[VIDÉO]Arvin  Boolell : « Je m’attendais à ce que le gouvernement rompt avec ses vieilles pratiques »

  • « Je ne vois pas pourquoi le gouvernement et l’opposition ne peuvent pas se mettre ensemble pour présenter une bonne réforme électorale »

 Le Dr Arvin Boolell ne le cache pas. Il a une autre façon de faire les choses. Si certains le perçoivent comme une souplesse envers le gouvernement, il dira lui que c’est par respect pour les institutions et pour le statut qu’il occupe qu’il agit ainsi. Bien qu’il reconnaisse que son attitude ne changera pas la façon de faire du gouvernement. Le leader de l’opposition est d’avis qu’une cour électorale doit être mise en place pour se pencher sur les pétitions électorales le plus vite afin de ne pas tenir le pays en suspens. Il dit, par ailleurs, croire dans un ‘lateral leadership’ tout en soutenant que le PTr n’appartient ni à lui ni à Navin Ramgoolam ou les autres membres…

Zahirah RADHA

 

Q : Les partis de l’opposition ont choisi de boycotter le discours-programme pour protester contre les irrégularités entourant les dernières élections. N’est-ce pas toutefois un mauvais signal que vous avez envoyé aux 63% de l’électorat qui a voté pour vous ? 

Il faut, au contraire, que ces 63% de l’électorat comprennent la logique de notre décision qui a été prise collectivement. Le gouvernement, je dois le souligner, a clairement démontré qu’il fait fi de la dimension protocolaire de la cérémonie d’ouverture du Parlement. Au lieu d’une cérémonie solennelle, le programme ressemble plus à un ‘mela’.  Ce qui est synonyme, pour moi, d’un non-respect du décorum qu’exige une telle cérémonie.

Le mauvais signal, c’est plutôt le gouvernement qui le donne. Je suis quelque peu déçu en ce qu’il s’agit de certaines nominations. Je crois personnellement dans le respect mutuel. Mais tel ne semble pas être le cas du gouvernement. La loi prévoit des consultations entre le Premier ministre et le leader de l’opposition. Or, en réalité, je n’ai été qu’informé par voie courriel de ces nominations. Il y a une différence entre consultations et d’être simplement informé.

J’ai d’ailleurs soulevé la question avec le président concernant la nomination du chairman de l’‘Independent Broadcasting Authority’ (IBA). Je lui ai dit que la personne nommée à ce poste ne doit pas avoir des tentacules politiques. La controverse engendrée par le chairman du ‘State Informatics Ltd’ (SIL) dans le rôle des dernières élections, surtout avec la fameuse ‘computer room’, en est l’exemple. Cette mainmise sur les institutions est très inquiétante. C’est aussi inquiétant de voir que les réserves de la Banque de Maurice ont été utilisées alors qu’il avait été entendu, suite aux débats y relatifs au Parlement, qu’elles ne seront pas touchées.

Personnellement, j’ai toujours prôné le respect mutuel ainsi que des relations correctes avec le Premier ministre. Je m’attendais à ce qu’il y ait un rapprochement entre le gouvernement et l’opposition concernant les thèmes transversaux pour le bien-être de la population mauricienne. Notre système est basé sur le système westministérien, mais quand il s’agit de son application, on est loin de la démocratie parlementaire britannique.

Q : Pensez-vous vraiment que le gouvernement allait rompre avec ses vieilles pratiques et habitudes ?

Je suis déçu parce que je m’attendais justement à ce qu’il rompt avec ses vieilles pratiques. En vain ! La première chose que le gouvernement a faite c’est de consolider son assise sur la ‘National State Security’. Il y a également eu des renvois qui semblent injustifiés. On a eu droit au même scénario qu’en 1982 avec des pressions exercées sur des cadres, dont des ‘Permanent Secretary’ (PS) et des ‘Senior Chief Executives’ (SCE), pour qu’ils partent.

Je m’attendais à ce que le gouvernement mette un terme à sa politique de vengeance et de harcèlement. Mais dans la pratique, les institutions sont toujours contrôlées par le gouvernement et c’est inacceptable. On a vu d’ailleurs comment il a fait fi des institutions qui auraient dû être indépendantes, de Réduit à Port-Louis, avec le « kitchen cabinet » et le rôle des conseillers et de la police.

