Sudhir Seesungkur : « On s’accorde un temps de réflexion » 

Vente du passeport mauricien

Sudhir Seesungkur conteste avec véhémence les critiques faites à l’encontre de Maurice par l’Eastern and Southern Africa Anti-Money Laundering Group (ESAAMLG) et le ‘Securities and Exchange Board of India’ (SEBI) en dénonçant notamment leur façon de procéder, mais aussi des « incohérences » et des « vices procéduraux ». Si son ministère se retrouve souvent sous les feux des projecteurs, c’est en raison du « manque de compréhension » de la presse eu égard à ce secteur qu’il qualifie de « hautement technique ». Le ministre de la Bonne gouvernance et des services financiers s’en prend également à son prédécesseur qu’il traite « d’incompétent » et de « malédiction ».  La vente des passeports mauriciens, annonce Sudhir Seesungkur, passe par un temps de réflexion et ne sera pas mise en pratique tant que tous les aspects ne soient pas finalisés.

Zahirah RADHA

Q : La crédibilité des services financiers mauriciens est mise à rude épreuve, surtout après le ‘Mutual Evaluation Report’ de l’Eastern and Southern Africa Anti-Money Laundering Group (ESAAMLG). Pensez-vous pouvoir vraiment renverser la vapeur en contestant ce rapport ?

Laissez-moi d’abord préciser que Maurice jouit d’une très bonne réputation au niveau mondial, et ce en dépit de tous les chamboulements qu’il y a eu suite à la fin de l’accord préférentiel avec l’Inde. Maurice se trouve toujours à la première position en termes d’investissements et de ‘Foreign Direct Investment’ (FDI) et le pays continue à consolider sa position comme leader en Afrique. Auparavant, c’était l’Afrique du Sud qui était le premier centre financier dans la région africaine. Aujourd’hui, cette donne a changé et Maurice est une alternative très valable pour le secteur financier sur le continent africain. Je ne suis donc pas d’accord quand vous dites que notre centre financier n’est pas crédible ou que sa réputation serait en jeu…

Q : Je vous rappelle que ce constat a été fait par l’ESAAMLG !

Maurice est classé comme un des ‘top performers’ au niveau mondial que ce soit par la Banque Mondiale, le ‘Ease of Doing Business’, le ‘World Economic Forum’, ‘Mo Ibrahim Foundation’, ‘Moody’s Index’. Loin de moi de critiquer le travail abattu par ESAAMLG, mais nous voulons qu’il y ait une cohérence au niveau des résultats. Nous avons fait part de notre consternation par rapport à certaines incohérences et interprétations des règles et des guidelines de ‘Financial Action Task Force’ (FATF) et la façon même dont le rapport a été rédigé. En principe, le pays concerné a le droit de donner sa version des faits et elles doivent être prises en considération. Il doit y avoir une balanced approach. Or, nous constatons que tel n’a pas été le cas. Il y a aussi des vices procéduraux. D’où notre initiative, qui n’est pas uniquement la mienne mais aussi celle du gouvernement, d’écrire à tous les pays membres, et non pas uniquement à la Zambie comme certains veulent le faire accroire. En avril cette année, une délégation de très haut niveau, dirigée par Navin Bheekarry, directeur de l’ICAC, et composée de professionnels et des représentants du State Law Office (SLO), qui s’était rendue à Arusha, en Tanzanie, pour défendre l’intégrité de Maurice auprès de l’ESAAMLG. Cette dernière est même d’accord que le rapport ne peut être finalisé dans sa forme actuelle. Le rapport sera ainsi discuté au niveau du conseil des ministres d’ESAAMLG en septembre 2018. Je ne crois pas qu’on ait fait un mauvais move en y objectant formellement. Il était primordial qu’on le fasse afin de défendre notre crédibilité et notre réputation comme un centre financier international.

Q : Mais le ver n’est-il pas déjà dans le fruit, d’autant que Maurice a également été classé comme juridiction à risques par le SEBI?

Il y a toujours un flou en ce qu’il s’agit de ce rapport. L’on ne sait pas à ce stade si c’est le ‘Securities and Exchange Board of India‘ (SEBI) qui l’a rédigé ou si ce sont certaines banques qui l’ont fait, puisqu’ils se renvoient la balle. Mais nous prendrons les actions qui s’imposent. D’ailleurs, le ministère des Finances a déjà adressé une lettre au SEBI pour exprimer notre point de vue.

  • “Il y a eu, sur les 22 000 compagnies qui existent à Maurice, seulement deux cas de cette nature (ndlr : Sobrinho et Bastos). Ce qui relève, à mon avis, d’un ‘acceptable level’”

Q : Vous contestez également le rapport du SEBI?

