[VIDÉO] Premier semestre critique à l’horizon Eric Ng Ping Cheun : « Il faut des stratégies immédiates pour la relance de l’économie »

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Les six premiers mois de 2021 seront les plus critiques, d’autant que cette année sera encore dominée par la Covid-19. C’est l’observation faite par l’économiste Eric Ng Ping Cheun. « Je l’appelle l’an 2 de la pandémie car ses effets et ses répercussions nous affecteront toujours. J’espère qu’on sortira de cette crise sanitaire d’ici la fin de 2021 », dit-il d’emblée. Ce qui dépendra bien entendu de la disponibilité et de l’efficacité des vaccins disponibles. Mais entretemps notre économie devra-t-elle rester en suspens ? La réponse de notre interlocuteur est un NON catégorique.

eric_ng_ping_cheun« On ne peut pas tout mettre sur le dos de la Covid-19. Il faut mettre en place des stratégies pour rassurer les investisseurs aussi bien que les opérateurs mauriciens pour qu’ils puissent travailler dans un environnement serein et stable », fait-il ressortir. Et cela ne peut pas attendre la présentation du prochain budget prévu en juin prochain au risque de voir notre pays s’engouffrer davantage dans le marasme économique. Eric Ng Ping Cheun donne ainsi le ton : « La relance de l’économie repose surtout sur des réformes, la politique d’accès aérien, les stratégies de promotion que ce soit pour le tourisme ou l’investissement ainsi qu’une diversification de nos produits ».

Zahirah RADHA

 

Croissance

Pas de retour à la normale avant 2023

Les prochains six mois seront stagnants et la croissance pâtira encore cette année, note l’économiste Eric Ng Ping Cheun qui ne prévoit pas un retour à la normale avant 2023. « Nous avons connu une forte contraction l’année dernière, soit de l’ordre de 15%. C’est la première fois depuis 40 ans qu’on a eu une telle contraction. La situation ne changera pas durant les six premiers mois de cette année puisqu’on sera toujours dans la phase de contraction. D’ailleurs, le budget 2020-2021, dont l’année fiscale terminera en juin de cette année-ci, avait prévu une contraction de l’ordre de 7% du PIB. Ce qui prouve que nous sommes toujours dans cette phase de contraction. Une éventuelle reprise de l’économie, s’il y en a, ne sera possible qu’à partir du deuxième semestre de 2021. De plus, elle ne sera qu’un rebond technique avec une croissance très faible. Ce n’est qu’en 2023 que la production nationale, connue comme le PIB, retournera comme elle l’a été en 2019 », explique-t-il. Bien qu’il concède qu’un redressement de l’économie demeure suspendu à la sortie de la crise sanitaire, l’économiste souligne toutefois l’importance de mettre en place des stratégies pour que les entreprises privées puissent se relancer. « Le budget n’est prévu qu’en juin. D’ici là, il faudra impérativement prendre des mesures pour stimuler la relance », poursuit-il.

Les affaires politico-judiciaires prennent le dessus sur l’économie

Eric Ng Ping Cheun se dit inquiet par l’attitude du gouvernement. « Je ne sais pas si l’économie est vraiment la priorité du gouvernement actuel. Je note que le Premier ministre n’a pas fait d’allusion à l’économie dans son message à l’occasion du nouvel an, sauf d’effleurer le secteur touristique et l’ouverture des frontières. Je me demande si l’économie ne sera pas reléguée au second plan et si les affaires politico-judiciaires et les élections municipales ne prendront pas le dessus », soutient notre interlocuteur. La crise économique de 2020 ayant été aggravée par d’autres facteurs comme le Wakashio, l’inclusion de Maurice sur la liste noire de l’Union Européenne (UE) et des scandales à la pelle, il s’attendait à ce que le gouvernement se concentre sur l’économie cette année-ci.

