Selon un « Internal Control Report » du ministère des Finances : L’ICC inapte pour organiser le hadj

  • Plusieurs irrégularités, manipulations et conflits d’intérêts dévoilés
  •  Le rapport recommande que l’organisation du hadj soit confiée à une autre instance
  •  La démission du board réclamée par des organisateurs
  •  « C’est un rapport aveugle ! » défend le Pr. Hussein Subratty

 Mauvaise gestion des ressources humaines et des fonds, pratiques malsaines et frauduleuses, dépenses excessives et inexpliquées, conflits d’intérêts… Ce sont là autant de critiques faites à l’encontre du Centre Culturel Islamique par … le ministère des Finances ! L’« Internal Control Report » pour la période de janvier 2016 à février 2018, et dont nous avons une copie, est accablant. Il lève le voile non seulement sur la gestion catastrophique de cet organisme, mais aussi sur ses manigances et manipulations quant à l’organisation du hadj. Et c’est là que le bât blesse le plus puisque le rapport relève plusieurs irrégularités, et non des moindres, concernant cette mission ô combien importante confiée à l’Islamic Cultural Centre (ICC). D’ailleurs, le rapport recommande que l’organisation du hadj lui soit carrément enlevée pour être confiée à un autre organisme, et ce dans l’intérêt des pèlerins.

 Personnel: Neuf ans sans Directeur 

Cela fera bientôt neuf ans depuis que l’ICC fonctionne sans directeur. En effet, aucun directeur n’a été recruté par le board depuis … 2010 ! Et ce, en dépit du fait qu’un budget est prévu pour ce poste annuellement et qu’il figure dans le « grant for recurrent expenditure ». Le rapport déplore aussi le fait que le secrétaire de l’organisme agit aussi comme le secrétaire du board. Ce dernier accumule aussi bien les fonctions de trésorier, tout en agissant comme « Officer in Charge ». Une situation inédite puisqu’il n’y a pas de séparation de pouvoirs entre le niveau décisionnel et les fonctions exécutives.

L’ICC emploie, par ailleurs, un chauffeur à plein temps alors qu’aucun véhicule ne soit attaché à l’organisme. Qui plus est, le chauffeur percevait même, jusqu’en avril 2016, une allocation de Rs 1 000 mensuellement pour « additional duties ». Autre anomalie, c’est le « Hadj / Programme Officer » qui agit comme caissier alors que ce dernier n’est pas autorisé à effectuer des transactions financières. Le rapport soulève aussi un lièvre concernant le cas d’une stagiaire. Celle-ci ne touche qu’une allocation fixe de Rs 6 000 mensuellement (incluant Rs 1 000 pour ses frais de transport) alors qu’elle y travaille depuis … mai 2013 ! À mars 2018, elle n’avait pas encore été confirmée à son poste.

Le rapport dénonce le fait que les dirigeants de l’ICC n’aient démontré aucun intérêt pour améliorer les conditions de service de ses employés. D’autant qu’ils ont ignoré les circulaires du PRB 2016 concernant les soumissions en vue des révisions. Ce qui pousse les rédacteurs du rapport à conclure que cette instance ne s’intéresse nullement à améliorer la qualité de ses services offerts.

Gestions des fonds : Ahurissant 

Comptes inactifs, transferts douteux et inexpliqués, utilisation abusive de certains comptes, informations inexactes soumises au MAC… Le rapport tire la sonnette d’alarme en ce qu’il s’agit la gestion des finances. D’abord, la « Principal Internal Control Officer », S. Baznauth, dénonce l’existence de plusieurs « cash books » pour les divers comptes bancaires alors qu’il y aurait dû en avoir un seul. D’ailleurs, certains de ces « cash books » ne sont pas dûment remplis. Ce qui sous-entend que les comptes y relatifs sont inactifs. Le rapport attire aussi l’attention sur plusieurs transferts douteux équivalant jusqu’à des centaines de milliers de roupies, à l’instar de celui de Rs 600 000 effectué sans raison valable. Le rapport s’interroge aussi sur l’existence d’un compte bancaire en Arabie Saoudite. Selon un « cash book » intitulé « The Register : Bank Guarantee in Kingdom of Saudi Arabia », il paraît qu’il y a une balance de Rs 805 804.80 dans ce compte en Arabie Saoudite. Celui-ci est censé servir comme dépôt pour les 1540 hadjis. Or, il n’y a aucun document pouvant l’attester. Idem pour deux autres transferts de Rs 548 625 et Rs 433 380 effectués sur ce compte.  L’ouverture d’un compte en Euro laisse aussi perplexe.

Le rapport relève que l’ICC a obtenu des revenus équivalant Rs 1 million durant la période de janvier 2016 à février 2018. Cependant, les numéros des reçus remis ne sont pas enregistrés. Le rapport précise aussi ne pas pouvoir garantir si ces revenus ont été déposés en banque. Par ailleurs, mention est aussi faite des paiements de l’ordre de plusieurs milliers de roupies sans qu’il n’y ait de reçus. L’existence de nouveau carnets de reçus ayant les mêmes numéros de série que ceux dans le passé est aussi pointée du doigt. Ce qui pourrait faire croire à des pratiques frauduleuses.

