[VIDEO] Ameenah Gurib-Fakim :  « J’étais un bon paravent pour les élections de 2014 »

  • « Pourquoi a-t-on a le BOI et la FIU ? N’est-ce pas leurs rôles de faire « due diligence» ? […] Pourquoi jeter tout le blâme sur la présidence quand le ministère des Services financiers et les autres institutions n’ont pas fait leur travail correctement ? »

 Se disant victime d’une cabale, l’ancienne présidente de la République n’épargne pas le gouvernement qui, soutient-elle, se serait servi d’elle avant de la lâcher. Bien qu’elle affiche une mine sereine, les larmes qu’Ameenah Gurib-Fakim tente de refouler à un certain moment trahissent ses émotions. Mais peu importe, elle se dit déterminée à servir son pays, avouant même ne rien regretter quant à son engagement à la présidence. « Si c’était à refaire, je ferais la même chose », dit-elle.

 Zahirah RADHA

 

Q : La vie après la présidence, c’est comment ?

Je voyage encore plus qu’auparavant. Cela était apparemment un problème quand j’étais à la présidence. Pour beaucoup, le voyage rime avec le tourisme. Pour moi, cependant, le voyage est un moyen de plébisciter Maurice sur le plan international. Je suis toujours très sollicitée de part et d’autre. Je viens de participer à quatre conférences la semaine dernière : La première était à l’ESCP à Paris où j’ai été faite Docteur Honoris Causa. Et puis, j’ai participé à une conférence à l’UNESCO avant d’enchaîner avec deux autres aux universités d’Oxford et de Cambridge.

 

Q : Vous avez des regrets quant à la façon dont vous avez été contrainte de démissionner de votre poste ?

Je n’ai pas de regrets. Je n’ai pas démissionné de mon propre gré. J’ai été contrainte à le faire. Ivan Collendavelloo et Pravind Jugnauth sont d’ailleurs venus me voir le 6 mars pour me demander de partir. Et qu’ont-ils fait après ma démission ? Ils ont mis une commission d’enquête, pas pour éclairer le public sur les activités de Sobrinho comme moi je l’avais fait, mais sur moi ! Qu’est-ce que le public a su finalement ? Il n’y a rien eu jusqu’ici puisque ce n’est pas moi qui avais introduit Sobrinho à Maurice.

L’affidavit de Rudy Veeramundar confirme d’ailleurs que des négociations étaient déjà en cours avant mon association avec le PEI. Le 15 avril, le groupe de Sobrinho avait déjà eu une rencontre avec le ministre des Services financiers d’alors. Moi, je n’étais associée qu’avec la fondation dont faisait partie des personnalités éminentes. Je n’étais concernée que sur les aspects philanthropique et éducatif. Ce qui correspondait au rôle que m’avait confié l’Union Africaine. Il y a une cabale qui a été montée contre moi. Je crois bien qu’il y a un agenda caché quelque part et j’espère que le public le saura un jour.

Q : Vous avez une idée de qui il s’agit ?

Je ne veux pas faire des allégations.

Q : Quelle est votre part de vérité dans toute cette affaire ?

Le public doit savoir que le président de la République ne peut rien faire sans que l’exécutif n’en soit au courant. Celui-ci était donc informé de toutes mes actions. Le Premier ministre avait été mis au courant quand j’avais lancé les bourses du PEI à la State House. D’ailleurs, des ministres y étaient présents. Tout a été fait dans la transparence et tout était publié sur les sites de la présidence et du « Government Information Service » (GIS). Le Premier ministre d’alors m’encourageait même dans mes actions. Quand la « Bill and Melinda Gates Foundation » m’avait approché pour faire les « advocacy works » de la science à travers le monde, le contrat était fait avec la State House, donc avec le consentement du gouvernement. Le compte à travers lequel le PEI finançait ses activités était ouvert auprès de l’« Accountant General ». Rien ne pouvait être plus officiel que cela.