« Personnellement, je pense qu’on ne sortira pas de l’auberge durant les six premiers mois de 2021. Les acteurs du secteur privé attendent de savoir ce que contiendra le deuxième budget qui sera présenté en juin prochain. Ils ont été surpris, l’année dernière, par certaines mesures comme l’introduction de la CSG alors qu’il n’y a pas eu de véritables réformes économiques et structurelles pour rendre l’économie résiliente. Tout ce que le pouvoir a fait en 2020, c’est d’imprimer la monnaie et d’augmenter la taxe et l’endettement public. La dette publique a atteint les 85% du PIB ! », dit-il sur un ton désapprobateur.

Il faudra que le prochain budget favorise la croissance économique et le développement des entreprises. « Le secteur public doit subir des réformes pour réduire la bureaucratie. Il faut également une rationalisation de l’état providence car celui-ci pèse de plus en plus lourd dans la balance publique. Un système de ciblage s’avère nécessaire », dit-il sans ambages.

Liste noire de l’EU

hotel-gouvernement-ile-maurice-11Une sortie de crise compromise par les divers scandales

Maurice sortira-t-il enfin de la liste noire de l’Union Européenne ? Le directeur de Pluriconseil le souhaite vivement bien qu’il semble légèrement sceptique. « On aura une première indication en février si on en sortira ou pas. Certains opérateurs du secteur offshore sont optimistes, d’autres le sont moins. Reste à savoir si les affaires Kistnen, Angus Road, l’opacité entourant l’octroi des contrats surtout durant le confinement et les nominations scandaleuses à la tête des institutions publiques n’impacteront pas sur la décision de l’UE. Ce sont de mauvais signaux qu’on envoie sur le plan international et cela pourrait compromettre nos chances de sortir de cette liste noire même si techniquement, on a fait du progrès ».

Tourisme

« Un secteur désemparé »

Le tourisme ne sera pas mieux loti cette année. L’absence d’un plan d’action efficace en serait la cause. « On s’attendait à une accélération de l’ouverture graduelle des frontières, mais elle est restée très partielle avec des conditions sanitaires très strictes qui découragent les touristes à venir à Maurice. Sans compter le flop total qu’a été le branding ‘sus island’ tandis que la stratégie de promotion du tourisme a été loin d’être ‘cost effective’. Ce qui fait que le secteur touristique est désemparé. Ce qui est encore plus grave, c’est qu’on perd nettement de visibilité au profit des concurrents régionaux comme les Maldives et les Seychelles », observe Eric Ng Ping Cheun. Le défi du gouvernement, admet l’économiste, c’est de pouvoir gérer parallèlement l’économie et la crise sanitaire sans toutefois tuer un secteur économique. « Gérer un pays, c’est de pouvoir gérer les risques », lance-t-il.

« Ce n’est que dans deux ou trois ans que le nombre d’arrivées touristiques atteindra de nouveau les 1,5 millions », prévoit-il. Entretemps, l’économie souffre en raison d’un manque à gagner énorme en termes de devises étrangères. « Il ne faut pas oublier que les recettes touristiques représentent environ un tiers de nos importations ». Les hôtels font également face à un problème de trésorerie. « Certes, le gouvernement subventionne une partie des salaires des employés de l’hôtellerie et certains opérateurs ont bénéficié d’un prêt de la ‘Mauritius Investment Corporation’ (MIC), mais ces aides financières devront être remboursées. D’où l’importance de générer des revenus. Ce qui dépendra bien entendu sur l’ouverture des frontières.

« Nombreux sont ceux qui pensent que celle-ci dépendra d’une éventuelle campagne de vaccination contre la Covid-19 à Maurice. Je pense, cependant, qu’il faut sérieusement considérer à alléger les contraintes sanitaires à partir du début du deuxième trimestre pour que le secteur touristique puisse se relever assez rapidement », martèle-t-il.

