[VIDÉO] Arvin Boolell : « Faux pas monumental du Premier ministre »

 

 

  • « Pas de walk-out même si l’on doit subir des humiliations »

 

Le leader de l’Opposition sort enfin ses griffes et se montre beaucoup plus ferme envers le Premier ministre et le gouvernement. Le Dr Arvin Boolell prévient : il ne se laissera pas intimider ou influencer par les tactiques délibérées de la majorité pour le déstabiliser. Il n’y aura pas de walk-out non plus, sauf en cas de force majeure ou si les leaders de partis de l’Opposition sont expulsés…

 

Zahirah RADHA

 

Q : La reprise des travaux parlementaires a été marquée par votre PNQ sur l’affaire Angus Road. Êtes-vous déçu de la réponse du Premier ministre ?

C’est toute la population qui est déçue. En se murant dans le silence, le Premier ministre se culpabilise davantage. Le silence n’est pas une option quand vous êtes chef de gouvernement. Un Premier ministre se doit être au-dessus de tout soupçon, comme la femme de César. Il ne faut pas oublier que les informations sur l’affaire Angus Road ont été véhiculées depuis quelque temps par nul autre qu’an ancien ministre du gouvernement de sir Anerood Jugnauth et qui devait également faire partie du gouvernement de Pravind Jugnauth.

Rappelons aussi que Roshi Bhadain, en tant que ministre de la Bonne gouvernance et des services financiers, avait introduit une loi concernant les ‘unexplained wealth’. Le Premier ministre s’était porté volontaire pour donner des informations. Cette affaire était d’ailleurs l’une des raisons que j’avais évoquée pour réclamer le rappel du Parlement dans la lettre que j’avais adressée au Premier ministre. Je ne pointe jamais du doigt quelqu’un avec légèreté. Le PM a donc l’obligation de dire toute la vérité puisque la population a le droit de la connaître.

 

Q : Vous attendiez-vous vraiment à ce que le Premier ministre réponde alors qu’il y a une enquête de l’ICAC en cours ?

Se réfugier derrière l’ICAC ou faire des déclarations de mauvais goût en se prémunissant de l’immunité parlementaire ne l’aideront pas. Il ne peut pas continuer à opérer dans l’opacité et il a l’obligation de dire la vérité puisque cette affaire relève de l’intérêt public. Il est vrai qu’il n’y a pas de « Public Interest Litigation » à Maurice. Certaines personnes estiment qu’il fallait émettre un ‘mandamus order’ contre l’ICAC pour qu’elle soit obligée de réagir.

Là où le bât blesse profondément, c’est quand ce soit l’intégrité du gouvernement qui est à risque, des sanctions sont prises dans les plus brefs délais et on l’a vu dans plusieurs cas. Pourtant, l’ICAC est supposée être indépendante. Trop c’est trop. Le Premier ministre ne peut plus brandir des menaces de sanctions. Il faut qu’on sache quelle est la ‘source of funds’ avec lesquels il a fait l’acquisition de ces terrains valant Rs 33 millions en moins de huit ans, surtout quand il évoque lui-même la transparence, la bonne gouvernance ou l’‘explained wealth’, entre autres.

Il ne faut pas oublier que la section 18 de la FIAMLA a été amendée sous le gouvernement dirigé par ce même Premier ministre. Même si le ‘deed of sale’ avait été signé auparavant, il a le devoir de s’expliquer sur la source de ses financements.

 

Q : Il a quand même travaillé et a été ministre et Premier ministre pendant plusieurs années…

Je ne vais pas entrer dans tous les détails, mais ce qui m’inquiète aussi, c’est qu’il y a eu, selon mes informations, des paiements en espèce. Ce qui va à l’encontre de la loi. Celle-ci ne permet pas des transactions au-delà de Rs 500 000 en espèce. Il peut faire l’acquisition des biens, mais il faut qu’il explique la source de financement. Ce n’est pas seulement l’individu qui est concerné, mais aussi le pays. Dans un contexte où Maurice figure sur la liste noire de l’Union Européenne et qu’on se démène comme un beau diable pour sortir de la liste grise de la FATF, on ne peut pas mettre en péril le secteur financier, où beaucoup de jeunes sont employés en leur envoyant des signes contradictoires parce que le chef du gouvernement refuse d’opérer dans la transparence.

 

Q : Le DPP a une fois de plus été mêlé aux travaux parlementaires. Pensez-vous que ce soit une tactique pour vous débalancer sur le plan personnel ?

