Turbulences en haute altitude

Air Mauritius 

Huit vols annulés et trois pilotes licenciés, dont un, Patrick Hofman, est sous la menace d’expulsion du pays du fait qu’il soit un ressortissant étranger. Autant dire que la situation ne se décante toujours pas à Air Mauritius. Sunday Times a tenté d’avoir la réaction de Patrick Hofman, qui n’est autre que le président de l’Airline Employees Association (AEA). Mais ce dernier s’est refusé à tout commentaire. Par contre, un de ses proches que nous avons rencontré, devant son domicile à Tamarin, nous a fait comprendre que le pilote ne veut pas qu’on le dérange.

« Patrick Hofman veut qu’on le laisse tranquille. Depuis ce matin, les gens cherchent à lui parler. D’autant plus qu’il est traité comme un vulgaire criminel », nous dit le proche de Patrick Hofman. Bien que nous insistions à rencontrer le pilote, notre tentative restera vaine.

Pour revenir à l’expulsion de Patrick Hofman, c’est par le biais d’une missive émanant du Prime minister’s Office (PMO) que le pilote a été informé qu’il doit quitter le pays à bord du premier vol disponible.

« This office has been informed, in a letter dated 06 October 2017, from the Managing Director of the Board of Investment that, following the termination of your contract of employment with Air Mauritius Ltd, you have ceased to satisfy the conditions and eligibility criteria for your Permanent Residence Permit as set out in Section 12(1) of the Investment Promotion Act and Part 1 of the Schedule Act. In the circumstances, you are hereby instructed to leave Mauritius by the first available flight », explique la missive du PMO.

Or, selon le syndicaliste Jack Bizlall, cet ordre de quitter le pays le plus vite possible va à l’encontre de l’Employment Rights Act (ERA).

« Il n’est pas permissible dans le cadre de nos lois de licencier sommairement un employé d’une compagnie sans qu’il ait été entendu par un comité disciplinaire. L’Article 24 de l’ERA prévoit une peine d’emprisonnement de 24 mois et une amende de Rs 25 000 pour l’employeur. Le licenciement de ces trois pilotes et l’ordre de quitter le pays le plus vite possible pour l’un d’entre eux aura des répercussions au niveau international », a affirmé Jack Bizlall.

Et d’ajouter que la fédération internationale des pilotes est un organisme puissant.

« Le plus vite le conseil d’administration d’Air Mauritius arrêtera son action contre ces trois pilotes, le mieux ce sera pour ces derniers et la société civile ».

L’IFALPA alertée sur la situation des pilotes

L’International Federation of Air Line Pilots’Association (IFALPA) qui est décrite comme The Global Voice of Pilots a été mise au courant de la situation des pilotes d’Air Mauritius. Sunday Times a pu se procurer la copie d’une missive « Request for Mutual Assistance for Mauritius ALPA – MALPA » en date du 6 octobre que l’IFALPA a adressée aux associations membres, Executive Board, PGA Committee Members et personnel d’IFALPA.

« The Air Line Pilots’Association of Mauritius (MALPA), are requesting Mutual Assistance on behalf of Air Mauritius pilots. Nous avons été informées par la MALPA qu’Air Mauritius est en train d’enfreindre le Collective Labour Agreement (CLA) en offrant des non-CLA contracts to the new pilots joining Air Mauritius. Qui plus est, ce contrat comprend une réduction de 25 % des salaires et les pilotes ne reçoivent pas de retenue de garantie », affirme le Capitaine Jack Netskar, vice-président exécutif Professional & Government de l’IFALPA.

Et d’ajouter que ce changement aux conditions est appliqué avec effet rétroactif pour tous pilotes ayant rejoint Air Mauritius au début de 2016.

« MAPLA est extrêmement inquiet que ce changement pourrait aussi être appliqué aux autres pilotes. At this moment, there is no clear intentions from the airline management to start negotiations for a new Collective Labour Agreement, instead, massive salary cuts are being announced by them. On top of all this, MALPA members that have been certified unfit for duty are being constantly harassed by the airline management and requested to undergo a second examination by a company doctor ».

Et de faire ressortir qu’en conséquence de la situation difficile, des actions collectives sont à l’étude par l’exécutif de la MALPA. « Therefore, Mauritius ALPA requests, through IFALPA, the following Mutual Assistance starting on 7 october at 00 :01 LT, until further notice: Request for ban on Wet Leasing (Ndlr., la location d’aéronefs de pays tiers avec équipage procuré », request for Freeze in Capacity, request for Rectruitment Ban, Assistance to Pilots Stranded Away from Home Base et request for Denial of Cockpit Crew Contracting ».

