Sudesh Rughoobur : « Pourquoi ce silence total du régulateur qu’est le ‘Procurement Policy Office’?»

 

  • « Les institutions comme la FSC et l’EDB ont échoué lamentablement »

Ancien député du MSM, il avait payé le prix fort de ses prises de position pas toujours au goût du gouvernement en étant privé d’investiture aux dernières élections générales. Sudesh Rughoobur s’était alors porté candidat sous la bannière du Regroupement Socialiste Militant (RSM) au no. 6 (Grand-Baie/ Poudre d’Or) où il avait récolté 4 849 voix. Il vient maintenant de réintégrer le MMM où il avait fait ses débuts politiques dans les années 90. Il met en cause, dans l’entretien qui suit, le fonctionnement de certaines institutions clés, tout en dénonçant le manque de leadership dans le pays.

 

Zahirah RADHA

 

Q : Vous avez réintégré le MMM après avoir été député sous le précédent mandat du gouvernement. Pourquoi cette décision ?

Il était évident suite aux dernières élections que je devais m’adhérer à un parti ‘mainstream’. Cela avait évidemment requis une réflexion. J’avais débuté ma carrière politique au MMM. J’étais le président de son aile jeune et j’étais aussi membre du comité central. Le combat que je menais à cette époque est resté le même. Il n’a pas changé. Je vous rappelle que les principes de base qui résument le combat du MMM, c’est la consolidation de l’unité nationale, de la démocratie et de la justice sociale. J’ai toujours milité et œuvré en faveur de ces principes. Le MMM a donc été un choix logique pour moi quand il m’a fallu choisir un parti où je pourrais retrouver ma stabilité politique. Je reste ainsi consistent dans ma lutte.

 

Q : Le timing de cette adhésion ne vous dérange-t-il pas, vu que le nom du leader mauve est cité dans l’affaire Saint-Louis ?

Je dois vous dire, en toute honnêteté, que j’ai toujours voué une grande admiration pour Paul Bérenger. Il a toujours milité pour une île Maurice meilleure. Ce ne sont pas ces allégations qui pourraient effacer sa contribution pour le pays ou ce qu’il a toujours représenté, soit un symbole de la transparence et de la vérité. Ce sont d’ailleurs les raisons pour lesquelles je lui réserve un grand respect. Je pense que les allégations auxquelles il fait face sont ‘baseless’. Il l’a d’ailleurs très bien résumé, et je lui donne raison quand il dit que « ki sanla pou croire ? »

 

Q : Qu’en est-il de vos sentiments pour Pravind Jugnauth qui a été votre leader durant jusqu’aux dernières élections?

Je n’ai jamais essayé de comparer Paul Bérenger à Pravind Jugnauth. C’est incomparable. Pravind Jugnauth a été mon leader quand j’étais au MSM et, en tant que tel, je le respectais. Mais comparé l’un à l’autre est inimaginable.

Q : On ne parle pas de comparaison, mais plutôt de vos sentiments vis-à-vis de Pravind Jugnauth !

J’avais ouvertement avoué mon admiration pour Paul Bérenger quand j’étais député du MSM. Ce qui avait dérangé certains au sein du MSM. Mon respect pour un leader ne change pas en fonction du parti dans lequel je me retrouve. Je ne vais donc pas incendier Pravind Jugnauth avec mes mots. Mais, malheureusement, je ressens aujourd’hui qu’il y a un manque de leadership dans le pays. Je ne pense pas que je lui manquerai de respect en lui disant que le pays va mal sous son leadership. Il n’est dans l’intérêt de personne que le pays s’enfonce dans la mauvaise direction avec toute cette série de scandales. Je m’attends à ce qu’il fasse mieux.

 

Q : Auriez-vous tenu le même langage si vous aviez eu de ticket du MSM aux dernières élections ?

Si j’avais eu de ticket, j’aurais poursuivi ma lutte comme je le faisais avant les élections. C’est pour cela que je n’avais pas eu de ticket et tout le monde le sait. On me dit souvent, surtout ces jours-ci, qu’il est mieux ainsi, vu le nombre de scandales qui secouent le pays.

