[VIDÉO] Reza Uteem :« Obligation légale de réduire la dette publique à 50% du PIB alors qu’on a déjà dépassé les 65% »

L’économie demeure au centre de toutes les préoccupations en ce début de mandat du nouveau régime. Ce n’est pas le député du MMM, Reza Uteem, qui nous dira le contraire. L’élu mauve de la circonscription no. 2 fait un tour d’horizon sur les premiers mois du gouvernement…

 

Zahirah RADHA

 

Q : Le gouvernement a déjà franchi le cap des 100 jours de grâce. Quels sont les facteurs qui ont ponctué ses trois premiers mois au pouvoir ?

Cette période a surtout était marquée par le silence radio du gouvernement sur la relance de l’économie. Chaque ministre des Finances a son propre style, mais on s’est habitué quand même à ce que le nouveau titulaire à ce poste fasse une série de rencontres avec les opérateurs des différents secteurs pour leur faire part de la vision économique du gouvernement. Or, il n’y en a pas eu cette fois-ci.

Entretemps, les secteurs traditionnels que ce soit l’industrie cannière, le manufacturier, le tourisme ou l’offshore, passent par des moments de crise. Tout ce que l’on sait pour l’heure, c’est que le gouvernement a, à travers un communiqué, confirmé avoir utilisé Rs 18 milliards des réserves de la Banque centrale pour rembourser des dettes. Par contre, le ministre n’a pipé mot sur ce qu’il compte faire pour réduire la dette publique ou le déficit de la balance commerciale. Il y a  donc une grande déception sur le plan économique.

Ce qui se passe sur le plan éducatif est aussi très inquiétant. Ce n’est pas possible que Rs 17 milliards soient injectées dans le système éducatif mais qu’au final, 70% des élèves de 16 à 18 ans ne puissent accéder au HSC. Que fait-on de ces 13 000 étudiants qui ne pourront faire le HSC ? Les polytechniques ou l’IVTB dont parle la ministre de l’Éducation ne peuvent qu’absorber 2 500 à 3 000 élèves. Que se passe-t-il pour les 10 000 restants ? Demande-t-on à ces jeunes de 16 à 18 ans d’aller sur le marché du travail sans qu’ils n’aient de formation ?

Et puis, il y a aussi eu les promesses électorales non-tenues par le gouvernement, dont celle concernant le paiement du SCGB. On avait promis de les rembourser avant la fin de l’année dernière, mais après quatre mois, on ne voit toujours rien venir. C’est également la désillusion du côté des chauffeurs de taxis. On avait promis de leur donner Rs 100 000, mais on parle maintenant d’une réduction sur la TVA. C’est donc la déception.

 

Q : Lors de votre intervention sur le discours programme, vous avez fait état de « belles annonces » mais peu d’actions ou de moyens pour les réaliser. Pouvez-vous élaborer ?

Le gouvernement fait état de sa vision d’entrer dans la cour des grands comme un ‘high level income earning country’. Mais si on a de l’ambition, on doit aussi se donner les moyens de les réaliser. Il n’y a absolument rien dans le discours programme qui nous explique comment le gouvernement sortira de ce ‘middle income track’ sur lequel Maurice se trouve pour arriver à celui d’un pays à revenu élevé.

Et comme je l’ai déjà dit, le ministre des Finances ne dit pas comment il compte relancer l’économie. Prenons les PMEs, on connaît tous quels sont les problèmes qui les affectent puisqu’ils ne datent pas d’aujourd’hui. Mais est-ce que le gouvernement vient de l’avant avec un nouveau programme pour relancer les PMEs et pour qu’ils aient accès aux nouveaux marchés ? Non ! Il n’y a rien de nouveau.

Q : Les indicateurs économiques ne sont guère reluisants. N’est-ce pas le moment ou jamais pour que le gouvernement prenne le taureau par les cornes et replacer l’économie au centre de ses priorités, comme souhaité par le secteur privé ?

Tout à fait ! Au gouvernement, on ne parle que de l’amélioration de Maurice dans l’indice ‘Ease of Doing Business’ publié par la World Bank. Très bien. Mais posez-vous la question, si on fait autant d’efforts pour faciliter l’investissement à Maurice, pourquoi les investisseurs ne viennent-ils pas? Pourquoi les investisseurs locaux n’investissent pas ? Where are we getting it wrong ? C’est cette question que le gouvernement doit se poser.

