Trafic de drogue à Maurice : Absence préoccupante de volonté politique pour combattre ce fleau

 

27 juillet 2018. Deux ans déjà depuis que la Commission d’enquête sur la drogue, présidée par l’ex-juge Paul Lam Shang Leen, a rendu public son rapport. Mais depuis, il semble que le rapport a été oublié dans un tiroir. Rien de bien tangible n’a été fait pour l’heure par le gouvernement jusqu’à maintenant. Or, les travailleurs sociaux, dont l’indéfatigable Ally Lazer, continuent de crier dans le désert. En arrière-plan, l’absence de politique de prévention dans les écoles et l’absence de volonté politique de combattre la drogue. Le point sur une situation préoccupante, avec les travailleurs sociaux Ally Lazer et Danny Philipe, l’avocat Rama Valayden, et le député Mahen Gungapersad.

Les spéculations sont allées bon train dans le sillage du naufrage du Wakashio. Que transportait exactement ce navire ? Pourquoi certains radars des gardes-côtes étaient-ils en panne ? En outre, selon les travailleurs sociaux, il n’y avait aucune pénurie de drogue durant le confinement. Ces dernières années, tout le pays avait vu la saisie d’importantes quantités de drogue dure, y compris dans le port.

Récemment, de la drogue avait disparu des locaux de l’ADSU. Des officiers de cette unité ont même comparu en cour.

Les travailleurs sociaux ont-ils raison à l’effet que le gros de la drogue arrive à Maurice par voie maritime, et que les plus gros obstacles, selon eux, sont la corruption et les protections occultes ?

Il y a aussi eu l’entrée de la drogue synthétique sur le marché, qui fait des ravages, selon les travailleurs sociaux, parmi les jeunes. Or, on peut constater l’absence d’une politique nationale de prévention sur la drogue parmi les étudiants.

Or, il y a bien eu la commission Lam Shang Leen, qui a fait plusieurs recommandations intéressantes, mais après un simulacre de Task Force, rien n’a été fait sur ce rapport. Faut-il donner raison à Me Rama Valayden à l’effet qu’il n’y a aucune volonté politique de combattre la drogue dans le pays ?

Le rapport Lam Shang Leen au point mort

Me Rama Valayden : «  Aucune volonté politique pour combattre la drogue »

rama_valaydenMe Rama Valayden nous affirme qu’il n’y a pas de volonté politique pour combattre la drogue. Ce serait la raison pour laquelle il n’a pas déposé devant la commission Lam Shang Leen. « Cela n’aurait servi à rien ! », assène-t-il.

Rama Valayden revient sur quelques recommandations du rapport que le gouvernement n’a pas prises en considération.

La commission a ainsi donné plus de 100 noms, sur qui des enquêtes auraient dû être effectuées mais jusqu’à maintenant, rien n’a été fait.

L’avocat n’épargne pas l’Anti Drug & Smuggling Unit (ADSU). Pour lui, beaucoup d’officiers de cette unité font leur travail convenablement, mais il existe toutefois des brebis galeuses, et qu’il faudrait « filtrer » ces derniers.

Selon lui, les autorités des pays étrangers donnent des indications aux autorités mauriciennes quel bateau ou quel passager il faudrait surveiller à leur arrivée à Maurice, mais il n’y a aucun suivi à Maurice.

Pour traquer les transactions relatives à la drogue, il faudrait lors de l’arrestation d’un suspect, effectuer le relevé téléphonique de ses appels. Ce qui n’est souvent pas fait, affirme-t-il.

Autre chose qui fait que les dossiers prennent du temps, ce sont les rapports du Forensic Science Laboratory (FSL), qui prennent environ 6 mois pour atterrir sur la table des enquêteurs.

Il aborde un autre aspect, qui avait été abordé par la commission Lam Shang Leen: la protection des témoins, qui est essentielle pour démanteler un réseau de drogue. Rama Valayden prend l’exemple d’un témoin clé dans l’affaire concernant le présumé trafiquant Rudolf Derek, alias ‘Gro Derek’, qui ne peut pas travailler car sa vie est en danger. Or, ce témoin reçoit uniquement Rs 5 000 tous les mois, ce qui n’est pas suffisant pour qu’il puisse prendre soin de sa famille. « Ce n’est pas de cette manière qu’on pourra combattre le trafic de drogue », lance-t-il.

La commission avait aussi fait certaines recommandations sur la dépénalisation. Or, selon le juriste, le gouvernement n’est nullement intéressé à tenir un débat sur cette question. Mais cela pourrait s’avérer grandement salutaire dans notre combat contre la drogue. « De ce côté-ci, c’est une faillite totale », fustige-t-il.

Ally Lazer, travailleur social

 « La drogue est plus disponible que la fourniture d’eau 24/7 dans nos robinets ! »

ally-lazerEn tant que travailleur social qui a milité contre la drogue depuis des années, Ally Lazer estime que la situation dans le pays est « from bad to worst », et en voyant la situation actuelle, ce dernier nous confie qu’il a beaucoup de crainte pour l’avenir du pays.