Parlons maintenant de cette fameuse carte de crédit. Elle était liée au programme de « Bill and Melinda Gates », et non un cadeau de M. Sobrinho ! J’aimerais bien savoir qui a donné mes détails bancaires à l’Express. Ce sont des informations très privées. Comment y ont-elles atterri ? Est-ce que l’Express avait le droit de les publier ? Est-ce que le ministère des Finances a demandé à la Banque de Maurice d’ouvrir une enquête sur cette fuite puisqu’il s’agissait des détails bancaires d’un « sitting president » ? Ce sont des questions que je me pose et qui méritent une réponse. Quant à la carte du PEI, j’ai une autre carte identique. Les huit premiers numéros des deux cartes sont les mêmes. Quand j’ai réalisé que j’ai utilisé la carte du PEI par inadvertance, j’ai tout remboursé. Et ce n’est qu’un an après que tout a été révélé sur la place publique. À quelles fins ?

Q : Avec recul, avez-vous le sentiment d’avoir été utilisée simplement à des fins électoralistes ?

Je crois que les événements le confirment. J’étais un bon paravent puisqu’il s’agissait d’une bonne formule de proposer une femme musulmane apolitique durant la campagne de 2014. On dit que j’étais la nominée de Collendavelloo, mais je tiens à souligner que c’est Jugnauth qui avait proposé mon nom comme présidente de la République lors d’une conférence de presse.

Q : Qui au gouvernement vous a le plus lâchée en fin de compte ?

C’est le gouvernement dans son ensemble qui m’a lâchée. Personne n’est monté au créneau pour me défendre bien qu’ils étaient tous au courant de ma situation. Le gouvernement est même allé plus loin en instituant un tribunal pour me destituer.

Je dois aussi dire que j’ai été avisée par Yousuf Mohamed pour instituer une commission d’enquête. Il avait même délégué son junior pour rédiger les « terms of reference ». S’il m’avait dit que c’était illégal, vous croyez que je l’aurais fait ?

Je le redis haut et fort, personne n’a levé, ne serait-ce le petit doigt, pour défendre la présidente de la République qui était victime d’une machination quelconque.

Q : Si vous aviez l’occasion de tout refaire, qu’est-ce que vous auriez changé dans votre approche ou dans votre gestion de la présidence ?

Le président ne gère rien, contrairement à l’opinion publique. C’est le secrétaire à la présidence qui s’occupe de la gestion. Posez-vous la question : est-ce qu’au 21ème siècle, on peut se permettre d’avoir un président ou une présidente qui ne coupe que des rubans ? Si vous avez des compétences, ne faudrait-il pas les utiliser ? Qu’est-ce qui était répréhensible dans ce que je faisais ? N’aurais-je pas dû promouvoir l’agenda de l’Union Africaine, d’autant que ce soit le gouvernement qui avait approuvé ma nomination ? Ai-je mal fait mon travail au SGD6 au sein duquel c’est le gouvernement qui m’avait nommée ?

Vous savez, quand le gouvernement approuve la nomination de la présidente sur une commission, il doit aussi s’assurer qu’il y a un budget adéquat pour assurer les dépenses y relatives. J’étais nommée sur au moins trois grosses commissions, ce qui équivaut à un minimum de deux à trois déplacements par an. Cela a un coût. En 2016, il n’y avait qu’un budget de Rs 4 millions pour l’ensemble de la présidence, incluant les voyages des anciens présidents qui avaient coûté Rs 1, 2 millions. En janvier 2016, il ne restait que Rs 2, 8 millions pour les déplacements officiels du « sitting president » pour une année. Or, j’avais été appelée pour assister au COP 21 à Paris, à une conférence de l’Union Africaine, à la réunion de FOCAC et de présider une visite officielle en Inde. Vous croyez que tout cela est possible avec Rs 2, 8 millions ? N’oubliez pas que ces dépenses doivent être multipliées par quatre puisque le secrétaire et les gardes du corps accompagnent aussi le président durant ses déplacements. C’est pour cette raison que j’avais dû demander un « top up ». Sans oublier que je devais aussi me rendre au Pakistan pour une visite officielle qui avait, encore une fois, obtenu l’aval du gouvernement.