On a un excédent de liquidités, mais il n’y a pas de projets. Qu’est-ce que le gouvernement compte faire pour justement trouver de nouveaux créneaux d’investissements ? Je vous donne un simple exemple. Sur le plan manufacturier, que fait-on pour cibler les grands groupes internationaux pour qu’ils viennent s’implémenter à Maurice ? A-t-on une stratégie à l’Afrique ou à la Chine ? On ne fait que signer des conventions de libre échange avec la Chine, mais que fait-on pour y vendre le produit Maurice ? Zéro. C’est le silence radio encore une fois.

Q : Comment le gouvernement peut-il accomplir cette tâche herculéenne qui l’attend ?

C’est là qu’il lui faut avoir un partenariat avec le secteur privé, et ce dans tous les secteurs d’activités. Tout le monde sait, par exemple, que les petits planteurs abandonnent la canne parce qu’elle n’est plus économique. On sait aussi que les usiniers demandent un prix plus élevé pour la bagasse et que les IPP (Independent Power Producers) réclament une hausse du tarif d’achat de l’électricité par le CEB. Le gouvernement aurait dû ainsi faire une table ronde pour réunir toutes les parties concernées et de trouver une solution. Qu’on le veuille ou pas, on a besoin de l’industrie cannière. Ce secteur ne concerne pas que le sucre, mais il a aussi un impact environnemental qu’on ne peut pas ignorer.

D’autre part, on ne peut pas parler d’énergies renouvelables quand on n’encourage pas la plantation et par conséquent la bagasse pour qu’on puisse éventuellement générer de l’électricité à partir de la biomasse. Il faut donc une approche globale du gouvernement. Et ce ne sera possible qu’avec l’apport du secteur privé.

Q : Les récents développements à la Banque de Maurice, survenu après l’utilisation de Rs 18 milliards des réserves, vous interpellent-t-ils ?

Absolument. La Banque de Maurice est une institution extrêmement importante. Non seulement règlemente-t-elle tout le secteur bancaire, mais elle a aussi un rôle important à jouer dans la politique monétaire. C’est elle qui contrôle l’inflation à travers les taux d’intérêts et c’est elle également qui décide du taux de change. Raison pour laquelle il nous faut une Banque de Maurice qui est indépendante et qui peut dire non au gouvernement au cas où une de ses décisions n’est pas dans l’intérêt du pays.

Q : Mais à travers les récentes nominations qu’il y a eu à la tête de cette institution, y a-t-il une indication que le gouvernement veut y avoir une mainmise ? 

On ne peut pas le commenter pour l’heure. Let’s wait and see.

Ceci dit, la Banque de Maurice avait déjà démontré dans le passé et à travers son comportement,  qu’elle était loin d’être indépendante. Surtout quand elle avait décidé de révoquer la licence de la Bramer Bank à minuit. Elle avait prouvé qu’elle était partie prenante d’une politique revancharde vis-à-vis du groupe BAI. On a aussi vu comment la Banque centrale avait défendu la décision du gouvernement d’utiliser Rs 18 milliards du ‘special reserve fund’ alors que la loi n’avait pas encore été amendée et que c’était illégal d’utiliser ces réserves pour le remboursement des dettes du gouvernement. Durant ces dernières années, le comportement de la Banque de Maurice était loin d’être celui d’une institution indépendante. Maintenant, si des personnes proches du gouvernement sont nommées à la Banque de Maurice, ce sera catastrophique pour l’indépendance de la Banque centrale.

Q : N’est-ce pas ironique qu’on ne parle que de l’économie, mais qu’on n’entend à peine le principal concerné, plus particulièrement le ministre des Finances ?

Chacun a son style. Mais il devra bientôt parler. On a déjà annoncé que la dette publique a augmenté au lieu de baisser. C’est maintenant à lui de venir nous dire ce qu’il fera pour la baisser. D’ailleurs, le gouvernement a une obligation légale de réduire le pourcentage de la dette publique à 50% du PIB alors qu’on a déjà dépassé les 65%. On est donc loin du target.

