Vinay Sobrun : « J’ai été utilisé pour faciliter l’intégration de Danielle Selvon au MMM »

Interview

  • « Je ne vois pas Paul Bérenger créer au sein du parti des conditions qui favoriseront l’ascension de sa fille » 

« Qui veut voler trop près du soleil se brûle les ailes… ! ». C’est ce qu’un dirigeant du MMM lui avait dit après qu’il s’était fait élire en deuxième position, juste après Paul Bérenger, lors de la constitution du dernier bureau politique. Est-ce la raison pour laquelle Vinay Sobrun a été « utilisé », selon ses propres termes, pour faciliter l’adhésion de Danielle Selvon avant d’être évincé par son leader ? En tout cas, cette manœuvre de Paul Bérenger est restée en travers de la gorge de celui qui était pressenti pour être un des prochains candidats mauve au no 12. Ce dernier, qui fait cause commune avec les contestataires Jeeha-Obeegadoo-Labelle, revient sur sa décision de ne pas se présenter aux prochaines élections du comité central.

Q : Après avoir consacré 25 ans de votre vie au MMM, vous n’êtes pas candidat aux prochaines élections du Comité central (CC). Tournez-vous la page mauve ?

R : La finalité de ma décision peut se résumer ainsi. En effet, aux lendemains de la partielle à Belle-Rose/ Quatre-Bornes, la question de la tenue des élections du CC avait fait surface. Je suis parmi ceux qui n’approuvent pas une telle démarche. J’estime qu’il aurait été plus judicieux d’aller à l’écoute de notre base afin de comprendre les raisons pour lesquelles elle ne nous suit plus, voire ne nous fait plus confiance et, parallèlement, de mettre en place un mécanisme permettant une profonde remise en ordre de nos branches à travers l’île afin de garantir des élections internes démocratiques, justes et équitables. Étant donné que j’ai voté contre la motion de la tenue de ces élections du CC au BP, la logique veut que je n’y sois pas candidat. Autrement, j’aurais été en contradiction avec moi-même.

Q : Votre mutation du no. 6 (Grand-Baie/Poudre d’Or) au no. 12 (Mahébourg/Plaine Magnien) date de plus d’un an. Pourquoi avoir attendu tout ce temps pour vous élever contre cette décision?

R: Je n’ai jamais été contre cette décision. D’ailleurs, je demeure persuadé qu’un leader doit avoir toute la latitude de procéder à tout repositionnement de ses coéquipiers s’il le juge opportun. Dans mon cas, je devais céder ma place à Danielle Selvon. Mon grief est lié à la façon brutale dont cette mutation s’est faite et au traitement qui m’a été réservé par la suite. Ma mutation a été soigneusement planifiée derrière mon dos avant qu’elle ne me soit proposée avec seulement deux options : le no. 12 ou le banc de touche. J’ai opté pour la première dans un esprit d’équipe. Je suis parti à Mahébourg/ Plaine Magnien, bien que j’habite à Poudre d’Or Village. Puis, clap de fin de l’épisode. Le leader a choisi de couper toute communication avec moi depuis mai de l’année dernière, hormis les échanges dans les réunions des instances du parti. J’ai le sentiment d’avoir été utilisé pour faciliter l’intégration de Danielle Selvon au MMM et son installation au no. 6. Point à la ligne. Dieu sait pourtant que j’ai toujours été fidèle et loyal envers le MMM et Paul Bérenger.

Q : On vous disait pourtant proche du leader. Vous avez d’ailleurs été élu en deuxième position, après Bérenger, lors de la constitution du dernier BP…

R : Ma relation avec mon leader a toujours été très cordiale, mais cela ne m’a pas mis à l’abri des péripéties dont je viens de vous dépeindre. Pour ce qui est de ma deuxième position aux élections du BP de 2015, je vous répète ce qu’un dirigeant du parti m’avait dit ce jour-là : qui veut voler trop près du soleil se brûle les ailes… ! La suite, je n’en sais rien.

Q : Les contestations du trio Jeeha-Obeegadoo-Labelle ont-elles apporté de l’eau à votre moulin ?

R : Non. Ma décision n’a nullement été influencée par le « trio » dont vous faites état. Les motifs de ma décision ne s’alignent pas totalement sur ceux de Pradeep Jeeha, de Steve Obeegadoo ou de Françoise Labelle, mais nos positions convergent sur bon nombre de points.  

