Sen Ramsamy : « Un manque cruel d’idées nouvelles pour le tourisme »

Dans l’entretien qui suit, Sen Ramsamy, l’ancien directeur de la Tourism Authority et ‘Managing Director’ du Tourism Business Intelligence, revient sur les raisons qui l’avaient poussé à claquer la porte de cette instance en mars dernier. Il n’hésite pas à égratigner les « petits potentats et mandarins » qui n’arrivent pas à faire la différence entre le travail et le ‘jalsa’. Tout en saluant les bonnes initiatives contenues dans le budget pour stimuler la croissance économique, il regrette, par ailleurs, qu’il y a un manque cruel d’idées nouvelles pour le secteur touristique.

 

Q : Votre passage à la Tourism Authority a été soldé par une démission en mars dernier. Etait-ce si difficile pour le professionnel que vous êtes du secteur touristique de travailler au sein de cet organisme censé promouvoir ce même secteur ?

R : En effet, mon passage à la Tourism Authority n’a duré que cinq mois. J’ai claqué la porte après que j’ai remarqué une divergence fondamentale dans la culture de travail et dans l’approche de certains dirigeants qui se plaisent à opérer avec un amateurisme foudroyant. Je voulais réformer cette institution tant décriée par l’ensemble de l’industrie touristique et par le public de par sa léthargie, ses structures archaïques, et le manque de discipline et de rigueur. Ayant participé activement à la création de cet organisme en 2001-2002, j’étais écœuré de constater l’état de cette institution en 2016. Mon projet de réforme, pourtant acclamé par le personnel, les syndicats et même le PRB, a été saboté derrière mon dos par des gens qui ne comprennent rien du tourisme. Ce n’est pas après plus de 30 années de discipline et de rigueur dans le tourisme et ce pour plusieurs pays à travers le monde, que j’allais maintenant renier mes principes et mes valeurs professionnelles. Après 20 ans dans le privé, j’ai accepté de servir mon pays sous ce même ministère que j’ai aidé à créer en 1985 sous sir Gaëtan Duval. Je peux vous dire que j’ai eu honte à devoir m’accommoder à la médiocrité ahurissante de certains potentats. D’ailleurs, je ne fais jamais de concessions quand il s’agit de professionnalisme, de rigueur et de discipline dans le travail, de respect pour mon personnel et de décorum dans les réunions.

 

Q : Vous aviez évoqué des raisons personnelles pour justifier votre départ. Or, c’est un secret de polichinelle qu’il y avait un conflit entre Robert Desvaux et vous-même. Les rapports entre les nominés du PMSD et ceux du MSM sont-ils à ce point ardus ?

R : Je tiens à préciser que ma nomination n’était pas politique et je n’étais pas un nominé politique comme vous le dites. J’ai plus de 30 ans de carrière dans le tourisme à Maurice et au niveau international. J’ai accepté d’aider mon pays et ce secteur parce que j’entendais beaucoup de critiques contre la Tourism Authority par des opérateurs privés et du public en général. Je voulais apporter des changements concrets dans le court et moyen termes et travailler avec une vision concertée sur le long terme. Ma priorité, c’était d’offrir un service sans reproche aux opérateurs. Les petits potentats et mandarins n’avaient rien compris et ne comprendront jamais la différence entre travail et ‘jalsa’.

  • Les petits potentats et mandarins n’avaient rien compris et ne comprendront jamais la différence entre travail et ‘jalsa’

 

Q : Personne au sein du MSM, parti dont vous êtes proche, n’est venu vous porter secours ?

R : J’ai choisi de partir en bons termes avec tout le monde. J’ai expliqué la raison de mon départ au ministre qui a respecté ma décision. J’en ai également parlé au Premier ministre, mais je n’ai pas demandé de l’aide car c’était peine perdue.  D’ailleurs, quelques semaines seulement après ma prise de fonction, j’avais compris que je n’allais pas pouvoir rester dans ce milieu. Je ne me suis pas engagé dans la campagne électorale pour chercher une ‘boute’, mais plutôt pour aider à apporter un vrai changement de mentalité dans le travail, dans notre société et pour un meilleur destin pour nos enfants. Je préfère continuer mon chemin ailleurs et avoir plus de satisfaction pour un travail bien fait et apprécié.

 

Q : La TA poursuit-elle son cheminement sur les fondements que vous aviez jetés ?