Q : Suite à la pression de l’opposition, le gouvernement a finalement fait marche arrière sur le dernier appel d’offres pour les produits pétroliers. Est-ce un soulagement ?

Ce n’est pas tout à fait un soulagement dans la mesure où, jusqu’à maintenant, le gouvernement n’a toujours pas dit si la cargaison de pétrole importée par Vitol contenait un fort taux de manganèse et s’il a endommagé des véhicules. Mais le gouvernement ne peut pas s’en sortir puisqu’un rapport est attendu. S’il démontre qu’il y avait effectivement un taux excédentaire de manganèse dans une des cargaisons de pétrole, il faudra savoir à qui revient la faute. Est-ce celle de Vitol qui n’a pas respecté les spécifications ou est-ce la faute de la STC qui, soit n’a pas précisé les spécifications qu’il fallait ou soit ne les a pas supervisés ? Dans n’importe quel cas de figure, soit Vitol soit la STC devra indemniser tous ces véhicules qui ont été endommagés. Ceci dit, nous sommes d’accord pour qu’il y ait un nouveau tender, mais il devra spécifier le taux de manganèse dans les ‘terms of reference’.

Q : Le Premier ministre, lors d’une de ses récentes interventions, a fait appel à une culture de zéro tolérance pour combattre la corruption et les crimes financiers. Rassurant ?

What a joke ? Ce n’est pas crédible du tout ! Le rapport de Transparency International prouve clairement que Maurice a dégringolé dans le classement de la lutte contre la corruption. Cela en raison des nombreux cas de népotisme et de passe-droits. Tant que l’ICAC est ce qu’elle est aujourd’hui, il ne sera pas crédible pour que le gouvernement parle de politique de zéro tolérance. Ce n’est pas normal que l’ICAC engloutisse des centaines de millions de roupies annuellement, mais qu’il n’y a aucun résultat au niveau de la lutte contre la corruption.

Au fil du temps, l’ICAC est devenue un instrument politique à outrance. On l’a d’ailleurs vu durant les dernières élections. Un des assesseurs de l’ICAC, Shakila Jahangeer, a été candidate du MSM dans la circonscription no. 2 tandis que le fils d’un autre a été candidat du MSM à Quatre Bornes. Cela montre à quel degré le MSM a infiltré l’ICAC. Doit-on être étonné que l’ICAC n’ait toujours pas bouclé son enquête sur Choomka et Sumputh ? Pour moi, la déclaration du Premier ministre est une bonne blague, mais elle ne me fait pas rire.

Q : Le paiement du SCBG, comme vous l’avez évoqué plus haut, demeure l’un des points noirs du gouvernement. A-t-on joué sur les sentiments des victimes uniquement pour gagner des votes durant les dernières élections ?

C’est dommage que jusqu’à maintenant, le gouvernement a refusé que le Parlement siège les mardis. Ce qui nous prive le droit de poser des questions. L’une de mes premières questions parlementaires concerne justement le paiement du SCGB. Je suis personnellement attristé par cela parce que je connais beaucoup de victimes du démantèlement du groupe BAI et qui, je sais, avaient gardé l’espoir d’être remboursées.

Je me souviens que, durant la campagne électorale, il y avait une personne qui m’avait dit que le gouvernement a promis de les rembourser alors que le MMM n’a prévu que l’institution d’une commission d’enquête pour situer les responsabilités. Je pense qu’effectivement cette promesse électorale a eu une influence sur la façon dont certaines personnes ont voté. C’est très malhonnête que le gouvernement revienne aujourd’hui sur sa décision.

Q : Le gouvernement n’est qu’au début de son nouveau mandat. Comment s’annonce la tâche de l’opposition ?

On s’attend d’abord à ce qu’on nous laisse poser des questions au Parlement. On compte jouer notre rôle d’opposition pleinement. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’on a participé aux débats sur le discours programme. On soulève aussi des questions à l’ajournement des travaux. On va acculer le gouvernement sur toutes les défaillances et les failles qu’on voit, et éventuellement sur les scandales qui se dévoileront.