Q : Etes-vous confiant de pouvoir maintenir, en tant que leader de l’opposition, cette synergie entre les trois partis de l’opposition pour que puissiez continuer à travailler ensemble ?

Il y a déjà une synergie et une convergence, surtout avec les pétitions électorales qu’on a logées en cour suprême. D’autant plus que c’est pour la première fois de notre histoire politique qu’on a, en face de nous, un gouvernement ayant eu un suffrage de moins de 37%, soit 36, 7% pour être plus précis. Il y a parallèlement une synergie qui se dégage entre l’opposition parlementaire et extraparlementaire. Cette convergence découle surtout du fait qu’on a un objectif commun. On veut ne fois pour toutes savoir si les dernières élections étaient ‘free’, ‘fair’ et crédibles.

C’est d’ailleurs le souhait de la nation mauricienne que le judiciaire exerce ses droits pleinement en mettant sur pied une cour électorale pour écouter les pétitions électorales et la demande de ‘judicial review’ le plus vite possible afin que le pays puisse respirer. Il y a un climat d’attente au sein de la population. Idem pour le secteur privé. Ce n’est pas sain quand il y a des turbulences politiques et des incertitudes économiques.

Q : Mais le gouvernement a quand même une majorité confortable au Parlement pour qu’il puisse gouverner en toute quiétude…

Oui mais cela ne veut pas dire qu’il doit y avoir une tyrannie de la majorité. On ne doit pas se souscrire à ce que l’ancien ministre du Tourisme et ministre de la Santé avait dit à l’effet que « government is government and government so decides ». Cela enfreint la démocratie parlementaire. Le Parlement est suprême, mais il n’a pas le droit d’utiliser des ‘colourable devices’ pour arriver à ses fins, comme il avait tenté de le faire, dans le passé, en voulant éjecter Navin Ramgoolam de son siège. On sait quel avait été le verdict de la cour suprême.

Q : Depuis votre désignation comme leader de l’opposition, vous avez été plutôt souple envers le gouvernement…

Oui, mais ce n’est pas de la souplesse mais de respect pour les institutions, mais aussi pour le statut que j’occupe. C’est un poste constitutionnel et on doit le respecter. C’est pour cela que je dis au Premier ministre que je ne suis pas d’accord avec sa définition du mot « consultations ». Mon approche est différente. Je suis d’avis qu’il faut avoir des comités sur des dossiers prioritaires comme les Chagos, la drogue ou des projets de lois controversés. Il faut certaines souplesses qu’il n’y a pas eu dans le passé.

Sur la réforme électorale par exemple, je ne vois pas pourquoi le gouvernement et l’opposition ne peuvent pas se mettre ensemble pour présenter une bonne réforme. Qu’on le veuille ou pas, le système électoral, avec le ‘first past the post’, ne fait pas justice à l’électorat mauricien. Il faut revoir la « People’s Representation Act » qui date de 1958. Les droits des citoyens ne peuvent pas être bafoués comme cela l’a été avec le ‘disenfranchisement’ de personnes qui ont le droit de voter.

Q : Pensez-vous que vous aurez la tâche facile puisque, d’un côté vous aurez le gouvernement en face de vous, et de l’autre, les différents partis de l’opposition, sans oublier votre parti, le PTr qui est toujours dirigé par Navin Ramgoolam ?

Il faudra ‘strike the right balance’. Je ne suis pas quelqu’un de difficile, quoiqu’on ait tous notre dignité. Je ne serai pas non plus un garçon de course, mais je serai certainement à l’écoute. Il est tout à fait normal qu’il y ait des pourparlers avec les leaders des partis. C’est regrettable que Navin Ramgoolam ne soit pas au Parlement. Cependant, le parti m’a confié la tâche d’être le leader de l’opposition, une décision qui a d’ailleurs fait l’unanimité. Je crois personnellement dans le ‘lateral leadership’, soit un partage de responsabilités. Mais il faut bien sûr qu’il y ait quelqu’un pour déléguer ces responsabilités.

Au niveau du parti, il y aura une complémentarité et une symbiose. Cela ne veut toutefois pas dire que le parti imposera son diktat. Loin de là. Je ne dis pas que ce sera une tâche facile mais je suis confiant de pouvoir faire le travail. Il y aura certainement des défis, mais on fera notre travail d’opposition comme il se doit et jusqu’au bout.