Hadj/ Programme Officer : Véritable controverse

Le rapport est très critique envers le « Hadj/ Programme Officer ». Durant la période janvier 2016 à décembre 2017, plusieurs chèques totalisant un montant de Rs 62 700 ont été émis au nom de cet officier pour des dépenses encourues pour l’ICC. Toutefois, certaines de ces réclamations n’étaient pas soutenues par des factures. Deux autres réclamations faites par le « Hadj/ Programme Officer » pour des montants de Rs 16 625 et de Rs 72 770 respectivement pour des dépenses liées au hadj ont été rejetées, ces factures n’étant pas disponibles. Le rapport recommande que cet officier soit prévenu qu’il ne doit en aucun cas engager l’ICC dans des transactions ou prendre des initiatives personnelles sans l’aval du board. Autre recommandation du rapport, aucun paiement ne doit être effectué sur les noms des employés à moins qu’ils aient fourni le service eux-mêmes, une pratique qui doit néanmoins être évitée autant que possible.

Mais ce n’est pas tout. Le « Hadj/ Programme Officer » est aussi épinglé concernant l’organisation d’un déjeuner. L’aval du board n’a, semble-t-il, pas été obtenu pour la tenue de cet événement. Une décision qui le mettrait en situation de conflit d’intérêts. « In addition, the fact that he has used the Government property to host a lunch which was unofficial and not approved by the ICC Board, this act by the Hadj/ Programme Officer may be seen as corruption offences under sections 7, 11 and 13 of the Prevention of Corruption Act 2002 (POCA 2002 », soutient-on dans le rapport.

 « Bids Processing » pour le transport des pèlerins : Violation des règlements

Le rapport note des irrégularités quant au « bids processing » pour le transport des pèlerins. Ainsi, au lieu d’un appel d’offres, il y a eu, en 2017, une « Expression of Interest ». Ce qui n’est pas à l’avantage des pèlerins. Des failles sont aussi évoquées en ce qu’il s’agit de l’ouverture des soumissions. L’ICC a, selon le rapport, enfreint les règlements, dont ceux de la « Financial Instructions 1 of 2014 » et le « Public Procument Act 206 ». Autre irrégularité soulignée, la « bid box » pour l’« Expression of Interest » pour le transport des pèlerins n’était pas scellée, contrairement aux règlements. « The non-conformity to the financial instructions may lead to tampering of bids in favour of particular potential supplier or service provider », peut-on y lire.

 Enregistrement de pèlerins: Système douteux

L’enregistrement des pèlerins est fait de façon amateure, voire au petit bonheur. Au grand dam de ceux qui veulent accomplir le cinquième pilier de l’Islam. En décembre 2017, seulement 11 700 enregistrements ont été informatisés alors que 19 803 demandes avaient été reçues. Pire, le « Hadj Register » pour cette même période ne fait, lui, état que de … 8 637 applications ! D’autres irrégularités concernant l’exercice d’enregistrement ont également été notées. Le fait que le « Hadj Register » ne soit pas actualisé tout de suite pourrait nuire à la pratique « first come first served ». Des pèlerins non-enregistrés peuvent aussi être favorisés dans certains cas où les noms des « Mahram » ne sont pas mentionnés.

Dépenses encourues pour le hadj : Le manque de transparence décrié

Le rapport déplore que le board de l’ICC n’ait pas respecté le montant du « grant » alloué pour le pèlerinage. Pour l’année financière 2016-2017, Rs 1, 345, 000 avaient été allouées pour le hadj. Or, le board de l’ICC a approuvé, le 11 août 2016, un montant de Rs 1 395 296, soit au-delà du montant obtenu du ministère. Cela sans que le board ne fasse provision pour les dépenses liées à la prochaine « Hadj Mission ».  Au final, une somme de Rs 1 848 624.79 a été dépensée pour le hadj 2016. Ce qui représente un surplus de Rs 503 624.79, excluant les frais de téléphonie (roaming charges) pour un ancien membre de la « Hadj Mission ».  Cependant, une réallocation des fonds pour couvrir ces dépenses additionnelles n’a pas été autorisée.

Les dépenses pour le hadj 2017 en Arabie Saoudite ont, elles, totalisé, Rs 763 978. Or, les factures y relatives étaient en possession du Hadj Officer et non pas au département des finances. Qui plus est, certaines factures totalisant Rs 125 155.80 pour les frais de transport, la nourriture et le tanazzul, entre autres, n’ont pas été présentées pour les besoins de l’audit interne.  Le rapport soutient ainsi que « there is a lack of accountability in respect to the expenses incurred in KSA for had missions ».