R : En cinq mois, je peux dire que beaucoup a été fait et les bases ont été jetées pour un travail d’envergure dans ce secteur. La classification hôtelière est une réalité après plus de 30 ans de tergiversations et de valses hésitations. Les faux permis en circulation ont été neutralisés par un QR Code. La plage de Péreybère est enfin devenue ‘‘boat-free’’ grâce à la TA sous ma direction. Le projet de ‘‘e-licensing’’ a bien démarré et aurait dû être en vigueur dès ce mois-ci. Le paiement en ligne ou aux bureaux de poste, les programmes de formation du personnel et des skippers, les sms ‘blasts’ pour prévenir les sorties en mer, la création d’un Dolphin Park à Flic-en-Flac, l’ouverture d’une out-station de la TA à Trou d’Eau Douce, le recrutement d’une trentaine de jeunes cadres, la restructuration de la TA, et beaucoup d’autres projets ont été réalisés ou sont en cours de l’être. Et ce, sur seulement cinq mois de travail. Plus important, avec mon approche ‘lead from behind’, les employés de la TA étaient tous motivés à fond pour accomplir de belles réalisations pour le tourisme mauricien.

 

Q : Les principaux opérateurs économiques se disent plutôt satisfaits du Budget 2016-2017. Pensez-vous qu’il jette effectivement les bases pour une nouvelle ère de développement, comme souhaitée par le Grand argentier ?

R : Je trouve que, globalement, c’est un bon budget surtout pour les PMEs, la classe moyenne et les gens pauvres. Le budget contient de bonnes initiatives pour stimuler la croissance économique tout en faisant la part belle au social. Donc, c’est un budget qui promet pour le pays. Cela dit, il est important de souligner que le ministre a tracé la voie et c’est maintenant le rôle de chaque Mauricien, quel que soit son domaine d’activités, de retrousser les manches pour réussir dans cette voie. Je ne crois jamais dans les budgets ‘bonhomme Noël’, ni au miracle. Sans l’effort, le savoir-faire et la discipline, le budget ne sera qu’un chapelet de bonnes intentions.

Les mesures annoncées pour le tourisme me laissent un goût plutôt aigre-doux. Autant que j’apprécie l’annonce d’une plus grande ouverture de l’accès aérien, de la création des facilités duty-free, et un meilleur ciblage marketing sur le Moyen-Orient, l’Europe de l’Est et la Scandinavie, autant je trouve que les propositions pour la création d’un musée national, d’un aquarium et d’un Mauritius Calendar comme signe d’un manque cruel d’idées nouvelles pour ce secteur. Les experts du ministère du Tourisme auraient pu faire des meilleures recommandations pour ce secteur.

Il y a bien d’autres mesures à prendre pour amener les touristes à dépenser davantage dans l’île. Très souvent le visiteur repart avec son argent car il n’y a pas de produits et services dignes de ce nom pour l’inciter à dépenser. Les hôtels bradent leurs offres en All-Inclusive, ils croient gagner en volume, mais le pays perd en qualité et en recettes. Imaginez-vous que dans une destination qui se veut haut de gamme, un touriste dépense seulement 125 dollars américains en moyenne par jour, incluant son hébergement, nourritures, boissons, transport, excursions, shopping, etc ? Alors que la moyenne de dépenses des touristes aux Maldives est de plus de US$ 200 par jour, aux Seychelles et au Sri Lanka US$ 170 par jour ! Si nous nous fixons un objectif de faire dépenser une moyenne de US $ 225 par jour par touriste, nous aurons reçu, non pas Rs 50 milliards de revenus du tourisme comme prévus, mais Rs 100 milliards en une année seulement.

Je dis toujours que le succès du tourisme ne se mesure pas en termes d’arrivées touristiques seulement, mais bien plus en termes de revenus du tourisme, d’emplois créés dans le secteur, du PIB et d’investissements touristiques. Si on fait ce qu’on a toujours fait, on récoltera ce qu’on a toujours récolté.

 

Q : Le ministre des Finances, Pravind Jugnauth, a affirmé vouloir surfer sur le regain de dynamisme dans le tourisme pour ouvrir de nouvelles voies et soutenir son développement à long terme. Les mesures qui y sont énoncées répondent-elles aux attentes des opérateurs du secteur ?

