence domestique ne soit détecté par des acteurs de l’État. Nous serons donc mieux placées pour nous protéger les unes les autres », nous explique Prisheela Mottee.

Ibrahim Koodoruth, sociologue : « La loi actuelle est complètement dépassée »

ibrahim sociologue 1Ibrahim Koodoruth, sociologue, martèle pour sa part qu’il n’y a pas asez de campagnes de prévention proactives pour sensibiliser les couples par rapport à la violence domestique. Il rappelle que la police a failli dans sa tâche dans le cas de Shabneez Mohammed. « C’est une perte de temps pour le ministère d’integrer un ‘Command Centre’ conjoint, comprenant le Family Protection Unit et la police, car cela n’apportera aucune diminution dans les cas de violence domestique. D’ailleurs, la preuve : la police n’a pas assumé son rôle et fourni l’assistance nécessaire aux deux fils de Shabneez, lorsqu’ils sont allés chercher de l’aide pour sauver la vie de leur mère », affirme-t-il.

Selon le sociologue, il faut revoir les provisions de la Protection of Women from Domestic Violence Act et inclure la peine de mort, sans aucune clémence, aux personnes ayant été trouvé coupable d’avoir tué leur conjoint ou conjointe dans le cadre de la violence domestique.

 SOS femmes : « Un encadrement des victimes est nécessaire »

Sos femme 2De janvier à juillet 2019, le refuge de SOS Femmes a accueilli 285 femmes et 372 enfants. À l’heure actuelle, le refuge héberge 13 femmes et 14 enfants. Ambal Jeanne, directrice de SOS Femmes, nous explique : « Les femmes victimes de violence domestique sont vulnérables et brisées. Elles sont victimes de toute une panoplie de violence, qu’elle soit physique, verbale, sexuelle et émotionnelle, et cela depuis des années. »

SOS Femmes est une ONG qui vient en aide aux victimes de la violence en leur proposant un encadrement, un soutien et une facilité d’hébergement, notamment aux femmes et à leurs enfants. « Dans un premier temps, nous nous adressons au côté thérapeutique et médical, avec des psychologues formés pour l’accompagnement des victimes, jusqu’à ce qu’elles arrivent à prendre des décisions. Si elle décide de retourner dans leur foyer, nous expliquons aux victimes les dispositions de la loi ainsi que ses limitations, et les facteurs qui pourraient envenimer les choses au sein de leur couple. Et pour celles qui n’ont nulle part où aller, l’association offre une facilité d’hébergement et la garde des enfants pour les femmes qui travaillent. »

Humaira Kayamdy,  de l’Association M Kids

« Les organisations millitant pour les droits des femmes ne doivent pas agir uniquement lorsque les ministres se font insulter ! »

« La violence domestique a toujours été présente et elle ne cesse de prendre une courbe ascendante.  Elle entraîne souvent la mort. Pour un pays tel que Maurice, il est honteux de noter trois cas de meurtre en  quelques jours. C’est la preuve d’une société en déclin, une société malade.

Pour que la société demeure saine, le gouvernement doit impérativement renforcer la loi. De plus, les organisations militant pour les droits de femmes ne doivent pas agir seulement quand un ministre a fait une remarque désobligeante envers des femmes. Elles doivent aussi réagir quand les femmes font face à la violence, elles doivent les encourager à sortir de cet enfer et enfin, il faut faire des campagnes de sensibilisation de temps à autre pour décourager la violence. D’ailleurs, Gender Links le fait ! »

Glorine Maloupe, présidente de Fondation Zenfan Africa

« Il faut solliciter la masse de la population pour qu’elle se réveille et participe au combat » 

« La violence domestique est devenue socialement catastrophique au niveau national, obligeant de nombreuses institutions, gouvernementales et non gouvernementales, à se repenser sur la base des droits de l’Homme. Ce n’est pas une question de mettre en place des actions sévères et des mesures punitives pour empêcher une telle érosion mentale, c’est une action de la part de nous tous, citoyennes et citoyens, de faire valoir les droits de nos femmes, car nous sommes tous des êtres humains jouissant des mêmes droits.

Il faut solliciter la masse de la population pour qu’elle se réveille et participe au combat. Voir notre île souffrir de la perte d’une femme par la violence domestique signifie pour moi un effondrement de notre système judiciaire. Un autre point que je voudrais aborder : l’excès d’alcool est l’une des substances qui provoque une telle déchéance. Je pense que le gouvernement doit imposer des taxes plus élevées sur les boissons alcoolisées, élaborer un programme de travail familial et organiser des discussions officielles sur les droits de l’Homme, qui sont universels. Nos femmes devraient apprendre à se défendre et à défendre leurs valeurs en tant qu’êtres humains, car la soumission ne peut plus être tolérée. »

Sollicité pour une réaction concernant le nombre des cas de violence domestique enregistré depuis le mois de Janvier 2019, aucun officier du ministère de l’Egalité Et des Genres n’était en mesure de nous renseigner.