 

Q : La bonne gouvernance est-elle vouée à l’échec dans les circonstances actuelles ?

La gestion saine d’un pays ne relève pas uniquement de la responsabilité du gouvernement. Il incombe également au secteur privé et à la société civile de jouer leur rôle pleinement. Cependant, un pays a besoin d’un leadership fort. D’autant que tout repose sur les institutions et que celles-ci sont dirigées par des personnes qui sont nommées par le gouvernement.

Dans notre système, on a un Premier ministre qui a pleins de pouvoirs. Il faut qu’il puisse les assumer comme il le faut. Quand il n’arrive pas à le faire, des problèmes commencent à surgir. C’est pour cela que le Premier ministre doit s’assurer qu’il y a des personnes compétentes à la tête des institutions. Si ces dernières ne sont pas à la hauteur, le Premier ministre doit agir sans tarder.

Il faut aussi faire la distinction entre les institutions elles-mêmes et les personnes qui y sont nommées. Moi je ne trouve pas de problème que des proches soient nommés, mais il faut que ce soit des personnes qui sont capables et compétentes.

 

Q : Est-ce le cas actuellement ?

Je suis très déçu de certaines nominations. Mais je suis encore plus déçu quand ces nominés sont défendus au lieu que des actions soient prises ou qu’ils ne soient remplacés.

 

Q : N’est-ce pas là une forme de mainmise sur ces institutions ?

Définitivement ! C’est pour cela qu’il faut des personnes fortes qui soient capables d’y résister. Mais s’il y a des nominés « béni oui-oui », cela n’augure rien de bon pour la démocratie et la bonne gouvernance. Ce qui nous ramène au problème de leadership. Celui qui nomme ces personnes à la tête de ces institutions doit les laisser travailler en toute indépendance. Il doit aussi assumer les responsabilités quand ces nominés échouent dans leurs tâches.

Je suis très déçu quand je vois des institutions comme la FSC faisant autant de tort au pays parce qu’elles n’arrivent pas à fonctionner correctement. En tant que député, j’avais dénoncé un cas de corruption contre le conseil de district du nord à l’ICAC. Deux ans plus tard, rien n’a été fait. Cela n’inspire pas confiance et ce n’est pas sain pour la démocratie.

 

Q : L’octroi des contrats pendant le confinement continue à alimenter les débats. En tant que directeur d’une compagnie, « Keep Clean », qui a décroché pas mal de contrats du gouvernement, comment voyez-vous toute cette affaire ?

Il faut d’abord que je précise que ma compagnie n’a jamais eu de contrats sous l’« Emergency Procurement », mais toujours en passant par des appels d’offres. Ceci dit, je condamne tous les abus qu’il y a eu concernant l’achat des médicaments et des équipements médicaux. Quand on parle d’« Emergency Procurement », je ne peux m’empêcher de penser à une institution en particulier, soit le « Procurement Policy Office » (PPO) qui aurait dû pourtant y jouer un rôle prépondérant en tant que régulateur.

Or, il y a un silence total du côté du PPO. Après toutes ces allégations, les dirigeants de cette institution auraient dû au moins se faire entendre et revoir le mécanisme pour éviter tout abus à l’avenir. N’oubliez pas qu’ils sont payés des deniers publics. Qui est le chairman du PPO ? Que fait ce board ? Je pense qu’il est grand temps de revoir, d’une part, le fonctionnement de cet organisme et d’autre part, la compétence des personnes qui y sont nommées.

Il s’agit, encore une fois, d’un exemple flagrant d’une institution qui a failli dans ses responsabilités. C’est grave pour la démocratie.

 

Q : Puisque le régulateur ne joue pas son rôle, suffit-il donc de ne pas mettre « de l’huile dans zorey » comme l’a dit un certain Bissoon Mungroo, pour décrocher un contrat du gouvernement ?

C’est pour cette raison que les jeunes perdent confiance dans les institutions. Ce genre de réaction me pousse à avoir peur pour le pays et pour les générations futures. Elle nous donne l’impression que la corruption et les passe-droits deviennent presqu’une culture. C’est dangereux pour le pays. Je souhaite que des actions promptes et immédiates soient prises pour éviter une explosion sociale dans le pays.