Vous aurez remarqué que je n’ai ni réagi ni fait de déclaration à ce sujet alors qu’ils croyaient m’atteindre en faisant des accusations sans fondement. Il ne faut pas oublier qu’il y a eu un cas en Cour où le DPP a eu gain de cause. Les circonstances dans lesquelles le gouvernement voulait venir de l’avant avec la ‘Public Prosecution Commission’ et dans lesquelles le PMSD avait démissionné du gouvernement sont connues de tous. La ‘political arm’ de l’exécutif voulait avoir une mainmise sur le bureau du DPP, indépendamment de celui qui est à sa tête.

 

Q : Mais pourquoi cet acharnement contre le DPP ?

Le bureau du DPP, qui compte en son sein des professionnels compétents, opère en toute transparence et demeure un rempart contre les abus. Outre la mainmise que le gouvernement voulait avoir sur les décisions prises par le bureau du DPP, il y avait aussi eu une tentative d’arrêter le DPP dans des circonstances que l’on sait et avec la complicité de qui l’on sait. C’était au moment où l’affaire Medpoint était en Cour. Il faut, de grâce, que les institutions puissent fonctionner. Il doit y ait une séparation de pouvoirs entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire.

 

Q : N’y a-t-il pas une provision dans les ‘standings orders’ qui empêche un parlementaire d’attaquer arbitrairement un poste constitutionnel ?

Je laisse le Premier ministre à ses débilités ! Il est clair qu’il est acculé, qu’il opère dans l’opacité et qu’il se cache derrière l’immunité parlementaire. S’il y avait un Speaker impartial, indépendant et intègre, surtout après qu’il ait fait l’objet d’une motion de censure, il aurait rappelé le Premier ministre à l’ordre. C’est ce dernier qui dû être appelé à ‘withdraw’ ses propos au lieu de me demander de le faire sans même savoir ce que j’ai dit. Si c’est cela la démocratie parlementaire, alors ‘I feel sorry for my country’. Le Premier ministre et le Speaker mettent la démocratie en péril. Je les appelle les pyromanes de la démocratie parlementaire.

 

Q : N’est-ce pas l’heure pour que l’Opposition revise sa stratégie face à cette tentative de bafouer la démocratie parlementaire ?

Au contraire, notre coordination au niveau du Parlement porte ses fruits. J’ai à mes côtés deux leaders chevronnés qui sont des parlementaires de grande expérience. C’est chagrinant que le Dr Navin Ramgoolam ou d’autres personnes d’expérience ne soient pas au Parlement. Mais la coordination, la collaboration et la concertation se poursuivront entre les trois partis. L’essentiel, c’est qu’il y ait un fil conducteur. Malheureusement, Rajesh Bhagwan a été encore suspendu par le Speaker. C’est un vétéran qui est peut-être provocateur dans ses propos, mais pour un Speaker qui sait présider une séance, le ‘taming of the shrew’ est facile. Pour revenir à votre question, je suis très satisfait du travail qui se fait au niveau des trois groupes parlementaires de l’opposition.

 

Q : Mais vous êtes-vous concertés sur la stratégie à adopter en cas de suspension, par exemple ? Assisterons-nous toujours à des ‘walk-out’ qui arrangent l’affaire du gouvernement ?

Il y a une coordination au niveau des règles établies, mais il n’y a cependant pas de code de pratiques. On essaie de faire de notre mieux pour résister aux provocations de la majorité et à l’impartialité du Speaker, mais on est tous humain. Il se peut qu’on se laisse emporter. Si demain, le leader de l’Opposition ou les leaders du groupe sont expulsés, il faut qu’on sorte en guise de solidarité. Cependant, s’il y a des suspensions individuelles, comme dans le cas de Rajesh Bhagwan, on sera bien sûr solidaire, mais il n’y aura pas de walk-out. On restera au Parlement pour continuer le travail. Cela même si l’on doit subir des humiliations ou même si nos droits en tant que parlementaires sont bafoués. L’intérêt du pays passera d’abord.

 

Q : Ne faut-il pas aussi une présence plus accrue sur le terrain pour dénoncer, mobiliser et rallier la population à la cause de l’Opposition ?

On dénonce avec force au niveau de nos circonscriptions. Prenons le cas de la campagne des élections villageoises. On a bien entendu exprimé notre soutien aux partis proches de l’Opposition, mais de règle générale, on ne s’implique pas directement dans ces élections…

 

Q : Pourtant le Senior Minister Alan Ganoo l’a fait !

J’allais y venir. Quand un ministre s’ingère ainsi dans les élections villageoises, cela prouve clairement que les règles de la ‘grassroot democracy’ sont faussées. Un soutien de l’État implique l’utilisation de l’appareil d’État. Il se montre extrêmement partisan dans son approche et démontre que dans ce pays, les droits et la méritocratie sont bafoués. En se comportant ainsi, essaie-t-il de forcer sa position auprès du Premier ministre, déçu qu’il l’est de ne pas avoir été nommé vice-Premier ministre ? Ces élections, qui ‘cut across’ la politique, sont mal parties. Il y a une ingérence vulgaire et grotesque.

