[VIDEO] Tour d’horizon : Les défis qui nous guettent Eric Ng Ping Cheun, économiste :« L’année de tous les dangers »

Ce début d’année 2020, qui marque aussi l’aube d’une nouvelle décennie, coïncidera avec la lecture du discours-programme du nouveau gouvernement dirigé par l’Alliance Morisien, prévu pour le 24 janvier prochain. Les défis qui nous guettent sont nombreux. Comment notre économie fera-t-elle face à ces challenges ? Se montrera-t-elle résiliente ou se dirigera-t-on vers une crise, d’autant que les indicateurs économiques ne sont guère reluisants ? Le nouveau régime gouvernemental aura donc du pain sur la planche.

L’économiste Eric Ng Ping Cheun, directeur de PluriConseil Ltd, nous fait un tour d’horizon sur ces nombreux défis auxquels le nouveau gouvernement sera confronté durant les cinq prochaines années. « Je dirais que c’est l’année de tous les dangers. C’est la première année d’un nouveau gouvernement et c’est là qu’il devra faire ses preuves en montrant sa vision. Ce sont les mesures qu’il prendra durant cette année qui détermineront l’avenir de notre économie pour les cinq prochaines années », dit-il d’emblée…

Propos recueillis par Zahirah RADHA

 

Conjoncture actuelle

Instabilités à l’international couplées aux défis locaux

  • « La stratégie adoptée par le gouvernement durant son dernier mandat n’est pas soutenable »

« D’abord, il y a beaucoup d’instabilités sur le plan international. Les tensions entre les Etats-Unis et l’Iran auront un impact certain sur le prix des carburants à Maurice, surtout s’il devrait y avoir une guerre entre ces deux puissances. Deuxièmement, il y a une tendance protectionniste grandissante à travers le monde, plus particulièrement entre les États-Unis et la Chine d’une part, et les Etats-Unis et l’Europe d’autre part. Et finalement, il y a aussi le Brexit. Nos échanges commerciaux ne risquent pas d’en souffrir parce qu’on a déjà un accord avec la Grande Bretagne qui les protège, avec le Brexit ou pas. Par contre, si, avec le Brexit, la livre sterling se déprécie par rapport à la roupie, notre destination touristique risquera alors de coûter plus cher et elle deviendra ainsi moins compétitive.

Au niveau local, les secteurs traditionnels, que ce soit le sucre, le textile, le tourisme ou le secteur offshore, font face à certaines difficultés. Le secteur sucrier souffre à cause de la baisse du prix sur le plan international. L’augmentation du « business cost » a mis le textile dans une impasse. Qu’on le veuille ou pas, le salaire minimum affecte également ce secteur et, à fortiori, les PME. Pour sa part, le tourisme stagne. Ce secteur n’a pas connu de croissance l’année dernière. C’est à se demander si on n’a pas atteint le plafond de l’arrivée touristique. Le plafond est-il à 1, 5 millions ou a-t-on l’ambition d’atteindre les 2 millions d’arrivées touristiques ? C’est impératif qu’il y ait une stratégie claire en terme de marketing, d’accès aérien, mais aussi en terme de l’offre de produits touristiques qui doivent être diversifiés.

  • Les défis à relever

Je pense que, durant cette année et pour les cinq ans à venir, on devra consolider ces quatre secteurs traditionnels. On devra, en même temps, diversifier l’économie mauricienne. Depuis une dizaine d’années, il n’y en a eu point. Le secteur financier doit être diversifié car il est actuellement trop concentré sur la banque et les assurances. Il faudra diversifier dans la nouvelle technologie, l’intelligence artificielle et les technologies financières, entre autres. Or, pour arriver à cette fin, il nous faudra impérativement attirer les compétences étrangères.

Au niveau des chiffres macro-économiques, on a été incapable, depuis 2010, d’obtenir une croissance de 4%. L’année dernière, la croissance était en baisse, soit à 3, 3%. Faute de réformes, on risque de la voir encore chuter pour atteindre les 3%. Je dois aussi souligner que cette croissance est entretenue essentiellement par la consommation et l’endettement. Cela a d’ailleurs été la stratégie adoptée durant ces cinq dernières années puisque l’exportation et l’investissement privé n’ont pas vraiment stimulé la croissance. Ce n’est donc pas une croissance saine. D’autant plus que l’endettement public ne cesse d’augmenter, atteignant plus de Rs 330 milliards et représentant 65% du PIB. L’endettement des ménages est également énorme, tout comme l’endettement des entreprises. En somme, la stratégie adoptée par le gouvernement durant son dernier mandat n’est pas soutenable. Il faudra donc restimuler la croissance, l’exportation et l’investissement privé.