Non, on cherche plutôt à obtenir des clarifications. Il nous faut savoir sur quels critères ils se sont basés pour que Maurice soit classé ainsi. Les banques ne peuvent pas faire leur propre evaluation, sinon il y aura un désordre indescriptible dans le secteur. Raison pour laquelle nous devons nous fier aux rapports rédigés par des instances internationales telles que la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International (FMI) ou le ‘Financial Action Task Force‘ (FATF).  Je vois, par exemple, que Standard Chartered Bank a participé à la rédaction de ce rapport. Mais sa branche locale ici à Maurice n’est pas du même avis. Je prévois d’ailleurs de rencontrer son directeur bientôt pour en discuter. Cela démontre qu’il y a une cacophonie  à tous les niveaux en ce qui concerne ce rapport. Il y a peut-être un but obscur derrière cette manœuvre, sachant qu’au niveau international, le centre financier mauricien fait extrêmement bien malgré tous les obstacles auxquels il a été confronté ces derniers temps.

Q : Roshi Bhadain vous accuse de ne pas connaître le secteur du global business et réclame votre démission comme ministre?

Quand j’ai pris les rênes de ce ministère, la situation était catastrophique. Ce bureau était vide, mis à part un call centre qui regroupait huit personnes et dont la seule mission consistait à ‘liker’ et à commenter les posts de Bhadain. D’ailleurs, ce dernier passait son temps à attaquer les opérateurs. Le secteur avait beaucoup souffert à cause de lui. Qui ne se souvient pas du dossier de la BAI, du Heritage City ou de Britam? Il n’y avait même pas un CEO à la FSC. Ce ministère dominait l’actualité en termes de scandales.

Bhadain doit d’abord se regarder dans le miroir avant de m’accuser à tort. J’ai plus de 25 d’expérience dans ce secteur. Personne ne peut le connaître mieux que moi. Un incompétent comme Bhadain ne peut pas venir me donner des leçons, lui qui avait berné les investisseurs du SCBG et du BAM. Il avait même liquidé pour ‘dipain diber’ les actifs de Britam qui valaient des milliards de roupies. N’avait-il pas aussi prétendu n’avoir jamais rencontré Alvaro Sobrinho alors qu’il y a des photos qui prouvent le contraire ! Il a même reçu cette personne dans ce ministère ! Donc, qu’il ne vienne pas déblatérer !

Q : Je vous rappelle que ces scandales, pour reprendre votre propre terme, sont survenus sous ce même gouvernement sans que personne n’ait élevé la voix.

C’est plus par rapport aux actions d’une seule personne qui croyait tout savoir mais qui ne pondait, au final, que de très mauvais résultats. Bhadain a beaucoup bluffé et il passait son temps à mener des enquêtes sur d’autres ministres. C’est une des pires malédictions que Maurice ait pu subir. Il est dangereux pour le pays et le peuple a bien fait de lui donner un coup de pied aux élections partielles.

  • “Un incompétent comme Bhadain ne peut pas venir me donner des leçons”

Q : Comment comptez-vous maintenant redonner confiance aux investisseurs ?

On a un plan global très ambitieux pour le secteur financier. L’environnement global a changé drastiquement. Notre secteur financier s’est beaucoup développé grâce à l’accord qu’on avait avec l’Inde. Après la renégociation de cet accord, on ne bénéficiait plus des mêmes avantages. Il fallait donc identifier nos forces et nos faiblesses avant de pouvoir nous positionner. D’où mon initiative personnelle de commander un blueprint. Le rapport est fin prêt et il se focalise sur les différentes actions que nous devons entreprendre, durant les dix prochaines années, afin de devenir plus compétitif. Il ne nous reste maintenant qu’à mettre les structures nécessaires en place afin d’atteindre notre objectif de doubler notre croissance dans ce secteur. D’ailleurs, un des aspects-clés de ce blueprint concerne le ‘Human Capital Development‘. On a déjà créé le ‘Financial Services Institute‘ qui formera des professionnels dans ce secteur et surtout dans des services spécialisés comme le wealth management et private banking afin qu’on puisse monter en gamme. Aujourd’hui, Maurice est connu comme une destination touristique. Je souhaite qu’à l’avenir, il soit connu comme un centre des affaires pour la région africaine et asiatique.

 

Q : Cette redynamisation du secteur des services financiers peut-il se faire sans que le fonctionnement de la FSC ne soit revue?

Au début de mon mandat ministériel, j’avais ma propre opinion sur la FSC et elle n’était point louable envers cette instance. D’ailleurs, je n’avais pas caché ce que j’en pensais. Mais depuis, les choses se sont évoluées. Il y a maintenant un nouveau board qui regroupe des professionnels. Un CEO a été nommé et un professionnel ayant travaillé au ‘Dubai Financial Services‘ a été recruté. Nous avons aussi pris contact avec d’autres professionnels à Londres, entre autres, afin que nous puissions bénéficier de leur expertise et de développer nos capacités. Il y aura une série d’autres recrutements qui se feront incessamment.

Q : Y aura-t-il des proches du gouvernement parmi ces nouvelles recrues?

Non. L’accent est mis sur le recrutement de professionnels de haut calibre, contrairement à ce qu’avait fait Milan Meetarbhan dans le passé. Ces professionnels seront aussi formés, non seulement à Maurice, mais aussi à l’étranger, afin de leur donner tous les moyens pour qu’ils soient à la hauteur de leur tâche. Le fonctionnement de la FSC a aussi été revu et elle agira avec plus d’indépendance, et non pas comme sous l’ère Bhadain. Vous savez mieux que quiconque que son conseiller y avait même élu domicile, tout comme son beau-frère qui y avait été nommé.

