Saga Betamax / STC : La STC doit encore faire face à la justice indienne

La Cour suprême vient de donner gain de cause à la State Trading Corporation (STC) dans le litige qui l’opposait à Betamax dans un jugement rendu ce vendredi 31 mai. En effet, la Cour, composée du Senior Puisne Judge (SPJ) Asraf Caunhye et des juges Nirmala Devat et David Chan Kan Cheong a décrété que la décision arbitrale rendue par le Tribunal d’arbitrage de Singapour en faveur de Betamax devait être annulé vu que le contrat d’affrètement entre Betamax et la STC est « illegal » et « contrary to public policy ».

Pour rappel, le Tribunal d’arbitrage international de Singapour avait ordonné la State Trading Corporation (STC) de payer une indemnité de Rs 4,5 milliards à Betamax suite à la résiliation du contrat entre Betamax et la STC par le gouvernement Lepep en 2015. Le contrat portait sur l’acheminement des carburants à Maurice pour la somme de Rs 10 milliards. Une clause dudit contrat prévoyait qu’en cas de dispute, les parties se soumettraient à la décision du Tribunal d’arbitrage de Singapour. Selon une convention internationale datant de 1958, les sentences d’arbitrage doivent être reconnues dans tous les pays signataires de cette convention sauf en cas d’exception.

Les juges mauriciens ont dans leur jugement invoqué la section 14 du Public Procurement Act (PPA) de 2006, qui stipule que : « No public body shall […] award a major contract unless the award has been approved by the Central Procurement Board.”

Ils concluent : “The CoA [NdlR : le contrat entre la STC et Betamax] was to all intents and purposes a contract which had been illegally awarded in breach of the PPA. […] We have absolutely no difficulty in holding that the public policy of Mauritius prohibits the recognition or enforcement of an award giving effect to such an illegal contract which shakes the very foundations of the public financial structure and administration of Mauritius in a manner which unquestionably violates the fundamental legal order of Mauritius.”

Betamax compte faire appel devant le Privy Council, selon une déclaration de ses hommes de loi à la presse la semaine écoulée.

Un conflit de jugement potentiel avec l’Inde

Une coïncidence surprenante a voulu que la Cour suprême mauricienne rende ce jugement alors que deux jours auparavant (le 29 mai), la Cour suprême indienne avait émis un ordre provisoire à l’encontre de la State Trading Corporation (STC), qui devait fournir une garantie bancaire d’environ 127 millions de dollars US pour couvrir d’éventuels frais de justice.

Betamax voulait que la justice indienne mette en application la sentence du Tribunal d’arbitrage de Singapour (applicable internationalement) car la STC a des biens dans ce pays, notamment les cargaisons de pétrole achetées à la compagnie Mangalore Refinery and Petrochemicals Ltd (MRPL) et qui devaient être acheminées à Maurice par les navires de Betamax avant la rupture de contrat. La Cour suprême indienne a donc exigé que la STC fournisse cette garantie bancaire de Rs 127 millions. Il nous revient que les hommes de loi de STC vont multiplier les efforts dans les jours à venir pour que la STC ne fournisse pas cette garantie bancaire, à la lumière du jugement de la Cour suprême mauricienne. L’ordre provisoire de la Cour suprême indienne sera en vigueur jusqu’a ce que l’affaire soit prise sur le fond le 8 juillet.

Y a-t-il une possibilité que la justice indienne donne gain de cause à Betamax sur l’exécution de la sentence en dépit du fait qu’elle a été annulée à Maurice ?

Nous nous sommes tournés vers Me Jamsheed Peeroo, expert en droit de l’arbitrage international. L’homme de loi nous explique que : « Les juges indiens ne vont vraisemblablement pas entrer dans le fond du litige mais vont se concentrer essentiellement sur des points de procédure. La Convention de New York de 1958 prévoit que le juge d’exécution peut refuser de reconnaître une sentence si elle a été annulée dans l’Etat du siège de l’arbitrage ou si la sentence va contre l’ordre public.  Si jamais le juge indien décide que la sentence arbitrale devrait être exécutée sur son territoire, les biens que le défendeur possède en Inde peuvent devenir l’objet d’exécution. » En l’occurrence, le pétrole de Mangalore Refinery…

Et si la justice indienne donne éventuellement gain de cause à Betamax, est-ce qu’il y aura un recours devant la Cour suprême de Maurice ? Me Peeroo explique : « En droit international, les cours de justice d’un pays vont en principe respecter la juridiction et les jugements provenant d’un autre pays et la souveraineté territoriale. »

Mais ce sera donc un conflit de jugements ? Est-ce que c’est courant en matière d’arbitrage international ? Me Peeroo poursuit « Un conflit de jugements entre la Cour suprême de Maurice et la justice indienne est improbable, mais pas impossible. Cela a déjà été le cas auparavant avec d’autres pays. Mais la pratique dominante reste que les tribunaux étatiques considèrent que la cour dite ‘du siège’ (dans le cas présent, il me semble que c’est la Cour suprême mauricienne) aurait une compétence exclusive pour contrôler la sentence arbitrale et que sa décision d’annuler une sentence arbitrale aurait, par conséquent, un effet international. Donc, en principe, la justice indienne pourrait rendre une décision qui soit conforme au jugement de la Cour suprême mauricienne et refuser d’ordonner l’exécution de la sentence arbitrale en Inde. Mais il existe des exceptions, rares, où une juridiction étrangère ordonne l’exécution d’une sentence arbitrale sur son territoire alors que le tribunal étatique du siège de l’arbitrage a annulé la sentence. »

 

Ravin HURLOLL