En ce qui concerne le chômage, le taux a certes baissé en-dessous du 7%, mais c’est surtout grâce aux emplois dans le secteur public et non pas dans le privé. Au contraire, le nombre d’emplois dans les PMEs a baissé. Ceci dit, il faut aussi savoir que l’emploi dans le secteur public a une répercussion sur l’endettement du pays.

Autre casse-tête chinois, c’est la création d’emploi pour les jeunes et les femmes. Le taux de chômage des jeunes (16-24 ans) demeure à 25% alors que celui des femmes tourne autour de 11%. Ce qui reste un défi majeur à relever.

Les autres défis concernent le déficit budgétaire, l’accroissement du déficit commercial, la hausse des importations comparées aux exportations et le taux de l’inflation. Si officiellement, on dit que le taux d’inflation est très bas, soit à 1%, il faudra néanmoins s’attendre à un rebond dans la perspective d’une dépréciation de la roupie ».

 Plan économique

Moins de favoritisme et de bureaucratie, plus de méritocratie et de facilitation des affaires

  • « ‘The Economist’ a déjà averti qu’il se pourrait qu’il y ait une récession mondiale cette année »

« ‘Business Mauritius’ l’a dit. L’économie doit être recentrée comme LA priorité. Depuis quelques années, le gouvernement a pris beaucoup de mesures dans la perspective des élections générales. Maintenant que celles-ci sont derrière nous, des mesures doivent être prises pour renfoncer l’économie et la rendre plus résiliente. ‘The Economist’ a déjà averti qu’il se pourrait qu’il y ait une récession mondiale cette année. Il est plus que grand temps qu’on prenne des mesures pour encourager les investisseurs à faire des affaires à Maurice. Ce qui est très difficile actuellement puisque les coûts du ‘business’ augmentent.

La « Workers Rights Act » rend encore plus difficile le recrutement en raison des contraintes qu’elles entraînent. C’est sans nul doute une loi qui protège les travailleurs, mais en même temps il est primordial de créer l’emploi.  Est-ce que les Petites et Moyennes Entreprises (PME) pourront recruter un jeune sans formation et sans expérience avec un salaire de Rs 10 000 ?

Depuis la prise du pouvoir du nouveau gouvernement, les choses ont été quelque peu calmes. J’espère que nous ne nous retrouverons pas dans une situation où il y a beaucoup d’instabilités, comme cela a été le cas durant le dernier mandat du gouvernement, surtout au niveau des institutions. Des scandales tels que Alvaro Sobrinho, des cas de favoritisme au niveau de la FSC et de la Banque de Maurice et l’ancienne présidente de la République, entre autres, envoient un très mauvais signal à la communauté des affaires. On s’attend donc à moins de cas de favoritisme et de bureaucratie et plus de méritocratie et de facilitation des affaires. La création d’un environnement plus « conducive to do business » s’avère être un ‘must’.

 Plan social

Créer une économie prospère pour éviter une crise sociale

  • « Le manque d’emplois pour les jeunes les pousse vers les fléaux sociaux »

« Il faut d’abord faire la distinction entre les problèmes sociaux et les problèmes sociétaux. Ces derniers semblent avoir pris de l’ampleur ces derniers temps. Je me demande si les ONG et les associations socio-culturelles jouent leur rôle comme il se doit. Le paradoxe, à mon avis, c’est que nous vivons dans un pays où il y a des fêtes religieuses tout au long de l’année, mais il y a aussi, en même temps, beaucoup de violences, notamment envers les femmes. C’est une contradiction qui m’échappe.

La crise sociale, pour sa part, est aussi le résultat d’un malaise économique. Le manque d’emplois pour les jeunes les pousse vers les fléaux sociaux. Le même scénario se répète quand le pouvoir d’achat baisse. Il y a donc une corrélation entre les problèmes économiques et la crise sociale.