Q : Malgré le bilan positif que vous dressez de vos actions, votre ministère a constamment été sous les feux des projecteurs pour des mauvaises raisons. Est-ce le résultat d’une mauvaise gestion, Sudhir Seesungkur ?

Je préfère analyser ce fait sous un autre angle. Des articles publiés par les médias nous ont causé beaucoup de tort. Il y a eu beaucoup de sensationnalisme et d’amalgames. Les services financiers est un secteur hautement technique que beaucoup n’arrive pas à maîtriser. Certains journaux ont même soutenu que Maurice saigne l’Afrique alors qu’on fait partie de l’Union Africaine et qu’on a déployé tous nos efforts pour aider l’Afrique à surmonter le sous-développement en lui apportant des capitaux en masse. Cela démontre clairement qu’il y a un manque de compréhension au niveau d’une section de la presse.  Ce sont ces articles qui font du tort à ce secteur et non pas ma gestion du ministère !

Maintenant, pour répondre à votre question, je dois avouer que le ministère a effectivement été sous les feux des projecteurs, et ce pour deux raisons principales, soit les cas de Sobrinho et de Bastos. Certains veulent faire croire que, s’ils étaient à ma place, il n’y aurait pas eu ce genre de cas. Moi je vous le dis haut et fort : même après cinquante ans, il y en aura toujours des cas similaires. C’est la surmédiatisation qui pose problème. Il y a eu, sur les 22 000 compagnies qui existent à Maurice, seulement deux cas de cette nature. Ce qui relève, à mon avis, d’un ‘acceptable level‘. Comment voulez-vous qu’on les contrôle tous ? Aucune juridiction au monde ne peut se targuer d’être à cent pour cent fiable.

Q : Vous voulez dire la presse doit fermer ses yeux et ne pas y prêter attention?

Bien sûr que non. Je ne dis pas qu’on ne doit rien faire. Mais, je maintiens que c’est impossible d’éliminer les risques de cette nature, et ce même si on a un système qui soit extrêmement performant et solide. Ce sont des risques qui découlent du métier et on doit les accepter si on veut réaliser le pari de devenir un centre financier international. Bien entendu, on fait tout ce qu’il faut pour renforcer les garde-fous et de régulariser le secteur. On apportera d’ailleurs une série de réformes dans le Finance Bill. On règlera bientôt, par exemple, l’opacité qu”il y avait autour du GBL2. On fait tout ce qu’il faut pour consolider notre bonne réputation.

Q : Vos efforts ne risquent-ils pas de tomber à l’eau avec l’introduction de la nouvelle mesure concernant la vente des passeports mauriciens, la possibilité que certains ne viennent blanchir leur argent chez nous étant bien réelle ?

Cette mesure a certainement été annoncée, mais je pense qu’on s’accordera un temps de réflexion avant de la mettre en pratique. Ceci dit, soit nous nous replions sur nous-mêmes, soit nous prenons des risques nous permettant de devenir un acteur sur le plan international.

Q : Y a-t-il un malaise au sein du gouvernement par rapport à cette nouvelle mesure ?

Non. Je ne pense pas qu’il y ait un malaise. Mais on s’accorde un temps de réflexion afin de nous pencher sur tous les aspects y relatifs. La mesure en elle-même n’est pas mauvaise. On doit toutefois prendre tous les facteurs en considération avant qu’on ne vienne de l’avant avec cette mesure. Cela prendra le temps qu’il faudra.

Q : Changeons de registre. Votre fils défraie souvent la chronique pour ses nombreuses frasques. Un de vos conseillers s’est également fait parler de lui pour une affaire d’agression. Le fardeau n’est-il pas trop lourd à porter pour vous ?

Je dois d’abord préciser que ce n’était pas mon conseiller qui était impliqué dans ce cas d’agression. Quant à mon fils, je n’approuve certainement pas son comportement, mais je ne suis pas entièrement responsable de ses actions bien que j’en subisse les séquelles. C’est tout à fait normal puisque je suis son père. D’autant que les adversaires politiques en font tout un plat. Cependant, moi je ne fais pas la politique sur le malheur de mes prochains. Je m’engage sur la base de mes convictions et des projets de société que je ne trouve presque pas au sein de l’opposition. Bien entendu, un politicien doit être au-dessus de tout soupçon. Mais personnellement, je n’ai rien à me reprocher.

Q : Il semblerait pourtant que vous êtes sur la liste noire du Premier ministre qui songerait même à vous éjecter en cas de remaniement ministériel…

Je ne sais pas d’où vous tenez cette information. Ceci dit, j’ai toujours adopté une philosophie : “whatever happens to me, happens for the good“. Je n’ai jamais rien demandé et je n’attends rien en retour. Tout ce que j’ai eu, je le dois à Dieu.