Roshi Bhadain :  « Un déficit de Rs 64 milliards caché à la population ! »

  • « La dépréciation de la roupie est équivalente à une augmentation de 15 à 20% de la TVA »

Roshi Bhadain décortique pour nous le budget présenté par le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, jeudi. Un exercice que le leader du Reform Party qualifie de « Money Heist ». Il évoque par ailleurs un déficit budgétaire de Rs 64 milliards pour 2019-2020 et 2020-2021. Voici des grands extraits de cet entretien réalisé vendredi. Pour l’interview complète, connectez-vous sur notre siteweb et notre page Facebook.

Zahirah RADHA

 

 Q : Qu’en pensez-vous de ce budget ?

C’est un budget « Money Heist », Casa de Papel ! La Banque Centrale a été dilapidée pour que le gouvernement puisse avoir de l’argent pour ce budget. C’est extrêmement grave pour le pays. Certains tentent de le justifier en soutenant que c’est un recours qui se pratique aussi dans d’autres pays. Or, ces gouvernants ne dévalisent pas leur Banque Centrale, mais empruntent plutôt ses réserves. À Maurice par contre, une loi a été votée pour exterminer la Banque Centrale.

D’un côté, le gouvernement s’octroie un ‘grant’ de Rs 60 milliards pour le budget, couplé des Rs 18 milliards qu’il avait déjà obtenues auparavant. De l’autre, Rs 80 milliards sont prévus par la Banque Centrale pour le secteur privé. Au total, c’est Rs 158 milliards qui ont été décaissés par la Banque Centrale alors que ses réserves s’élèvent à environ Rs 280 milliards.

On tente de nous faire croire que c’est la Covid-19 qui est responsable de cette situation alors que tel n’est pas le cas.

 

Q : Mais la situation économique a quand même été aggravée par la Covid-19…

Il y a quatre problématiques qui ont provoqué cette situation. Il y a d’abord Air Mauritius et puis l’inclusion de Maurice sur la liste noire de la Commission Européenne. Les deux n’ont rien à voir avec la Covid-19. Ensuite, il y a le commerce et le tourisme qui sont, eux, liés à la Covid-19.

Prenons le cas d’Air Mauritius. En décembre de l’année dernière, la compagnie avait fait des pertes de Rs 950 millions pour une période de neuf mois. Elle était déjà banqueroute depuis janvier, d’où la mise sur pied du ‘Transformation Steering Committee’.

Maintenant, il y a les restrictions de voyage en raison de la Covid-19 qui affectent le tourisme. Selon moi, les grandes compagnies du secteur privé n’ont pas besoin de ces Rs 80 milliards pour sortir de la crise car elles en ont déjà les moyens pour la surmonter. Les ‘top 50 companies’ de Maurice ont payé, durant les quatre dernières années, des dividendes de Rs 129 milliards à leurs actionnaires. Leurs ‘net assets’ s’élèvent à un trillion 300 milliards 519 millions de roupies. Je le redis, elles ont les moyens et je ne pense pas de toutes les façons qu’elles soient intéressées par une aide de l’État.

 

Q : On dit pourtant que c’est un cadeau fait au secteur privé !

La question, c’est qui va bénéficier de ces Rs 80 milliards de la MIC ? I don’t think that top private sector in Mauritius wants government officials to come and shit in their toilets.

 

Q : Il paraît que même Business Mauritius cherche à connaître les modalités de la MIC. Que cache-t-elle ?

À mon avis, c’est plutôt les compagnies proches du clan familial Jugnauth qui bénéficieront des avantages que le gouvernement ou que la Banque de Maurice offrira. Ce sont elles qui vont en bénéficier et vous le verrez.

 

Q : C’est simplement une supposition que vous faites ou avez-vous des informations y relatives ?

Franchement, je ne vois pas les grands groupes appartenant aux familles Lagesse ou Dalais prendre cet argent. Parce que le secteur privé a la capacité de « heal any problem that it may face ». D’ailleurs, j’ai écouté une intervention de Hector Espitalier Noel sur le tourisme, il a reconnu qu’il y aura une baisse jusqu’au juin 2021, mais que par la suite la crise sera surmontée et que ce sera ‘business as usual’. Je ne vois donc pas pourquoi le gouvernement a pris les réserves de la Banque Centrale pour prétendument venir en aide aux grands groupes. Ce sont surtout d’autres vautours qui bénéficieront de cet argent au détriment de la population mauricienne.