Q : Cette visite au Pakistan avait pourtant soulevé un tollé…

Qui a soulevé ce tollé ? Le Pakistan a bel et bien une mission diplomatique à Maurice. Ma visite était approuvée par le ministère des Affaires étrangères. Ses représentants m’avaient d’ailleurs accompagnée durant cette visite, tout comme ceux de la BOI, de la Chambre du Commerce et de la MBC. C’était une visite d’État. La signature des MoU avait même précédé mon déplacement. La tenue de la « Pakistan Week » était aussi approuvée par le gouvernement. Pour moi, ce n’était qu’une continuité des actions que le gouvernement avait déjà entreprises. Mais de là à venir ensuite dire que c’est moi qui ai initié la « Pakistan Week », c’est complètement faux ! C’était une volonté étatique.

 Q : En tout et pour tout, êtes-vous satisfaite de votre performance à la présidence ?

Je suis très honorée d’avoir pu servir mon pays. Je faisais le pont avec le monde. Outre des conférences et des publications, je faisais aussi la promotion de l’« interfaith and intercultural dialogue », ce qui est capital pour un pays multiculturel comme Maurice. On ne peut pas tout balkaniser. En tant que patriote, c’est mon devoir de promouvoir mon pays et je continuerai à le faire à ma façon.

Q : Vous pensez avoir été victime de votre engagement ?

Je n’emploierai pas le terme victime. J’ai fait le travail pour lequel j’étais payée, mais le public doit se poser des questions sur la façon dont on m’a évincée de la State House. Est-ce qu’on peut faire partir un président au travers d’un barrage médiatique qui a été orchestré quelque part ? I have been tried by the press

Q : En voulant trop faire, n’avez-vous pas finalement transgressé vos limites ?

Quelles sont les limites d’un président ? Les termes de références concernant la présidence se trouvent dans la Constitution. Que dit celle-ci ? Dit-elle qu’un président ne peut pas prendre position sur l’éducation ou qu’il ne peut pas avoir d’engagements vis-à-vis de la société ? Je le redis : J’ai fait le travail pour lequel j’étais payée et je n’ai aucun regret. Si c’était à refaire, je ferais la même chose.

Q : Est-ce qu’il faudrait revoir le rôle de la présidence ?

Absolument ! Il faut que le président soit actif et plus engagé. Il faut qu’il y ait un bilan « at the end of the day ». À travers le fameux PEI à l’époque, je voulais développer un hub pour que les jeunes puissent traduire leurs travaux de recherches en une entreprise. Mais il a été tué dans l’œuf !

Q : Vous regrettez votre association avec le PEI ?

Non, pas du tout ! Il n’existe plus maintenant, mais c’était une initiative louable. Comme je l’ai déjà dit, mon association avec le PEI était approuvée par l’État mauricien. Et mon rôle au sein du PEI cadrait avec la mission dont l’Union Africaine m’avait chargée de remplir, soit de m’associer aux philanthropes et au secteur privé pour promouvoir le « capacity building ».

Q : Aucun regret en dépit des démêlés d’Alvaro Sobrinho avec la justice ?  

Nous avons des institutions dans ce pays. Des ministres étaient venus en novembre 2015 pour assister au lancement du PEI. Est-ce que quelqu’un avait songé à faire « due diligence » sur cette personne ? Non ! Personne ne l’a fait. Au contraire, on avait encouragé M. Sobrinho en lui octroyant des licences.

 Q : Ce sont donc les autorités qui ont failli à leurs tâches ?

Absolument ! Pourquoi a-t-on a le BOI et la FIU ? N’est-ce pas leurs rôles de faire des « due diligence » ?  Si M. Sobrinho était venu à la State House en novembre 2015, c’est parce qu’il était clair qu’il n’était pas persona non-grata.

Q : Vous le connaissiez auparavant ?

Non. Je l’avais simplement rencontré durant une conférence à Londres en juillet. Mais il était déjà connu des autorités mauriciennes. On l’avait même appelé au ministère des Services financiers pour évoquer des possibilités d’investissements. Je pensais donc que ce ministère avait déjà fait son exercice de « due diligence ». Pourquoi jeter tout le blâme sur la présidence quand le ministère des Services financiers et les autres institutions n’ont pas fait leur travail correctement ?

 Q : What next ?

Je vis actuellement ma quatrième vie. J’attends maintenant de voir ce que la cinquième me réserve (rires). Le rapport de la commission d’enquête y lèvera le voile. J’ai beaucoup de projets en ce moment et je vais continuer à servir mon pays selon mes capacités.