 

Q : En tant qu’opérateur du secteur privé, comment évaluez-vous le climat des affaires en ce moment?

La situation est extrêmement difficile en ce moment, pas seulement à Maurice, mais à travers le monde. J’estime qu’il nous faut prendre les défis et les difficultés qui se présentent à nous comme une opportunité. Il faut « think out of the box » et mettre l’accent sur l’innovation. Selon moi, le plus gros problème qu’on a à Maurice, c’est qu’on n’a pas mis suffisamment d’emphase sur la culture de recherche et d’innovation.

Dans les années 60, notre PIB par habitant est pratiquement le même que celui des pays comme la Corée du Sud, le Singapour et les Émirats Arabes Unis. Aujourd’hui, il tourne autour de 13 000 de dollars alors que le Singapour a dépassé les 50 000 USD.  Le PIB par habitant de la Corée du Sud est également deux ou trois fois plus élevé que celui de Maurice. Pourquoi ? Parce que ces pays ont constamment mis l’accent sur la recherche, le développement et la rénovation tandis que Maurice n’y a presque pas investi. Tant que nous n’innovons pas, on ne pourra pas faire face aux nombreux défis.

Le « Mauritius Standards Bureau » (MSB) est une des institutions qui a un rôle important à jouer quand on parle de recherche et de développement. Mais vous voyez ce qui s’y passe actuellement. Je n’ai rien contre mon amie Sandhya Boygah. Elle a beaucoup de qualités, mais je ne pense pas qu’elle soit apte à diriger cette institution. On aurait pu l’offrir un poste ailleurs, mais certainement pas au MSB. C’est une grosse erreur que le gouvernement a faite en la nommant à ce poste.

 

Q : Est-ce que les conditions sont réunies pour relancer l’économie ?

Malheureusement non ! Je suis très déçu quand je vois ce qui se passe sur le plan du secteur des services financiers. La « Financial Services Commission » (FSC) a échoué lamentablement. Idem pour l’« Economic Development Board » (EDB). Qu’est-ce que l’EDB a fait concrètement jusqu’ici ? Pourquoi a-t-on ‘scrap’ la « Financial Services Promotion Agency » (FSPA) ? Je suis très pessimiste à l’effet que l’EDB pourrait aider à relancer l’économie. Même au sein de l’hôtellerie, les efforts ne sont pas suffisants. D’ailleurs, certaines nominations, comme celles à la MTPA, sont très choquantes. C’est malheureux parce que ce secteur mérite une attention particulière dans le contexte actuel.

Depuis des années, on parle de « go regional » et d’une stratégie africaine. Mais quelle considération accordons-nous quand il y a des sommets africains alors que Maurice est membre de la SADC, le Comesa et l’Union Africaine. On évoque maintenant une stratégie africaine, mais il n’y a pas d’approche holistique. « Enterprise Mauritius » avait fait un gros travail sur ce plan, mais tout est tombé à l’eau quand elle a été ‘scrapped’. L’EDB n’a rien fait au niveau de l’Afrique. On n’entend plus parler de l’« Africa Fund ». Je me demande pourquoi l’EDB a ouvert un bureau au Japon et inauguré en grande pompe par le Premier ministre ? Combien d’argent ce bureau a-t-il englouti et qu’a-t-il rapporté au pays ? Il nous faut des réponses car il y va des fonds publics.

Il y a trop d’incohérences. Avec le taux élevé de nos dettes, la relance économique ne pourra pas se faire uniquement avec les investissements publics. Il faut une bonne participation du secteur privé. Mais je ne vois pas cet engagement du secteur privé, comme il l’a été dans le passé.

 

Q : Que faudrait-il faire, selon vous, pour ranimer l’intérêt et l’engagement du secteur privé ?

Le gouvernement doit lui envoyer un bon signal. Il faut lui redonner confiance en assurant d’abord que nos institutions fonctionnent correctement et d’assurer ensuite que la transparence et la chance égale priment. Il faut aussi soutenir les PMEs à fond, non seulement en terme financier, mais en leur accordant aussi d’autres soutiens nécessaires à leur développement.