R : Le dynamisme dans le tourisme est visible dans les arrivées de touristes dans l’île. Ceci est largement dû à l’ouverture de notre espace aérien, mais il est aussi lié aux conjonctures internationales marquées par des problèmes de sécurité, à l’instabilité politique et à des menaces auxquelles font face certaines autres destinations. Nous récoltons un peu de ces circonstances. Pour soutenir le développement du tourisme dans la durée, il faut bien plus qu’un musée ou d’un aquarium qui n’attirent pas la grande foule encore moins les inciter à y dépenser gros. Il y a un manque de créativité et d’innovation dans ce secteur. L’offre touristique mauricienne, à part les hôtels grands luxes, n’est pas étoffée ni agrémentée de produits et services qui inciteraient les visiteurs à dépenser plus comme ils font à Singapour, Dubaï et Hong Kong.

D’autre part, il y a des mesures hors budget qui ont été prises récemment dans le tourisme qui affectent les ‘ground-handling operations’. Je trouve cela inconcevable que les autorités aient cédé sur toute la ligne sous la pression des syndicats de taxis. Alors que le taximètre devrait être obligatoire pour tous les taxis opérant dans l’enceinte des hôtels et à l’aéroport, et que les taximen devraient aussi suivre des cours en ‘customer care, grooming, communication, PR etc’ comme cela se fait professionnellement sur toutes les destinations, ces mesures ont été abandonnées sèchement, mais les facilités sont offertes généreusement sans analyser ‘the dark side of the equation’. Je suis entièrement en faveur des facilités offertes aux taxis, mais il fallait impérativement avoir des ‘trade-offs’ car il s’y passe beaucoup de choses au détriment des visiteurs et de la destination. C’est un ‘time bomb’ contre le tourisme.

 

Q : Le gouvernement va investir, pour l’année financière 2016-2017, Rs 40 millions dans la promotion de l’Air Corridor. Cette initiative visant à positionner Maurice comme un ‘aviation hub’ dans la région porte-t-elle ses fruits ?

R : Je crois que le corridor aérien commence à donner des signaux avec l’arrivée du hyper low-cost Air Asia à Maurice bientôt. On me dit que cette compagnie va donner du fil à retordre à Air Mauritius. Je ne partage pas cet avis. Au contraire, je pense qu’elle sera un bon ‘feeder’ pour MK sur l’Afrique, et notre paille-en-queue a intérêt à revoir son ‘business model’. Le temps ne joue pas en faveur d’Air Mauritius car en peu de temps, elle risque fort de se retrouver avec un autre low-cost régional avec l’apport des empereurs du ciel. Air Mauritius doit créer sa propre subsidiaire low-cost et de préférence en partenariat avec les autres îles de l’océan Indien, afin de mieux desservir l’Afrique et la région, comme le font déjà Singapore Airlines et Emirates. Ce sont des opportunités qui ne resteront pas longtemps à attendre une sur-intellectualisation de la problématique de l’accès aérien. Les Rs 40 millions représentent un bon signal pour le développement de l’axe aérien Asie-Afrique. Mais je dis toujours que l’accès aérien est une richesse nationale qui mérite d’être gérée de façon professionnelle et structurée.

 

Q : Le secteur touristique est-il prêt à relever les défis qui seront inévitablement causés par le Brexit ?

R : Vous savez, avant la création de l’UE, les pays d’Europe, y compris la Grande-Bretagne, étaient nos principaux marchés émetteurs de touristes. Les Britanniques, Brexit ou pas, vont continuer à voyager car ils sont des grands voyageurs et c’est dans leur gène. On va peut-être souffrir par rapport aux recettes touristiques à cause de la posture fragilisée de la livre. Le secteur va certainement relever le défi en misant sur le segment plus affluent du marché britannique et sur d’autres marchés prometteurs tels que les pays scandinaves, les pays arabes, entre autres. L’accent sur les marchés indien et chinois est intéressant, mais il faut savoir y entrer par la bonne porte. Si on vise à faire du volume, on va perdre en recettes. Le Moyen-Orient, l’Inde, la Chine, la Corée du Sud, l’Australie et le Japon sont des marchés porteurs avec des niches fort intéressantes mais pas exploitées de façon optimale. Les riches voyageurs de ces pays cherchent de nouvelles destinations offrant bien plus qu’une chambre de luxe pour y séjourner. Ils recherchent plus que le soleil, la mer et la plage. Je constate aussi que le secteur privé n’arrive pas à innover dans le tourisme à part construire des hôtels de plage qui se ressemblent. Faisons plutôt confiance à la jeune génération, car je pense  qu’ils feront des merveilles pour notre pays et ils assureront leur avenir avec une vision éclairée et plus d’audace.

  • Le succès du tourisme ne se mesure pas en termes d’arrivées touristiques seulement, mais bien plus en termes de revenus du tourisme, d’emplois créés dans le secteur, du PIB et d’investissements touristiques