Shakeel Mohamed :«Je suis contre un redécoupage qui changera la donne d’une circonscription de façon drastique »

Le député Shakeel Mohamed ne veut pas faire dans le ‘statu quo’. Il dit vouloir bousculer le système. Même si cela implique d’aller dans une direction opposée que celle de son grand-père Sir Abdool Razack Mohamed, qu’il aime pourtant citer en référence, en se disant en faveur de l’abolition du ‘Best Loser Loser’. Il plaide également pour la nécessité de procéder à un recensement ethnique, non pas pour des raisons électoralistes, mais plutôt dans un souci de consolider la nation mauricienne, en veillant notamment à ce qu’il n’y ait pas de discrimination dans la fonction publique ou dans les corps paraétatiques, entre autres…

 

Zahirah RADHA

 

Q : La réforme électorale est de nouveau sur le tapis. Quelle analyse faites-vous des propositions faites par le gouvernement ?

On parle d’une réforme électorale qui préconise une dose de proportionnelle, une refonte du Best Loser System (BLS), une hausse du nombre de députés à l’Assemblée nationale ainsi qu’une loi sur le financement des partis politiques. Or jusqu’à maintenant, il n’y a eu point de consultation avec les députés de l’opposition et les partis politiques, qu’ils soient représentés au Parlement ou pas. C’est révoltant ! Dans les années 60 à 67, il y avait eu une élection référendum. Même durant la période de 1953 à 1957, il y avait des consultations avec tous les partis politiques, même les adversaires, quant à l’adoption du nouveau système électoral. Il y avait aussi eu la conférence constitutionnelle de Londres où le Best Loser System avait été proposé et approuvé.

Cette fois-ci par contre, le gouvernement a décidé de préparer ce plat dans leur propre cuisine sans qu’il n’y ait eu, au préalable, des consultations avec les partis politiques. Ni la population ni les ONGs ne savent de quoi il en ressort. On est dans un flou total. Il a fallu que certains ministres donnent des bribes d’informations pour qu’on apprenne que le BLS sera complètement chamboulé. Celui-ci sera maintenu, mais ce ne sera plus l’électorat qui déterminera qui siègera à l’Assemblée nationale en tant que députés correctifs. Ce sera plutôt aux leaders des partis politiques de juger quelles communautés sont, à leurs yeux, en minorité et quels candidats devront être repêchés.

Q : Ce système de repêchage par les leaders des partis politiques n’est-il pas synonyme d’un recul démocratique ?

C’est pire qu’un recul démocratique ! Un recul sous-entend qu’on est toujours dans la phase démocratique. Mais là, on tombe carrément dans l’autocratie. Ce sont les Jugnauth, Ramgoolam, Bérenger, Duval ou autre qui choisiront qui devront être députés correctifs ou pas. Les pouvoirs seront concentrés entre leurs mains. Ce qui risque de provoquer une situation où les candidats devront presque se mettre à genoux devant leurs ‘maîtres’ afin de se retrouver sur cette liste. Ce qui équivaudra à institutionnaliser la création de ‘yes men’ et de ‘yes women’. C’est une situation que je trouve inacceptable.

Q : Est-ce votre opinion personnelle ou reflète-t-elle la ligne du PTr ?

Je dis ce que je ressens et je n’engage en rien le parti. Ceci dit, j’ai écouté la déclaration de Navin Ramgoolam mercredi et il a abondé dans le même sens que moi. Il a clairement dit que ce système accordera trop de pouvoirs aux leaders des partis et que ce n’est pas démocratique. Nous sommes donc sur la même longueur d’onde. Toutefois, nous n’avons pas encore eu l’occasion d’aborder mon point de vue sur la nécessité de faire un recensement ethnique.