Idem pour l’‘Investment Hotel Scheme’ (IHS). Il ne faut pas oublier, quand on parle d’hôtels, on parle aussi de Maradiva et de Sands. Est-ce qu’ils vont toucher le gros lot ? Je ne vois personnellement aucune mesure structurelle en faveur du tourisme. Comment est-ce que le ‘serviced apartment’ résoudra-t-il le problème d’arrivées touristiques ou le licenciement des employés ?

 

Q : Venons-en à l’inclusion de Maurice sur la liste noire de la Commission Européenne. Comment cela affectera-t-elle notre économie ?

Comme je l’ai dit, ce problème n’a rien à voir avec la Covid-19. Il découle principalement de l’incompétence totale de ce gouvernement qui n’a pas su gérer une situation tellement prévisible après que la ‘Financial Assistance Task Force’ (FATF) ait inclus Maurice sur sa liste grise. Le ministère des Services financiers et celui des Finances, le PMO, la FSC, la BoM et la FIU auraient dû travailler de concert et d’une façon prioritaire pour empêcher que la Commission Européenne ne prenne des actions supplémentaires. Une inclusion sur la liste noire sera fatale pour notre pays.

J’ai entendu Renganaden Padayachy dire qu’il y a Rs 1000 milliards de roupies de devises dans les banques commerciales. Or, celles-ci comptent Rs 780 milliards qui appartiennent aux ‘GBL Companies’. Si Maurice est officiellement incluse sur cette liste noire, ces compagnies seront contraintes de retirer leur argent pour les déposer ailleurs parce que Maurice sera alors une ‘blacklisted jurisdiction’. Les banques commerciales vont ainsi s’effondrer. Ce problème est beaucoup plus grand que celui de Covid-19, de l’hôtellerie ou du tourisme.

 

Q : Une série de mesures a néanmoins été annoncée pour réformer et diversifier le secteur des services financiers, avec notamment la mise sur pied d’une Financial Offenses Court. Est-ce que ces mesures correspondent aux exigences de la situation ?

Les cinq manquements que la FATF avait relevés et qui ont aujourd’hui été accentués en raison de la menace de la Commission Européenne de nous sanctionner, concernent l’‘anti-money laundering’, ‘combating’, ‘financing of terrorism’ (AMLCFD structure) et n’ont rien à voir avec l’évasion fiscale. Que contient le budget pour adresser ce problème spécifique ? Les mesures budgétaires préconisées sont complètement à côté de ce que la FATF et la Commission Européenne reprochent à Maurice. Le problème, c’est la ‘law enforcement structure’. Celle-ci concerne principalement l’ICAC, la police, la FIU, la FSC, les ‘money lenders’ et les ‘cash dealers’. Quelles mesures y relatives ont été prises, sauf la passation de la supervision des ‘money lenders’ et des ‘cash dealers’ de la BoM à la FSC. Grosso modo, il n’y a rien qui vise à résoudre le problème. Résultat : celui-ci s’aggrave davantage. Ce n’est même pas le manque de volonté de régler ce problème, mais plutôt de l’incompétence.

Si vous regardez les nominations, vous verrez que le nouveau CEO de la FSC est un ‘IT guy’. Harvesh Seegoolam, que je connais bien, a été promu comme Gouverneur Général de la BoM alors qu’il n’a jamais travaillé dans une banque. Ce n’est pas sérieux ! Si le ‘council of ministers’ de la Commission Européenne vote pour que Maurice soit ‘blacklisted’, on connaîtra une crise financière provoquée par l’incompétence du gouvernement de gérer le dossier des services financiers.

 

Q : Vous parlez d’incompétence alors que le gouvernement parle de « response historique » face à une crise sans précédent…

C’est historique dans la mesure où il a défoncé la BoM. Là où le bât blesse, c’est qu’il y aura une hyper inflation. De plus, le dollar s’apprécie tandis que la roupie se déprécie, passant de Rs 35 face au dollar en janvier à Rs 40 maintenant, soit une appréciation de 10% du dollar sur la roupie. Tous les produits que nous importons coûteront donc plus cher. Au final, cette dépréciation de la roupie est l’équivalent d’une augmentation de la TVA par 15 à 20% ! La dépréciation de la roupie, il faut le comprendre, est une forme de taxe.