Q : Plus qu’une ingérence vulgaire et grotesque, ne s’agit-il pas plutôt de bribes électorales ?

Les candidats doivent être vigilants. J’attends aussi à ce que la commission électorale soit vigilante. Il est clair qu’Alan Ganoo ne parlait pas de programme gouvernemental. C’est inquiétant.

Nous dénonçons aussi avec force la campagne à fort relent communal, la fraude et la corruption, la situation inquiétante concernant la drogue et les crises auxquelles on est confronté quotidiennement. La pauvreté risque de résulter en une explosion sociale.

Quand le gouvernement est acculé, il joue la carte communale pour détourner l’attention et il fait une utilisation outrancière des appareils d’État pour l’aider dans sa sale besogne.

 

Q : Comment l’Opposition y fera-t-elle face ?

Il faut les dénoncer avec force. Heureusement, il n’y a pas eu de mainmise totale sur la presse. Celle-ci a résisté et a maintenu ses valeurs et son indépendance en dépit des difficultés. Ceci dit, j’avais été le premier à dénoncer le ‘money politics’ et les ‘deep fake news’. Le gouvernement fait usage de la stratégie soit menottes soit carotte.

En passant, il y une personne qui est décédée de façon très mystérieuse dans la circonscription no. 8. Les informations que j’ai eues y relatives sont d’une extrême gravité. Elles concernent l’allocation de contrats, des relations avec une VVIP de la localité et la gravité de la situation a entraîné mort d’homme. Si on ne dénonce pas, il y a aura une montée en puissance de la force de l’argent, de la manipulation d’informations et de la culture de violence. On vit dans une situation où la crainte et la frayeur créent une psychose.

 

Q : Comme ce rallye où des armes tranchantes ont été brandies et qui donne l’impression qu’on vit dans un système d’impunité où tout est permis ?

Il y a eu, depuis les élections de 2014, une politique de vengeance. On vit dans de État de droit où règne le ‘rule of law’. Est-ce que ceux qui portent des armes offensives peuvent faire ce qu’ils veulent au vu et au su de la force de l’ordre et de la paix ? Est-ce qu’on peut tolérer que des personnes détiennent des armes offensives sans qu’ils n’aient de permis ?

J’ai évoqué la question avec le Commissaire de police en faisant ressortir que la loi est claire et qu’il lui faut passer à l’offensive. Il m’a assuré qu’il y a une enquête en cours. Je lui ai dit que c’est le moment de lancer un appel à tous ceux qui possèdent des armes illégales de les retourner à la police dans un certain délai, faute de quoi la loi devrait être appliquée.

On ne peut pas tolérer une montée de la campagne communale. Je blâme le gouvernement ainsi que le Premier ministre pour leur silence de culpabilité. Soit il est le Premier ministre de tous les Mauriciens, soit il ne représente que ses propres intérêts, caractérisés par le mercantilisme au détriment de l’esprit d’unité.

 

Q : Une accusation faite par le PM à l’encontre des États-Unis relative au dossier Chagos a été démentie par l’ambassade américaine. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?

C’est un cinglant démenti qui met en doute la véracité des propos tenus par le Premier ministre. Il y a une façon de dire les choses et d’envoyer un message. Nous sommes tous fiers du ‘ruling’ de l’‘International Court of Justice’ (ICG) et on veut tous qu’il soit respecté. Mais il est aussi vrai que ce n’est qu’une ‘advisory opinion’ et qu’elle n’est pas ‘binding’. Mais on a le soutien des états membres et c’est un avantage que l’on a.

Il ne faut cependant pas qu’on devienne hystérique. Étant acculé au Parlement, le Premier ministre fait des déclarations intempestives et irréfléchies qui démontrent sa petitesse d’esprit. Il semble être étranger à la diplomatie et aux réalités de la géopolitique. Il oublie que notre pays est ‘export-oriented’ et qu’il nous faut négocier pour préserver nos marchés, d’autant en tant que ‘high income country’, on ne sera plus éligible pour bénéficier de l’AGOA. Mais il ne faut pas pour autant qu’on remette en cause notre souveraineté, notre intégrité territoriale ou notre dignité comme un État souverain.

Pour résumer, le Premier ministre a fait un faux pas monumental en utilisant un langage provocateur qui démontre sa petitesse d’esprit.

 

Q : Les élections présidentielles aux États-Unis auront-elles une incidence quelconque sur le dossier Chagos ?

De par ses origines, Barack Obama, ainsi que son vice-président Joe Biden, avait toujours eu un attachement profond à l’Afrique. Mais il ne faut pas se leurrer. Les États-Unis ne changeront pas leur position et ils seront intraitables sur le dossier Chagos.