Je pense qu’en 2018, il est primordial que le système électoral évolue tout en s’assurant qu’il n’y ait plus de clivages ou de ghettos communautaires. Il doit pouvoir mettre tout le monde sur un même pied d’égalité. Il y a, par exemple, une anomalie inacceptable en ce qu’il s’agit des quatre communautés qui sont répertoriées. D’un côté, il y a les Hindous et les Musulmans, et de l’autre, les Sino-mauriciens et la population générale qui ne sont pas des religions. Ce qui était acceptable en 1967 ne l’est plus aujourd’hui. En 2018, l’idéal, pour moi, c’est qu’il n’y ait plus de Best Loser System. Mais ce serait dangereux et négligent de l’abolir sans qu’il n’y ait des mesures pour rassurer toutes les composantes de la nation mauricienne, fussent-elles la majorité ou des minorités.

Q : Vous semblez oublier que votre grand-père, Sir Abdool Razack Mohamed, était non seulement un farouche défenseur du Best Loser System mais qu’il avait également été nommé ministre après avoir été repêché comme député correctif. N’allez-vous pas à l’encontre de son combat en souhaitant l’abolition de ce système ?

Non seulement mon grand-père, mais mon papa avait aussi été repêché comme Best Loser. Je ne vais pas tout à fait à l’encontre du combat de SARM, mais oui, je vais définitivement dans une direction opposée ! Voyez-vous, il s’était battu en faveur du BLS dans les années 60. À son époque, la réalité était autre. Il y avait une frayeur de l’hégémonie hindoue. Il pensait que les minorités n’auront pas de travail ou de promotion dans la fonction publique. Il est impératif qu’on évolue avec son temps. C’est triste qu’en 2018, il faut qu’un politicien vienne à l’Assemblée nationale pour dénoncer les discriminations contre telle ou telle communauté. Il nous faut consolider les outils visant à rassurer les minorités que leurs droits ne seront pas lésés. Je plaide pour une île Maurice où on choisit le chef d’État, qu’il soit Premier ministre ou président avec des pouvoirs exécutifs, grâce à un suffrage universel. Il est plus que jamais nécessaire de le faire. Cela donnera ainsi la possibilité à quelqu’un appartenant à une autre communauté d’être chef d’État. Nous avons besoin d’un système de gouvernance qui garantit l’accès à l’information aux citoyens afin de rassurer toutes les composantes de la nation mauricienne. C’est pour ces raisons spécifiques, et non pas pour des raisons électoralistes, qu’il faudrait qu’il y ait un recensement ethnique.

Q : En quoi est-ce qu’un recensement ethnique peut-il aider à rassurer les minorités, selon vous ?

Le but d’un recensement ethnique, c’est de construire la nation. D’ailleurs, les Nations Unies le recommandent. En Grande Bretagne et en France par exemple, on le fait déjà. Cet exercice est nécessaire pour des raisons pédagogiques et scientifiques. C’est un outil qui nous permettra de veiller à ce que toutes les communautés soient équitablement représentées dans la fonction publique et dans les corps paraétatiques et de nous assurer qu’il n’y ait pas de discrimination. Si quelqu’un veut contester un recrutement ou un système discriminatoire par exemple, il doit pouvoir se baser sur des informations et des chiffres exacts. Il faut aussi que la loi soit amendée pour que les citoyens puissent les contester devant l’Equal Opportunities Commission. Si on crée un système de gouvernance où il y a la transparence et l’accountability, les minorités seront rassurées qu’il n’y aurait pas d’abus. Et c’est ainsi qu’on peut créer une société plus juste basée sur l’équité et l’égalité et où primera la méritocratie. C’est uniquement dans ces conditions qu’on pourra abolir le BLS.