La classe politique doit aussi donner le bon exemple en se comportant de façon intègre. Ce qui reflètera certainement sur la société.  Mais, si vous avez des politiciens qui n’utilisent le pouvoir que pour remplir leurs poches, pour caser leurs proches dans des postes importants, il est quasi certain que les gens réfléchiront de la même façon et qu’ils chercheront aussi à avoir leurs « bouttes », en faisant fi du système. Au final, personne ne respectera les règles du jeu. L’état de droit ne sert à rien si on ne croit pas dans la méritocratie. Un gouvernement a tout à gagner quand la population croit dans des valeurs telles que la rigueur au travail, l’épargne, le respect des droits, la discipline et la méritocratie. Mais si les leaders politiques, notamment ceux du gouvernement, donnent eux-mêmes le mauvais exemple, les choses se compliquent,  surtout quand on sait que l’actuel régime n’a été élu qu’avec 37% de l’électorat. Si une crise économique surgit demain et que le gouvernement n’a pas le soutien de la population, il aura certainement du mal à gouverner.

Jusqu’ici, le gouvernement a pris des mesures pour atténuer la crise afin que la situation ne s’explose pas. Mais en fin de compte « prevention is better than cure ». Le meilleur moyen pour éviter une crise sociale, c’est d’avoir une économie prospère où les jeunes diplômés surtout obtiennent du travail. Pour y arriver, il faut diversifier l’économie et créer de nouveaux secteurs. Il faut qu’il y ait une flexibilité dans l’environnement du travail et pour que les entreprises puissent recruter. Or, il y a beaucoup de rigidité actuellement avec la « Workers’ Rights Act ».

Les mesures palliatives et les subventions, rappelons-le, ont un coût. C’est pour cela que je préfère qu’on ait une économie prospère, qu’on produise, qu’on exporte, qu’on investisse, qu’on améliore le pouvoir d’achat, qu’on créé des emplois pour les jeunes – ce qui permettrait à la population d’être indépendante – au lieu qu’elle dépende de l’assistanat ou sur le gouvernement ».

Plan infrastructurel

La fourniture d’électricité et de l’eau demeure le principal souci

  • « La production des entreprises ne doit pas être déstabilisée à cause des coupures d’électricité »

« Il y a pas mal de projets infrastructurels qui ont été réalisés depuis les quinze dernières années, soit depuis 2005. Le « road decongestion program », par exemple, avait été mis en place depuis 2008 ou 2009. La construction de nouvelles routes et de nouveaux autoponts s’insère dans le cours normal des choses. Évidemment, les infrastructures routières prennent du temps pour être concrétisées. Par contre, en ce qu’il s’agit du projet Metro Express, je dois dire que j’ai des réserves sur sa rentabilité.

Parmi les défis infrastructurels majeurs durant les cinq ans à venir, on relève surtout la capacité en terme de fourniture d’électricité. Le métro roule d’ailleurs avec l’électricité. Il faudra trouver un moyen pour gérer les ‘peaks periods’, car la production des entreprises ne doit pas être déstabilisée à cause des coupures d’électricité.

La fourniture d’eau demeure également une priorité. On parle d’une fourniture 24/ 7, mais il faudra qu’elle soit aussi étendue dans des régions commerciales et industrielles, surtout dans un contexte où des villas sont constamment en construction. On sait à quel point celles-ci bouffent de l’eau.

La productivité dans le port doit aussi être prise en considération, car c’est un facteur important dans notre stratégie d’exportation. Il faudra conclure un accord pour qu’on puisse faire des transbordements dans le port pour plus d’efficacité et de rapidité. Il faudra aussi agrandir la capacité de l’aéroport et adopter une politique d’accès aérien afin de trouver de nouveaux marchés porteurs tant pour nos exportations de biens que pour le marché touristique.

Puisque Maurice est une île entourée de l’océan, la connectivité, qu’il soit par accès aérien et portuaire ou à travers l’informatique (l’internet), reste une préoccupation importante. Avec un peu de vision, d’ici cinq ans, Maurice devrait être une « wireless island » où tout le monde pourrait avoir un accès facile au wifi dans toutes les régions ».