Q : Outre les problèmes que vous venez d’évoquer, qu’est-ce qui ne va pas au MMM ?

R : Le MMM se trompe de priorité et d’objectif. Un parti politique, à l’instar de toute organisation ou entreprise, qui ne cesse d’accumuler des déconvenues doit se remettre en question. La dernière victoire électorale du MMM remonte à l’an 2000 et depuis la partielle au no. 7 (Piton/Rivière du Rempart) en 2003, le parti fait face à une série ininterrompue de défaites, les unes plus sévères que les autres. Cette situation exige une analyse approfondie et détaillée des causes de nos défaites et la prise des mesures correctives. Mais au lieu de cela, je constate, d’une part, que le parti est miné de l’intérieur par des conflits personnels et, d’autre part, que des dirigeants ou d’autres éléments sont sanctionnés, suspendus ou expulsés pour n’avoir pas obéi au doigt et à l’œil. Vous n’avez qu’à compter le nombre de départs que le parti a connu depuis 2010 et vous vous rendrez à l’évidence. Il n’est un secret pour personne que le MMM a connu une sévère hémorragie en 2014. Pour qu’il retrouve sa force d’antan, il doit impérativement récupérer cet électorat. Mais avec ce qui se passe au MMM, notre électorat est en plein désarroi. Je ne vois pas le MMM se renforcer dans les présentes circonstances.    

Q : Pensez-vous qu’un changement de leadership pourrait changer la donne ?

R : Je ne suis pas de cet avis. Tout ne se limite pas au leadership. Si nous changeons de leadership pour faire ce que nous faisons depuis 50 ans, ce sera du pareil au même. Si une entreprise ne parvient pas à pénétrer un marché, une analyse du marché s’avère bien plus importante qu’un changement de CEO. De toute façon, il ne revient pas à moi de prodiguer des conseils au leader. Il est un géant de la politique mauricienne et il sait quoi faire, à quel moment et comment le faire.

Q : Et si c’était Joanna Bérenger qui devait remplacer son père à la tête du parti ?

R: Joanna Bérenger milite au sein du MMM et est candidate aux prochaines élections du CC. Mais la succession de Paul Bérenger n’est pas d’actualité. Si cette question est portée sur la table, mes longues années passées au MMM me poussent à croire que tout éventuel successeur de Paul Bérenger émergera de l’intérieur du parti et dans le strict respect de la méritocratie dont le MMM a toujours été un fervent défenseur. Par ailleurs, de tous les leaders politiques que notre pays a connus, celui qui s’est toujours montré très volubile contre le culte de la personnalité et la dynastie en politique est Paul Bérenger. Sans diminuer les mérites de Joanna Bérenger, je ne vois pas Paul Bérenger créer au sein du parti des conditions qui favoriseront l’ascension de sa fille. Cela dit, si au moment où le successeur du leader doit être choisi et que c’est Joanna Bérenger qui, dans le respect infaillible de tous les critères pertinents, est désignée, je pense que personne ne devrait trouver quoi que ce soit à redire.

Q : Comment pensez-vous pouvoir incarner le nouveau MMM sans la création d’un nouveau parti, Obeegadoo s’étant déjà prononcé contre cette option ?

R : La population a soif d’un renouveau. La façon traditionnelle de faire de la politique est révolue. Incarner le nouveau MMM implique d’aller à la rencontre de la base, de réunir ceux qui nous ont quittés, particulièrement depuis 2010, d’attirer de nouvelles compétences que le pays a créées et qui veulent se mettre au service du pays et de promouvoir une diversité d’opinions et non la pensée unique. Le but est de rassembler toutes ces têtes et de pencher sur l’avenir du pays. Il reviendra à nous tous de décider collectivement si ce mouvement, cette mouvance, cette plateforme – quel que soit le nom que vous lui donnez – doit prendre la forme d’un parti politique à l’avenir. Nous ne voulons pas créer une structure pour ensuite l’imposer aux autres. Nous n’avons pas « quitté » le MMM pour aller créer un autre parti politique. Nous nous retrouvons en dehors des instances du parti pour des raisons désormais connues. Donc, nous n’avions pas de Plan B. Mais au vu de l’évolution de la situation, nous nous devons de préconiser une marche à suivre. Voilà ce que nous envisageons.