Q : Mais les principaux partis politiques, à l’exception du PMSD, sont jusqu’ici contre un recensement ethnique. C’est ce qui avait d’ailleurs contraint Rama Sithanen à l’écarter… 

Rama Sithanen avait fait une recommandation très intelligente. Je l’appelle une solution intermédiaire afin ne pas bousculer les réalités mauriciennes. Mais moi, je veux justement les bousculer ! Est-ce que le BLS, dont l’objectif était noble à l’époque, a réussi à freiner la discrimination latente et persistante qui existe au sein de la fonction publique et dans les corps paraétatiques ? Non ! Il n’a fait qu’empêcher une explosion sociale. Il a atténué le problème, mail il ne l’a pas résolu. Alors pourquoi faut-il le maintenir ? C’est inacceptable, par exemple, que ce soit seulement des personnes proches du Muvman Liberater (ML) qui obtiennent du travail au CEB ou à la CWA. Il est inconcevable que ceux qui obtiennent de l’emploi dans le port soient prioritairement ceux qui sont issus de la circonscription du Premier ministre. La méritocratie n’existe toujours pas. Il faut trouver une solution finale et je maintiens que ce n’est qu’en consolidant la Constitution, les droits des citoyens et l’indépendance des institutions qu’on pourra le faire.

Q : Mais encore faut-il qu’il y ait la volonté politique pour le réaliser !

Mais la volonté politique, même si elle n’existe pas au sein de la classe politique, existe bel et bien au sein de la population qui veut voir un tel changement.

Q : Comment expliquez-vous alors que cette même population ne peut toujours pas accepter qu’il y ait à la tête du pays un Premier ministre qui soit issu d’une autre communauté que celle de la majorité ?

Je crois dans la bonté de la nation mauricienne. Peu importe ses origines, sa religion ou sa classe sociale. Peut-être que de mon vivant, je ne verrai pas ce changement. Mais j’entrevois déjà une lueur d’espoir. La nouvelle génération verra peut-être sa concrétisation. Moi, je suis fondamentalement contre le maintien du statu quo. Je suis contre la ghettoïsation des communautés. Nous vivons dans des ghettos et certains pyromanes hypocrites ne font qu’encourager cet état de choses. Certains veulent même répéter ici ce qui se passe en Inde en ce qu’il s’agit de la domination contre certaines minorités. Je n’ai pas confiance dans la stratégie de ce gouvernement concernant l’unité nationale. Sa proximité avec certains pyromanes en Inde n’inspire pas confiance. Pourquoi le gouvernement a-t-il tenté de tirer un capital politique de la tenue de la ‘World Hindi Conference’ à Maurice ? Pourquoi faut-il garder une opacité autour du développement d’Agaléga par l’Inde alors que celui-ci ne voit aucun inconvénient à ce que les conditions soient dévoilées au public ? C’est incompréhensible. Pour revenir à votre question, je pense qu’il faut oser d’aller dans la bonne direction. Et je suis confiant que ce moment arrivera.

Q : Etes-vous en faveur d’un redécoupage électoral, sachant qu’il pourrait influencer la représentativité à l’Assemblée nationale ?

Je suis contre un redécoupage qui change la donne d’une circonscription de façon drastique. Les ‘boundaries’ ne doivent pas être touchées pour des raisons électoralistes. L’interventionnisme de l’exécutif dans cette décision doit aussi être aboli. Certains gouvernements veulent procéder à un redécoupage pour des raisons bassement politiques. Il faut que les gouvernements ne s’en mêlent pas et que ce soit uniquement l’‘Electoral Supervisory Commission’ (ESC) qui s’en occupe. La raison pour laquelle les circonscriptions nos. 2 et 3 étaient découpées de la façon actuelle, suite à l’insistance de Sir Abdool Razack Mohamed, c’est de permettre à la communauté musulmane d’avoir six représentants à l’Assemblée nationale, et ce sans qu’elle n’ait à se fier au soutien d’autres communautés. Il y a douze autres circonscriptions qui ont été découpées d’une certaine façon afin de permettre aux Hindous d’être représentés au Parlement. Idem pour la population générale. Six circonscriptions ont été découpées pour que cette dernière ne soit pas lésée. Un redécoupage impliquera, bien entendu, certains changements. Il faut créer l’espace démocratique pour que les Mauriciens puissent réfléchir autrement qu’en termes de communautés. Ce qui apportera aussi des changements dans la façon dont l’électorat choisit le chef d’État ainsi que ses députés à l’Assemblée nationale. C’est un très gros travail à accomplir. « We need to have a new vision and a new equation in order to become a nation! »