[VIDÉO] La « malédiction » du Wakashio

 

 

Environ une trentaine des pêcheurs de Vieux Grand Port sont dans une situation intenable après le déversement d’huile lourde dans les lagons de sud-est, suite au naufrage du MV Wakashio. Ces pêcheurs vivaient déjà dans des conditions difficiles dans des bicoques en bois et tôle, et nombreux d’entre eux ont fait face à la pauvreté tout le long de leur vie. Déjà affectés par le confinement, maintenant ils doivent affronter la catastrophe écologique. Ils ne peuvent pêcher dans la zone sinistrée et ses alentours, et personne ne veut consommer des poissons imbibés d’huile lourde. Qui plus est, ils n’ont aucune garantie à quant la situation retournera à la normale, ce qui pourra prendre des années.

Nous faisons la rencontre de Serge Laval Lolotte, un pêcheur âgé de 55 ans. Ce dernier habite Vieux Grand-Port depuis 29 ans.  Il habite seul dans une petite maison en bois et en feuilles de tôle. À l’intérieur, il y a un lit, une cuisinière à gaz et une armoire.

Serge compte 32 ans d’expérience comme pêcheur. Il a abandonné l’école à l’âge de 11 ans pour accompagner  son père, qui était  également pêcheur, en mer. Petit à petit, il a appris le métier de pêcheur, jusqu’aux bouts des doigts, et n’avait d’autre choix que de continuer dans cette voie. « À cette époque, c’était le seul moyen pour moi de gagner ma vie », nous explique-t-il.

Le sort a commencé à s’acharner sur Serge juste avant le confinement. Des fonctionnaires sont venus chez lui pour lui intimer de détruire sa maison, vu que pendant les grosses averses, des eaux boueuses envahissaient souvent sa maison. On avait proposé à Serge qu’il soit relogé dans un autre endroit, à deux pas de sa maison actuelle.

Serge devait donc démolir une partie de sa maison, qui était la plus affectée par les eaux. Mais c’était là où habitait son épouse, son fils et sa belle-fille. N’ayant plus de toit où s’abriter, ces derniers sont partis habiter chez un proche, et Serge s’est retrouvé seul.

Serge ne veut pas s’installer dans le nouvel emplacement indiqué par les autorités, car il n’y aura pas d’eau courante et d’électricité, et faute de moyens, il ne peut construite une nouvelle maison ailleurs. Il a donc choisi de continuer à habiter dans sa bicoque, fouettée par les eaux en furie durant les averses.

Pendant la période de confinement, le quinquagénaire devait aussi subir plusieurs moments pénibles. Il bénéficiait de Rs 5 100 sous le ‘Government Wage Assistance Scheme’ mais ce n’était pas suffisant pour lui. En outre, il devait se débrouiller seul car sa famille n’était pas là pour prendre soin de lui.

Rien que pour acheter des produits alimentaires et pour payer les factures d’eau et d’électricité, les Rs 5 100 se révélaient nettement insuffisantes. Des fois, il se retrouvait sans nourriture. Mais il a pu compter sur ses voisins, qui lui sont venus en aide, et aussi sur des bénévoles, qui lui rendaient souvent visite pour lui préparer un repas chaud.

Un regain d’espoir pour Serge après la levée du confinement. Il pouvait vendre à nouveau ses poissons aux banians et recevait environ Rs 500 par jour. « Toulezour, ti ena kass dans la main…. Ti pe kapav acheter manger », dit-il.

Puis, le 25 juillet, le MV Wakashio devait venir s’échouer sur les récifs, un jour maudit pour Serge. « Kot sa mofinn la fine sorti ? », lâche-t-il.

Il ne peut plus sortir en mer pour aller pêcher. Maintenant, il doit attendre jusqu’à la fin du mois pour bénéficier de l’aide financière de Rs 10 200 de la part du gouvernement.

Le ministère de la Pêche devait aussi offrir aux pécheurs Rs 800 quotidiennement pour retirer l’huile lourde déversée par Wakashio du lagon. Serge s’est jeté sur l’occasion. Mais il avait été précisé que les pêcheurs devaient travailler seulement trois heures par jour, pour leur propre santé.

Maintenant, ce travail a été alloué à la compagnie Maxiclean. Cette entreprise a imposé de nouvelles conditions, qui ne sont pas au goût des pêcheurs.

