[VIDEO] La mémoire vivante du port

Un vieil homme est assis sur un banc et contemple la rade de Port-Louis de ses yeux las. Il nous parle en anglais, en français et lâche quelques mots en grec, malgré le fait qu’il ait quitté l’école très jeune. Rencontre avec cet homme dont presque toute l’existence a eu un lien avec le port.

Kamil Fookeer, âgé de 73 ans, est aujourd’hui à la retraite. Cet ancien travailleur du port s’a donne beaucoup au social. Il se dévoue corps et âme pour le bien-être de ses semblables, et avec fierté, nous informe qu’il est le coordinateur de l’association de troisième âge de Port-Louis.

Comme tous ceux de sa génération, Kamil Fookeer est issu d’une famille modeste. Depuis sa tendre enfance, il accompagnait son père qui travaillait comme mécanicien au port. Ses yeux d’enfant ont été émerveillés par les navires et les bateaux venant d’horizons lointains, un émerveillement qui ne l’a jamais quitté. Curieux et voulant tout connaître sur les bateaux, il observait avec attention son père au travail. Il a fini par beaucoup apprendre sur les navires.

Fasciné par les bateaux, il faisait régulièrement l’école buissonnière et passait la plupart de son temps au port, à observer les cargos, et le va-et-vient des marins sur les quais.

Malheureusement, une tragédie viendra frapper à la porte des Fookeer. Son père va trouver la mort suite à une chute sur un chantier au port. Un jour qui hantera Kamil Fookeer à jamais. En tant qu’aîné, c’est lui qui assume le rôle de chef de famille et cela à un très jeune âge. Il a dû quitter les bancs de l’école pour pouvoir travailler, afin de prendre soin de sa mère et de pourvoir aux études de son frère et de sa sœur.

« Le décès de mon père et les risques liés aux métiers dans le port ne m’ont nullement découragé à suivre les traces de ce dernier », nous confie-t-il. Il commence donc à travailler dans son lieu de prédilection : le port. Il touchait Rs 18 par jour à l’époque. « Tigit tigit, mo fine ekonomize pou get la fami », explique-t-il. « Kuma carburant avion rentrer, samem premye zafer ti pe debarke akoz li danzere. Apre, nou ti pe debark diblé, sima etc. »

Il a connu plusieurs évènements qui ont affecté le port

L’expérience la plus précieuse de sa vie : il a pu faire la rencontre de plusieurs marins de divers pays, avec qui il a appris à parler le grec, l’anglais, le français ainsi que d’autres langues, malgré le fait qu’il ait quitté l’école très jeune.

Kamil Fokeer a été témoin des moments forts de l’histoire. Il a participé à la grève des dockers en 1972, en compagnie des syndicalistes du port et de Paul Bérenger. « La grève des dockers a été un moment très fort qui a fait bouger beaucoup de choses. Cette grève avait été le seul moyen pour nous de faire entendre notre voix », dit-il.

C’est à l’âge de 27 ans qu’il a connu sa femme, Nazma, aujourd’hui âgée de 66 ans. Au coin de la rue Condé, alors qu’il pédalait son vélo à l’époque connu comme ‘Biciklet mamzel’, leurs regards se sont croisés. Il se mettait alors tous les jours devant la maison de sa bien-aimée juste pour la voir passer, jusqu’au jour où il décide de faire le premier pas. « J’avais écrit une lettre et j’avais demandé à un ami d’aller la déposer. Au lieu de la laisser avec Nazma, il l’a quitté avec ma future belle-mère ! Après que le malentendu se soit dissipé, je lui ai dit que j’aimais sa fille et je voudrais me marier avec elle un jour. » Depuis, les deux ne se sont jamais quittés.

 

Un bricoleur né

Kamil Fokeer aime bien utiliser toutes sortes de vieux matériaux de récupération pour réaliser divers petits objets, qui impressionnent. Il collectionne également des pièces de monnaie de divers pays, qu’il a soigneusement étalées sur un canevas en bois avec une structure en forme de l’île Maurice, avec de très jolis coquillages qui donnent une vibration très créative et artistique.

Son seul regret reste la non allocation de pensions aux veuves dont les époux ont contribué à l’avancement du port. Il profite de cette occasion pour lancer un appel au Premier ministre de revoir les cas des veuves qui ne sont pas éligibles à une pension.