 

Q : Cela vous étonne-t-il que le budget n’ait fait mention d’aucun indicateur économique ou de la dette publique ?

Pe embête dimoune ! Un éléphant est passé devant vos yeux sans que vous ne le réalisiez. Le présent budget fait état des revenus de Rs 162 milliards et des dépenses de Rs 162 milliards également, soit un budget équilibré. C’est faux ! Il a fallu que le gouvernement obtienne Rs 60 milliards de la BoM pour qu’il puisse faire ce budget. En réalité, il n’avait que Rs 102 milliards et les Rs 60 milliards additionnelles, il les a eues de la BoM. Où est donc l’équilibre ? Il y a en fait un gros trou déficitaire de Rs 60 milliards ! Le pays est déjà en situation de banqueroute !

Voyons maintenant les chiffres de l’année dernière. Pravind Jugnauth avait fait état des revenus de l’ordre de Rs 120 milliards et des dépenses de Rs 137 milliards, donc un déficit budgétaire de Rs 17 milliards pour 2019-2020. Toutefois, les chiffres actuels du présent budget démontrent qu’il n’y a eu concrètement que Rs 97 milliards de revenus comparé au ‘budgeted amount’ de Rs 120 milliards alors que les dépenses actuelles sont de Rs 142 milliards, soit Rs 5 milliards de plus que ‘budgeted’. Si vous déduisez les revenus de Rs 97 milliards des dépenses actuelles de Rs 142 milliards, cela vous fait un déficit de Rs 45 milliards pour le dernier budget 2019-2020. Voilà ce qu’on vous cache.

Ce n’est pas tout. Dans le ‘capital expenditure budget’, il y a aussi un déficit de Rs 19 milliards. Si vous ajoutez les Rs 45 milliards de déficit du ‘recurrent budget’ aux Rs 19 milliards de déficit du ‘capital expenditure’, cela vous fait un déficit de Rs 64 milliards ! C’est énorme ! To add insult to injury, il l’a caché à la population. Je ne sais pas comment ce gouvernement peut toujours rester en poste. En 1995, il y a eu un ministre des Finances qui a dû démissionner parce qu’il y avait un trou de Rs 800 millions. Là, zot tou bizin lève paké allé !

 

Q : Rs 9 milliards ont été accordées à Air Mauritius. Est-ce que cette aide permettra à la compagnie d’aviation nationale de respirer ?

Il faut comprendre qu’avec la nomination de Sattar Hajee Abdoula, c’est lakwizinn qui s’occupe d’Air Mauritius. Ki zot pe cuit ? Nou penkor koné, mais ena ene zafer pe cuit. Moi je pense que leur plan consiste à liquider la compagnie. Si cela s’avère, cela donnera une mauvaise réputation au niveau international, surtout en ce qui concerne nos ‘dealings’ avec les ‘aircraft manufacturers’. Ces Rs 9 milliards serviront-elles à effectuer certains paiements avant une éventuelle liquidation de la compagnie et la création d’une nouvelle entité ? On ne tardera pas à le savoir.

 

 

Q : Une mesure qui soulève un tollé du côté des syndicats et de l’opposition concerne la réforme du système de la pension avec l’abolition du NPF et l’introduction de la CSG. Y voyez-vous anguille sous roche ?

 

Je ne sais pas trop ce qu’il en est de la pension universelle, mais par contre, on nous cache un gros problème concernant le ‘retirement fund’ et la gestion du NPF. Le gouvernement pratique une politique d’opacité et ne joue pas la carte de la transparence. Combien d’argent y a-t-il au NPF ? Quel montant de cette somme a-t-il été investi ? Quels sont ses rendements ? Quel est le montant du fonds disponible pour payer ceux qui iront à la retraite cette année-ci et dans les années qui viennent ? Je pense qu’on nous berne avec cette réforme qui sera prétendument dans l’intérêt de l’employé. Il nous faut cependant plus de chiffres pour y voir plus clair.

 

Q : Pour tout résumer, c’est l’inquiétude qui plane ?

L’inquiétude, c’est trop faible. On a toutes les raisons d’avoir peur pour l’avenir du pays, d’autant que certaines décisions sont presque irréversibles. La solution réside avec les Mauriciens car il est maintenant question de leur survie. Either you change or you die.