[VIDÉO]Attentats à la pudeur sur les enfants : Il est temps de briser les tabous

On entend parler de plus en plus fréquemment à Maurice de cas d’attentats à la pudeur sur les enfants. Ainsi, le vendredi 3 janvier, un policier devait surprendre son propre oncle et son cousin qui commettaient un acte d’attentat à la pudeur sur sa petite sœur âgée de 13 ans. Les prévenus, âgés de 43 ans et de 16 ans, ont été arrêtés. La fillette a porté plainte pour attentat à la pudeur, et ce ne serait pas la première fois qu’elle est victime de tels actes de son oncle et de son cousin, qui habiteraient la même maison qu’elle et sa famille. Nous faisons dans ce reportage le tour de la question avec Rita Venkatasawmy, l’Ombudsperson for Children, Preeshila Mottee, la présidente de l’ONG Raise Brave Girls, et la psychologue Girisha Dhunnoo. 

L’attentat à la pudeur est un acte sexuel forcé sans pénétration, et où la victime ne consent pas à cet acte. Par exemple : les attouchements non désirés, les caresses ou les baisers, ou encore contraindre une personne à se déshabiller ou à montrer ses parties génitales.
L’attentat à la pudeur peut se produire sans violence ni menaces physiques. Par exemple, si la victime ne résiste pas et se laisse faire parce qu’elle a peur.

Preeshila Mottee, la présidente de l’association Raise Brave Girls, est d’avis que la situation est alarmante à Maurice. Selon les chiffres, depuis 2017 à ce jour, on a officiellement enregistré environ 4 000 victimes d’attouchements ou d’agression sexuelle.

Les racines du mal                                                                                        

Rita VenkatasamyPour Rita Venkatasawmy, ce serait un adulte qui vit mal sa sexualité, et qui occasionnellement, peut se tourner vers un enfant au lieu de se tourner vers un adulte pour des relations sexuelles. Ou bien, l’agresseur est un pédophile avéré, et a besoin d’un enfant pour satisfaire ses pulsions, ou bien encore, dans certaines situations, certaines personnes peuvent penser que c’est « normal » d’agresser les enfants.

L’Ombudsperson explique que dans certains cas, ce sont des enfants mêmes qui se livrent à des attouchements. Dans ce cas-ci, pour la plupart du temps, il s’agit enfants qui ont été eux mêmes victimes d’attouchements dans le passé.

Selon Prisheela Mottee,  les agressions sexuelles peuvent trouver leur source dans une simple fête de famille. Ainsi, quand les enfants rencontrent les oncles et les tantes, ils doivent faire la bise, et si les enfants ne le font pas, les parents les traitent de « méchants ». Situation qui crée une peur chez l’enfant, qui se sent alors forcé de dire bonjour à chaque adulte qu’il rencontre. C’est là que le prédateur sexuel trouve sa victime. « Les parents doivent respecter le souhait de leurs enfants quand ces derniers leur disent qu’ils ne veulent pas ou ne se sentent pas à l’aise pour rencontrer les oncles et les tantes », explique Preeshila Mottee.

Girisha Dhunnoo

 

 

Questionné sur l’état d’esprit des prédateurs sexuels, la psychologue Girisha Dhunnoo explique que dans la plupart des cas, il s’agit là d’un vice, au même titre que certaines personnes qui ont un penchant pour l’alcool ou la drogue.

 

 

Ce sont le plus souvent les proches qui sont les agresseurs

Rita Venkatasawmy, Prisheela Mottee et Girisha Dhunnoo sont toutes les trois d’accord que dans la plupart des cas recensés, ce sont les proches et les membres de la famille qui sont les auteurs de ces actes indécents. Vu qu’ils sont proches des enfants, et vu que les parents des victimes leur font confiance,  les agresseurs se sentent en confiance et passent à l’acte.

Elles sont rejointes dans leurs dires par de nombreuses études, qui ont démontré que la majorité des prédateurs sont issus de la famille, donc une personne qui connait l’enfant. « Quand il s’agit de combattre l’abus sexuel, il faut y avoir une approche holistique. Dans certains cas, se sont des familles entières qui doivent être réhabilitées, car c’est un sujet tabou dont beaucoup de gens ne veulent pas en parler », nous dit Rita Venkatasamy.

Les victimes sont majoritairement des filles

Si les garçons ne sont pas épargnés des griffes des agresseurs, les victimes sont majoritairement des filles. Selon la psychologue Girisha Dhunnoo, la plupart des victimes qu’elle a rencontrées viennent des familles brisées, où le père (voire la mère) est alcoolique, ou encore la famille fait face à des graves soucis financiers ou encore, quand les parents sont séparés. Terrain fertile pour les prédateurs : les parents ne sont pas à l’écoute de leurs enfants ou bien, ils ne se soucient pas de leurs enfants, donc l’agresseur pense que tout est permis.

Dans des cas comme ceux-là, surtout dans les familles asiatiques selon Girisha Dhunnoo, les femmes mariées sont aussi victimes, au même titre que leurs enfants, mais ont peur de dénoncer leurs époux. À quelle sécurité un enfant peut-il aspirer si la maman elle-même est victime du mari ?