 

Le commandant Bourgeois dénonce la sourde oreille et le mépris de la direction

Dans une lettre ouverte à Arjoon Sudhoo, président du conseil d’administration d’Air Mauritius, le commandant de bord Michel Bourgeois dénonce que les lettres que lui ont fait parvenir les associations de pilotes expatriés et mauriciens sont « pratiquement toutes restées sans réponses depuis des mois ».

De source bien informée, Sunday Times a appris que les huit lettres des instances syndicales envoyées au nouveau directeur exécutif de la compagnie Somas Appavoo sont restées des lettres mortes.

Pour revenir à la lettre du commandant Michel Bourgeois, ce dernier affirme qu’il ne pense pas que les pilotes reprochent à Arjoon Sudhoo de vouloir prendre des mesures économiques.

« Ce qu’ils ne comprennent pas, ce qu’ils n’acceptent pas, c’est le mépris affiché par la direction vis-à-vis de son personnel navigant. Pourquoi, toute nos lettres restent-elles sans réponses ? Sans même le moindre accusé de réception ? »

Le commandant Bourgeois termine sa lettre en soulevant un point, qui dit-il, ne plaira pas au président du conseil d’administration.

« Vous êtes secondé par un homme (Ndlr., Mike Seetaramadoo, Executive Vice-President of Human Resource) qui nous hait pour avoir pris la défense de Megh Pillay. Oui, c’est vrai, les pilotes avaient envoyé une lettre au board pour montrer leur inquiétude de voir le CEO menacé de devoir quitter son poste. Vous connaissez la suite de l’histoire : ce CEO a dû quitter son poste et la personne qui avait été écartée est revenue », conclut Michel Bourgeois.

Note salée pour Air Mauritius

« Il est trop tôt pour connaître les chiffres. C’est un exercice qui va prendre du temps. Mais comme l’a dit le directeur Somas Appavou ce matin, la perte sera conséquente », a expliqué Prem Sewpaul à Sunday Times.

Selon le site web flightdelays.co.uk, en moyenne le montant réclamé à Air Mauritius en cas de retard tourne autour de £ 492 (environ Rs 22 000 par passager). Pour rappel, les huit vols annulés dans la soirée de jeudi, dans la matinée de ce vendredi et dans la soirée de samedi étaient à destination de Perth, Londres, Bangalore-Madras, Hong-Kong et Singapour. Il est à noter que les destinations Perth et Hong-Kong sont desservies par un Airbus A330 qui compte 251 sièges en classe économie et 24 en classe affaire. À raison de 500 passagers sur les deux vols – soit 250 passagers par vol – Air Mauritius va devoir payer environ Rs 11 millions.

Pour ce qui est des vols desservis par l’A340/E, Londres, Bangalore-Madras et Singapour, qui compte 264 sièges en classe économie et 34 en classe affaire. Avec une moyenne de 250 passagers sur chacun de ces trois vols, Air Mauritius devra rembourser Rs 16,5 millions. Ce qui fait un total d’environ Rs 27,5 millions.

Dans la soirée d’hier, deux autres vols à destination de Londres et de Perth respectivement ont été annulés. Ce qui fait qu’Air Mauritius va devoir indemniser les passagers à hauteur de Rs 11 millions environ. Avec des indemnités de Rs 38 millions, il va sans dire que la note sera salée.

Awadh Balluck : « Y-a-t’il quelqu’un qui tire les ficelles »

Sans venir défendre l’action des pilotes, le président des petits actionnaires d’Air Mauritius Awadh Balluck a fait une sortie en règle contre les membres du conseil d’administration.

« Il est clair qu’il y a un malaise au sein de la compagnie nationale d’aviation. Mais on ne peut pas justifier l’action des pilotes. Les torts sont partagés. La direction ne peut pas faire comme-ci c’est un emmerdement quand les employés demandent une rencontre. Par contre, les membres du conseil d’administration ramassent leur queue entre leurs jambes quand il faut rencontrer un politique », a déclaré Awadh Balluck.

Et d’ajouter qu’il faut maintenant voir s’il y a quelqu’un qui est en train de tirer les ficelles.