 Pertes d’emplois

Des licenciements à prévoir suivant une éventuelle reprise

licenciementBien que le nombre de pertes d’emplois soit inférieur des estimations de 100 000 faites par le ministre des Finances, l’inquiétude d’Eric Ng Ping Cheun reste entière. « À septembre 2020, le taux du chômage est désormais à deux chiffres, soit 10, 3 %. Celui-ci est considéré comme un chômage de masse », élabore-t-il. Ce qui le préoccupe le plus, c’est la restriction gouvernementale imposée sur les entreprises pour qu’elles ne licencient pas. « Cette stratégie qui vise à soutenir une entreprise à condition qu’elle ne licencie pas n’est bonne qu’à court terme. Puisqu’en se faisant, le gouvernement freine la restructuration des entreprises. Le paradoxe, c’est qu’au lieu de rebondir après la crise, c’est alors que celles-ci licencieront pour pouvoir se restructurer. On verra alors des licenciements en masse bien que la crise serait derrière nous », prévient-il.

Le manque de flexibilité à l’égard des entreprises amortit également les possibilités de recrutement. « Une entreprise qui ne peut pas se restructurer et qui fait face à un manque de revenus et une hausse du coût de production ne pourra logiquement pas recruter », souligne Eric Ng Ping Cheun. Le seul recruteur dans ce cas-ci demeure le gouvernement. Le danger toutefois, c’est que les finances publiques continueront à se détériorer.

Investissements

La diversification plus que jamais nécessaire

2020 a vu une baisse de l’ordre de 24% de l’investissement privé. Un rebond technique est ainsi envisagé cette année-ci. Pour que notre économie garde la tête hors de l’eau, des investissements au-delà des secteurs de la construction et de l’immobilier sont souhaités. « Une diversification de notre économie est nécessaire, d’autant qu’il n’y a pas de nouveaux secteurs depuis les dix dernières années. Pour cela, des investissements dans d’autres secteurs sont requis. Je pense notamment à l’industrie, la manufacture et les services professionnels, entre autres. Il nous faut une politique globale qui permet la création de nouveaux emplois, de nouvelles activités et des investissements dans de nouveaux secteurs.

Il faut qu’on monte en gamme et qu’on va vers de nouveaux produits qui sont en phase avec l’industrie 4.0, la numérisation et la digitalisation. Il nous faut donc attirer l’expertise étrangère. Mais malheureusement, avec l’introduction de la Contribution Sociale Généralisée (CSG), il n’est pas vraiment attrayant pour que des experts étrangers viennent investir à Maurice et de payer jusqu’à 9% de son salaire en termes de CSG », déplore notre interlocuteur.

Air Mauritius

Air_Mauritius_Airbus_A330-200_PER_Koch-1L’incertitude se prolonge

« C’est un problème qui perdure alors qu’on le croyait sous contrôle. Il faut qu’il y ait une certaine visibilité. Les employés doivent savoir où ils se situent. Est-ce que l’État va injecter de nouveaux capitaux dans la compagnie après l’enveloppe de Rs 9 milliards prévue à son intention dans le dernier budget ou trouvera-t-il des partenaires étrangers ? Il faut clarifier la situation, d’autant que la politique d’accès aérien est très importante pour attirer les investisseurs étrangers. Or, nous n’avons en ce moment que des vols vers Paris et Dubaï. Le fait que la ‘watershed meeting’ a été renvoyé pour juin 2021 au lieu de décembre 2020 nous plonge davantage dans l’incertitude durant ces six premiers mois de l’année ».

 

 Textile

Mauvaise passe pour le premier semestre

Photo D'illustrationMême si le textile mauricien s’en est sorti plutôt bien jusqu’ici, il sera néanmoins menacé durant les prochains mois en raison du reconfinement en vigueur en Europe et l’Amérique qui représentent nos principaux marchés. « Le textile passera inévitablement par une mauvaise passe au début de l’année. On espère toutefois que le marché européen pourra se relever d’ici le début du deuxième semestre », dit-il.

L’économiste se réjouit cependant des accords signés avec la Chine dans le cadre de la zone de libre-échange. « La Chine représente un grand marché et on pourra privilégier un ‘niche market’. Ce qui est aussi intéressant, c’est que les investisseurs chinois pourront utiliser Maurice comme une plateforme pour offrir des services financiers, professionnels et TICs, entre autres, aux pays africains », affirme-t-il.