Dénoncer les agresseurs

Pour Girisha Dhunnoo, les enfants ne demandent pas d’être violés ou d’être agressés par quiconque.  Mais dans plusieurs situations, les parents qui sont mis au courant ont tendance à réagir en blâmant la victime : « Peut-être que tu as cherché cela, c’est pour cette raison qu’il t’a fait ça ». Dans le cas de parents violents, les enfants craignent d’être frappés par leurs parents s’ils racontent qu’ils ont été victimes d’attouchements ou d’agression sexuelle, et se murent dans leur silence. Ou encore, les enfants pense que toute la famille sera impliquée dans ce problème, alors qu’il aurait voulu que les parents traitent cette affaire en intimité.

L’Ombudsperson for Children, Rita Venkatasamy, demande aux victimes de venir de l’avant et de porter plainte à la police. Girisha Dhunnoo demande aux parents d’arrêter cette mentalité de « Ki société pou dir ?» et de venir de l’avant et de dénoncer les prédateurs sexuels.

De graves séquelles pour les victimes

Les cicatrices émotionnelles restent à jamais gravées dans le psyché des victimes, nous expliquent nos interlocutrices. Prisheela Mottee explique que c’est définitivement une cicatrice qui s’estompera difficilement. Dans tous les cas, il est conseillé de faire un suivi par un psychologue pour que la victime puisse mieux vivre avec ce fardeau.

Girisha Dhunnoo explique pour sa part que les enfants victimes auront tendance, en grandissant, de se renfermer sur soi et de développer des séquelles psychologiques, comme des crises d’anxiété, le stress, ou encore, ils auront des difficultés à gérer des situations difficiles. Mais ce qui concerne les adultes qui sont victimes, les choses deviennent plus compliquées, poussant même au suicide de la victime, suite à des sentiments de rejet.

Pour Rita Venkatasawmy, il ne faut pas généraliser, car chacune des victimes est différente. Certaines victimes peuvent devenir violentes tandis que d’autres peuvent être traumatisés. En ce qui concerne les enfants, leur scolarité sera affectée. Il est ainsi demandé aux personnes qui travaille avec les enfants de voir de près la réaction de ces derniers pour voir s’il y a un changement dans leur comportement. Mais dans certains cas, il n’y a aucun signe visible de la part de ces enfants victimes.

 

Comment la société doit-elle aborder ce problème

Prisheela Mottee et Girisha Dhunnoo nous expliquent que tout doit débuter avec les parents. Il est conseillé que ces derniers expliquent à leurs enfants la différence entre un « bon » et un « mauvais » contact, et cela, depuis leur plus jeune âge.

Nos deux interlocutrices prônent ainsi l’éducation sexuelle dans les établissements scolaires, et cela depuis le préprimaire. À ce niveau-la, l’éducation sexuelle comprend uniquement de faire comprendre l’anatomie de base du corps humain, ainsi que le « bon » et le « mauvais » toucher.

Girisha Dhunnoo croit que les enfants doivent apprendre à dire non quand ils subissent les propositions des prédateurs, car selon des études menées dans cet aspect des choses, savoir dire non crée une inhibition chez les auteurs d’attouchements et d’agression.

Prisheela Mottee va un peu plus loin et propose qu’un psychologue soit posté en permanence dans tous les établissements scolaires, qui sera en charge d’un fichier pour les écoliers, les enseignants et le personnel.

Rita Venkatasamy propose de briser le cercle vicieux par la réhabilitation. Ainsi, il faut que les victimes d’attouchements et d’agressions soient réhabilitées afin que le même scénario avec d’autres enfants. Elle propose aussi l’éducation des enfants ainsi que des adultes par des campagnes de sensibilisation. En ce qui concerne les victimes, elles doivent suivre des activités thérapeutiques.

L’éducation sexuelle, une nécessité pour éradiquer ce fléau

Prisheela Mottee est d’avis que les parents qui ne savent pas aborder le sujet avec leurs enfants devront, depuis le plus jeune âge de l’enfant, lui expliquer petit à petit les parties intimes de son corps, et en quoi consiste le bon et le mauvais toucher. Et petit à petit, ce seront aux établissements scolaires d’expliquer les choses relatives au sexe plus en détails.

Dans ce sens, des ateliers de travail devraient être organisés pour les parents pour leur expliquer comment aborder le sujet avec leurs enfants. Sinon, les parents peuvent voir des vidéos sur YouTube qui leur expliqueront tout, et ils pourront se sentir plus à l’aise pour aborder le sujet avec leurs enfants.

En ce qui est des enseignants, Prisheela Mottee propose que le ministère de l’Éducation mette sur pied des programmes pour former les profs qui souhaitent enseigner l’éducation sexuelle.

Un délit grave selon le Code pénal

Un simple attouchement, même sans l’acte de pénétration, peut constituer un attentat à la pudeur, qui est un délit aussi grave qu’une agression, voire un viol. La section 249 du Code pénal stipule qu’une personne trouvée coupable d’attentat à la pudeur encourt une peine n’excédant pas huit ans de servitude pénale.

 

Neevedita Nundowah

ÉDITION : 09.02.2020/421