 Pre-Hadj Mission : Dépenses exagérées

Les dépenses encourues par l’ICC pour les « Pre-Hadj Missions » font sourciller. Il s’avère ainsi que les frais d’un membre pour la durée de cette mission, allant de six à huit jours, coûtent bien plus que pendant le pèlerinage qui dure, lui, pendant un mois. Il ressort ainsi que le « Hadj/ Programme Officer » et le chairman ont perçu chacun un « per diem » de Rs 106 159.20 pour une durée de six nuits durant la « Pre-Hadj Mission » de 2017. Or, les membres de la « Hadj Mission » ont reçu chacun une allocation fixe de Rs 40 000 (SAR 4000), comme approuvée par le board, et ce pour une durée d’un mois. Une disparité qui saute aux yeux !

Le rapport soulève aussi une anomalie concernant le rôle du chairman du board de l’ICC par rapport à l’organisation du pèlerinage. Il ne peut à la fois faire partie du « Pre-Hadj Mission », présider le « Hadj subcommitee » concernant la sélection des opérateurs et diriger le « Hadj Mission ». « …this depicts a clear picture of lack of transparency, no segregation of duties and lack of independency », souligne le rapport. Et d’ajouter que: « It is to be highlighted that the reports of the had missions prepared by the Head of the Hadj Mission are submitted to the ICC Board where the Chairman himself was the head and thus gives rise to conflict of interest ».

À titre d’exemple, selon le rapport de la « Pre-Hadj Mission » de 2017, un des hôtels approuvés à Makkah Muharramah (B package) était le Yajid Hotel qui ne correspondait pourtant pas aux critères établis par l’ICC Board.

Opérateurs: Risque de favoritisme

Pour le pèlerinage de 2017, seulement des permis temporaires (provisional licences) étaient émis aux opérateurs le 21 avril de cette année. Cependant, ces derniers ont fourni leurs garanties bancaires et chèques bien après cette date, soit en août. Outre le fait que les règlements n’ont pas été respectés, l’ICC court aussi le risque que les opérateurs ne soumettent pas leurs garanties à la dernière minute. Le rapport émet d’ailleurs un doute en ce qu’il s’agit du respect de ce règlement puisque seulement 2 garanties bancaires et 10 chèques ont été soumis à l’« Internal Control Unit » bien que 16 opérateurs aient payé leurs « licence fees ». Une situation qui pourrait favoriser certains opérateurs, selon le rapport.

Le rapport tire aussi la sonnette d’alarme en ce qui concerne l’exercice de sélection des opérateurs du hadj. Pour les deux pèlerinages de 2016 et 2017, il n’y a aucune garantie, selon le rapport, que les opérateurs aient été sélectionnés de façon juste et équitable. Pour 2018, par exemple, « Enlistment of operators was done on the basis that ‘they have all been resquested to submit their respective packages to ICC by 21.04.17 in the light of which provisional licences would be issued to them’, implying that no assessment was done on the potential operators ».

 Hussein Subratty, chairman de l’ICC : « C’est un rapport aveugle ! »

« On vient de prendre connaissance du rapport. On va étudier les recommandations », nous a déclaré le Prof. Hussein Subratty, chairman de l’ICC. Pressé de questions, il lâchera : « Le rapport contient beaucoup de contradictions et d’informations incorrectes. C’est un rapport aveugle ! En temps et lieu, on va réagir ».

« Mauvaise foi », soutient-on à l’ICC

Dans le milieu de l’ICC, l’on dénonce avec force ce rapport. « C’est de mauvaise foi », avance-t-on. L’on y soutient même que le rapport a été rédigé par un ancien organisateur alors qu’il est signé par la « Principal Internal Control Officer », S. Baznauth. On laisse ainsi entendre que l’ICC compte réfuter, points par points, les « findings » du rapport. L’on regrette que le rapport ait été fait « aveuglement » sans que les explications des responsables ne soient recherchées. En ce qu’il s’agit des dépenses liées au hadj, une source explique que la valeur du riyal saoudien a considérablement augmenté par rapport à la roupie ces derniers temps tandis que le budget alloué à l’ICC est, lui, resté le même.

Réactions :

Showkutally Soodhun : « Je ne suis qu’un facilitateur en Arabie Saoudite »

« Je n’ai rien à faire avec l’ICC et je ne suis même pas responsable de son ‘day-to-day management’. Je ne suis qu’un facilitateur pour le hadj en Arabie Saoudite », nous a-t-il déclaré.

 Raffique Santally, organisateur et ancien « trustee » de l’ICC : « Un certificat d’incompétence et d’inefficience »

raffic-234x300« Je ne connais pas tout le contenu du rapport. Mais d’après les quelques bribes d’informations que j’ai eues et qui me paraissent accablantes, je pense que le board doit démissionner. Cela confirme nos doutes quant aux raisons pour lesquelles on avait contraint Sam Lathan et Fareed Jaunboccus, deux gestionnaires, de s’en aller. C’est le plus mauvais board que l’ICC a eu depuis sa création. Ce rapport est synonyme d’un certificat d’incompétence et d’inefficience pour le board. C’est triste qu’un staff doit porter le chapeau pour la mauvaise gestion du board. Le ministre Roopun doit donner un carton rouge à ce dernier ».