Q : Quels sont les dossiers prioritaires que vous comptez aborder durant vos premières PNQ ?

Les dossiers ne manquent pas. L’un des sujets inquiétants en ce moment, c’est le Coronavirus. L’OMS commence d’ailleurs à réagir parce qu’il peut devenir une pandémie. On n’en est pas encore là à Maurice. Mais ce sera quand même intéressant de savoir ce qu’on fait en termes de sécurité, de l’arrivée des passagers venant de Chine et les précautions prises, entre autres. Il ne faut pas oublier le problème des sinistrés et l’affaire Wooton. Il y a aussi l’indulgence et l’indifférence de la STC concernant le taux de manganèse ajouté au pétrole ou encore le raid de la BoM. La drogue est aussi une de mes priorités. Il y a pas mal de problèmes au niveau sectoriel également. Je ferai de sorte que les autres parlementaires puissent aussi poser des questions durant les PNQs.

Q : Venons-en aux pétitions électorales. On s’attendait à ce que l’opposition conteste l’intégralité des résultats, comme l’a fait Roshi Badhain, mais elle a choisi de les contester uniquement au niveau de certaines circonscriptions.  Pourquoi ?

L’un ne met pas en cause l’autre. Il y a au contraire une complémentarité entre les pétitions électorales et la demande de ‘judicial review’. On laisse maintenant le soin à la cour de trancher. Comme je l’ai dit, il y a une volonté pour qu’il y ait une ‘electoral court’ afin que les procédures soient accélérées. Le plus vite que ces cas soient entendus, le mieux ce sera pour la nation mauricienne.

Q : Le PTr a essuyé une autre défaite après les élections de 2014. A-t-on, au sein du parti, analysé les raisons de cette défaite ?

Ce n’est pas la première fois que le PTr a subi une défaite. Il l’avait aussi connu en 1982. Cependant, le PTr n’a jamais eu un électorat en-dessous de 30%. Aujourd’hui, c’est avec 36.7 % de l’électorat et en alliance que le gouvernement actuel est au pouvoir. D’où l’urgence de revoir notre système électoral. Une réforme est ‘long overdue’. Tout comme une bonne loi sur le financement des partis politiques. Une loi qui ne donnera pas un avantage comparatif à un parti pour qu’il puisse cacher le montant de son trésor de guerre. Après cinquante ans, il y a un également un pressant besoin de revoir notre Constitution Je ne sais pas si, avec le MSM au pouvoir, cela deviendra une réalité.

Pour revenir à votre question, il y a plusieurs facteurs qui expliquent cette défaite. Mais les deux raisons principales sont la ‘money politics’ et les ‘deep fake news’. Le Dr Navin Ramgoolam a été la cible principale de ces ‘deep fake news’, surtout avec le fameux ‘catori’. La MBC y a tenu un rôle infect et a causé beaucoup de tort au processus électoral. C’est pour cela que je dis que des institutions doivent être mises à l’abri des intempéries politiques.

Il y a aussi eu des manquements de notre part. A-t-on aligné des candidats à la dernière heure ? Le choix des candidats était-il idéal ? A-t-on compris la loyauté et la fidélité envers le parti ? Je suis persuadé que l’effet maléfique demeure toutefois la force de ‘money politics’ et de ‘deep fake news’. Il y a eu une campagne indigne des opposants politiques.

Q : Réforme électorale, loi sur le financement des partis politiques, révision de la Constitution, mais ne faut-il pas aussi un rajeunissement de la classe politique ?

Oui, c’est tout à fait normal qu’il en faut. Nous étions jeunes quand nous avions commencé. Nous faisons tous partie du commun des mortels. Il nous faudra donc tout naturellement préparer la relève. J’en ai parlé au Dr Ramgoolam et à d’autres amis du parti. Je suis heureux qu’on a ait pris des engagements. Il faudra maintenant nous assurer que les promesses se concrétisent et qu’on passe à l’action. Le PTr n’est ni ma propriété, ni celle du Dr Ramgoolam, de Shakeel Mohamed ou de Patrick Assirvaden. C’est un parti qui a une histoire ainsi qu’un passé glorieux, mais aussi un avenir certain. Il coule de source que l’espace doit être élargi et que des conditions appropriées soient créées pour répondre aux valeurs travaillistes. Le parti a aussi eu différents leaders et c’est normal qu’il y en aura d’autres.