Ces derniers doivent maintenant bosser selon une rotation de deux tranches, de 8 h 30 à midi et de 13 h à 16 h. Mais les pêcheurs ne toucheraient que Rs 500, contre Rs 800 précédemment. Ces derniers crient à l’injustice car le ministre de la Pêche n’est jamais entré en contact avec eux pour les informer de ce changement.

Mais les tracasseries pour Serge ne vont pas s’arrêter là. Plusieurs fois, il avait commencé à travailler, mais a dû s’arrêter après que les responsables des Fisheries lui ont dit que son nom ne figurait pas sur la liste des personnes qui se sont enregistrées pour ce travail. Cela s’est produit à plusieurs reprises. À chaque fois, son nom n’apparaissait pas sur cette liste, malgré le fait qu’il s’est fait inscrire de nombreuses fois. « Kuma pu trace la vie coumsa ? », s’insurge le pêcheur.

Qu’importe, il devait passer plusieurs heures à pomper du fioul du lagon. Une odeur acre envahissait ses narines, et ses yeux piquaient. La santé de Serge s’est détériorée en peu de temps, et il souffre maintenant des yeux.

Serge jette un regard désabusé sur le lagon. Au large, on peut apercevoir la poupe du Wakashio. Selon lui, cela prendra plus de 6 ans avant que la situation ne retourne à la normale. Il dit que l’huile lourde a saturé nos lagons, et les poissons seront toujours impropres à consommer. « Oken dimun pa pu le mange poisson parski zot per sa kapav cause zot ban problem la santé », constate-il.

Avec anxiété, il se pose la question jusqu’à quand les pêcheurs continueront de bénéficier de l’aide financière de Rs 10 200, s’il n’y aucun changement de la situation dans les années à venir.

 

Bhimsem Beeharry : «  Ki pu ariv ban ti pêcheurs ? »

Nous quittons Serge et mettons le cap vers une autre petite maison en bois et en feuilles de tôle. Ici habite un couple de pêcheurs : Bhimsem Beeharry et sa femme. Ils ont trois enfants, âgés de 13 ans, 5 ans et 4 ans

Bhimsem nous partage les difficultés auxquelles sa famille doit faire face suite au déversement du fioul dans le lagon. Il nous explique que leur situation est critique, et cela depuis le confinement. Maintenant, avec la crise écologique et humaine provoquée par le Wakashio, Bhimsem et sa femme ne peuvent plus travailler pour nourrir leur famille. « Gouvernement pe aide nou, mais li pas assez… Kan nu ti pe travay, nu ti pe gagn plis ki sa », nous dit-il

Il doit trouver de l’argent pour s’acquitter des frais scolaires de ses enfants, et aussi pour les leçons particulières de son fils de 13 ans.

Comme un malheur ne vient jamais seul, son bateau a commencé à s’abimer, avec des fissures qui commencent à apparaître sur la coque, ce qui fait qu’il est dangereux, voire impossible, de naviguer sur cette embarcation. Toutefois, le pêcheur n’a pas les moyens de le faire calfeutrer.

En cas de mauvais temps, sa femme et lui doivent retourner à la maison. Or, la ‘Bad Weather Allowance’ est loin de suffire pour nourrir la famille.

Comme Serge Lolotte, il dénonce les agissements de la compagnie Maxiclean envers les pêcheurs. « Ki pu ariv ban ti pêcheurs kuma nous ? », lance-t-il d’une voix tenaillée par l’angoisse.

 

Le pire est à craindre

Selon les pêcheurs de Vieux Grand-Port, il y a encore beaucoup de fioul dans la mer.

Ils expliquent que les autorités ont retiré de l’huile lourde en bordure de mer et non pas dans les endroits le plus exposés par cette catastrophe. Par exemple, il existe toujours  des traces de fioul autour des mangliers.

Selon un porte-parole des pêcheurs de Vieux Grand-Port, après l’épisode des dauphins ou marsouins morts, d’autres poissons mourront dans les jours qui viennent.

Les bateaux des pêcheurs ont été aussi affectés, après avoir vogué dans l’huile lourde.

Ces derniers craignent que leur santé ne se détériore, après l’inhalation des vapeurs du fioul, qui aurait une certaine teneur en souffre.

 

                                                            Asraf Aullymun