« Les plus grands obstacles dans ce combat sont la corruption et les protections occultes », nous dit-il. « Il est totalement faux de dire que les gros bonnets de la drogue sont derrière les barreaux, car les vrais barons sont intouchables et jouissent de l’impunité », dit-il. Il revient sur la saisie de la drogue au port dans des bonbonnes de gaz : « Beaucoup ont été relâchés sous caution et les autres, par rapport à la prison, sont des ‘zenfants lakaz’. »

80 % des prisonniers qui purgent leur peine dans les prisons du pays sont des consommateurs, et non pas de dealers, ce qui fait que « La drogue est plus disponible que la fourniture d’eau 24/7 dans nos robinets ! »

Ally Lazer revient sur la disponibilité de la drogue durant le confinement, cela alors que des produits de première nécessité connaissaient une pénurie. « Comment expliquez-vous que dans un jardin situé dans la capitale, vis-à-vis du poste de police, la drogue est vendue 24/7 ? Cela montre qu’il n’y a pas de volonté pour combattre la drogue », dit-il. « Étant une petite île, c’est absurde de voir une telle prolifération de drogue sur le marché. »

Selon lui, beaucoup de travailleurs sociaux qui luttent contre la drogue sont découragés, croyant qu’ils ont déjà perdu la bataille.

 

Un rajeunissement et une féminisation des consommateurs de la drogue

Ally Lazer devait aussi aborder les victimes du fléau de la drogue. Auparavant, la tranche d’âge de ces derniers se situait dans la catégorie d’adultes de 30 ans à monter (quoique la plus jeune victime que le travailleur social ait rencontré est un garçonnet d’une école primaire).

Mais depuis ces cinq dernières années, c’est la drogue synthétique qui fait des ravages sur le marché, car elle est plus disponible et à meilleur marché que d’autres types de drogue.

Ally Lazer explique qu’il y a un rajeunissement et une féminisation en ce qui concerne les consommateurs de cette drogue. Les femmes et les jeunes filles s’enfoncent elles aussi dans l’enfer de la drogue, car elles se laissent influencer par leurs ami(e)s, voire par leurs conjoints, qui sont déjà consommateurs.

L’absence de prévention de l’État au niveau national fait cruellement défaut

« Prévention is better than cure », mais malheureusement il n’y a pas de politique de prévention nationale qui mettra les jeunes sur leurs gardes, nous fait comprendre Ally Lazer. Il y avait dans le passé une seule institution gouvernementale de prévention, mais un ancien ministre avait fermé l’institution.

Ally Lazer met aussi l’accent sur le fait que les parents sont aussi concernés. Pour lui, la prévention de la drogue commence d’abord à la maison. Les parents doivent aussi être informés sur ce fléau, pour qu’ils puissent ensuite transmettre leurs connaissances à leurs enfants. « C’est malheureux quand les parents pensent que cela n’arrive qu’aux enfants des autres, mais en voyant la disponibilité de la drogue, je pourrais leur dire que nul n’est à l’abri. »

Danny PhilippePour Danny Philippe, la prévention doit être de nature holistique et intégrée, qui doit prendre en considération plusieurs aspects. « Il faut tout d’abord réduire la pauvreté dans le pays. Ce n’est qu’en adressant le problème de la pauvreté que la prévention pourra être débutée », nous fait-il comprendre.

 

 

Il faudrait aussi, selon lui, qu’il y ait des partenaires qui vont soutenir le programme, par exemple dans le secteur de l’éducation, ou encore parmi ceux qui sont engagés dans le combat contre la pauvreté et les inégalités sociales, entre autres.

Le travailleur social explique aussi que la télévision nationale peut être d’une grande aide dans ce contexte. Toutefois, elle doit être utilisée de façon positive, et il faut ne pas utiliser des images négatives. « Il faut primordialement changer la façon de voir les choses, ce qui peut changer beaucoup de choses par la suite », explique-t-il.

 

Prévention au niveau scolaire

Mahen Gungapersad : « Un travail cosmétique qui se fait »

Mahen GungapersadMahen Gungapersad, député du Parti Travailliste (PTr), estime que l’éducation doit faire un pas en avant, où la prévention devra faire partie du curriculum scolaire, outre les causeries ponctuelles sur la prévention aux enfants dès leur plus jeune âge.

Une prise de conscience sur les méfaits de la drogue doit entrer dans les mœurs de l’enfant dès son plus jeune âge. « Car il ne faut pas oublier qu’il y a des enfants qui vivent dans des milieux où ils sont exposés à la drogue par des proches ou leurs amis, qui sont déjà dans cet enfer,», explique-t-il.

Il propose que des passages sur les méfaits de la drogue soient inclus dans les livres scolaires, ou dans la classe de biologie, voire même durant l’assemblée du matin.

 « Si vous posez cette question aux autorités éducatives, elles vont vous dire que le travail se fait, mais c’est un travail cosmétique qui se fait, qui n’est nullement adapté à nos besoins », explique le député rouge.

Mahen Gungapersad propose aussi la formation des enseignants, voire du personnel non enseignant. Il est aussi revenu sur le cas d’un enseignant d’un collège d’État qui a été arrêté en possession de drogue synthétique. « On est sûr que ce dernier a dû vendre de la drogue aux collégiens », se désole Mahen Gungapersad.

Le travailleur social Danny Philipe propose que des activités extra-scolaires soient organisées assez souvent pour aider à attaquer le problème. Il explique aussi qu’il faut choisir quoi enseigner, en fonction de l’âge de l’enfant. Il maintient toutefois qu’il faut avoir une approche communautaire. « C’est de cette façon qu’il va y avoir les résultats », dit-il.

Pour Ally Lazer, la prévention de la drogue devra obligatoirement être introduite dans les établissements scolaires, et cela dès le primaire. Ce dernier met l’accent sur la façon d’agir des collèges privés et des collèges d’État. Si les collèges privés organisent des causeries de temps en temps pour les élèves, tel n’est pas le cas pour les collèges d’État.

Neevedita Nundowah