Roshi Badhain : « Nous sommes arrivés à bout d’un cycle »

Roshi Badhain dit avoir une vision pour le pays. Mais pour concrétiser son « Mauritian dream » et pour en finir avec le « kitchen government » de Pravind Jugnauth, il reconnaît qu’il lui faut travailler de concert avec les partis de l’opposition, bien qu’il n’hésite pas à égratigner certains d’eux.

Nous reproduisons ci-dessous de grands extraits de cet entretien qui en dit long sur l’état d’esprit du leader du Reform Party. Vous pouvez aussi visionner l’intégralité de la vidéo sur notre page Facebook.

 

Zahirah RADHA

 

Q : Comment se porte Roshi Badhain post-élections 2019 ?

Je me porte bien. J’ai repris mon travail d’avocat puisque je dois, moi aussi, « roule mo lakwizinn ». Je suis sorti grandi des élections. Je comprends désormais mieux le comportement humain, ainsi que le déroulement des scrutins, ayant été à ma deuxième participation aux élections générales. Je dois cependant être honnête et avouer que je suis triste de ne pas être au Parlement puisque j’avais pas mal d’idées et de vision pour mon pays.

 

Q : Vous avez recueilli presque 7 000 voix lors des dernières élections. Avec recul, ne regrettez-vous pas le fait que le Reform Party n’ait pas contracté une alliance quelconque ?

Le Reform Party n’existe que depuis trois ans. Nous avons néanmoins battu un grand parti comme le PMSD, mais aussi le MP, à la partielle au no. 18. La circonscription no. 20 est connue comme étant un bastion du MMM. Néanmoins, notre travail sur le terrain durant les deux dernières années nous a permis de récolter 7 000 voix, battant même deux candidats de l’Alliance Nationale.

Le Reform Party voulait donner un choix à la population, et surtout aux jeunes. Nous avons présenté un programme qui a été grandement apprécié et nous nous sommes différenciés des autres partis en démontrant d’où nous puiserons les fonds nécessaires pour réaliser les mesures proposées. Nous avons aussi juré un affidavit en cour suprême, nous engageant à honorer nos promesses, afin de prouver notre crédibilité.

Bien sûr, la décision de provoquer un changement et un ‘paradigm shift’ ne repose que sur l’électorat. Si notre objectif n’était que le Parlement, une alliance nous aurait bien entendu facilité les choses et nous donné plus de chances. Mais comme je l’ai dit, notre but c’était de montrer au peuple comment, après cinquante ans d’indépendance, on peut faire les choses différemment et quel modèle économique il nous faut adopter à l’avenir.

Malheureusement, malgré tous les problèmes que j’ai aidés à résoudre au no. 20 et en dépit du temps passé à expliquer ma vision, l’électorat ne l’a pas compris et certains sont même devenus voraces. Toutes les données ont changé à 48h des élections, d’autant que l’Alliance Morisien a misé grandement sur le ‘money politics’.

 

Q : Finalement, il n’y a pas eu cette prise de conscience que vous disiez avoir notée parmi l’électorat ?

La prise de conscience, il y en a eu et c’était palpable, surtout après tous les abus, les scandales, l’accaparement du pouvoir, et la mauvaise gestion du pays par lakwizinn. Mais cette prise de conscience ne s’est pas manifestée au moment du vote. Et puis, il y a aussi eu beaucoup de ‘mardaye’. D’où ma démarche de loger une ‘judicial review’. J’ai énuméré des manquements anti-démocratiques. Les institutions ont aussi failli à leur devoir de veiller à ce que les élections se déroulent de façon ‘free and fair’.

Par ailleurs, il y va aussi de la responsabilité de ceux qui sont dans l’opposition. Je ne veux pas parler à l’encontre du MMM ou du PTr, mais j’aimerais quand même faire ressortir qu’on n’y songe qu’à leurs intérêts, et non pas de ceux du pays. D’ailleurs quand j’avais démissionné du Parlement à cause du Metro Express, les partis de l’opposition, au lieu de m’aider à forcer le gouvernement de revoir le projet pour qu’il n’y ait pas de morts d’hommes, ils m’ont contesté à la partielle pour me ravir ma place.

Voyons le MMM. Paul Bérenger tue dans l’œuf toutes les tentatives de certains pour relever le parti parce qu’il ne pense qu’en terme de la succession au leadership du parti en faveur de sa fille. Du côté du PTr, il y a un problème interne entre Arvin Boolell et Navin Ramgoolam. Je trouve d’ailleurs injuste la façon dont certains veulent écarter ce dernier du PTr. Il a quand même amené 33% de l’électorat à voter pour l’alliance Nationale aux dernières élections. En d’autres mots, 1 sur 3 personnes a voté pour que Navin Ramgoolam redevienne Premier ministre.

J’entends Arvin Boolell dire qu’il faut préparer la passation et donner plus de chances aux jeunes. Si tel est le cas, qu’il s’assure que la transition se fasse d’ici un an. Il restera alors trois ans pour que le parti se prépare à affronter Pravind Jugnauth et tout son système d’accaparement aux prochaines élections générales. En passant, si Arvin Boolell s’était associé avec Paul Bérenger au sujet de ses craintes sur le Speaker au lieu de tenter de les temporiser, il n’aurait peut-être pas été ‘named’, suspendu et la démocratie parlementaire n’aurait peut-être pas été bafouée aujourd’hui.

 

Q : Vous semblez lui (ndlr : Arvin Boolell) tenir rigueur et remettre en cause ses capacités en tant que leader de l’opposition…

Je pense que tous ceux qui veulent travailler dans l’intérêt du pays doivent s’associer …

 

Q : (On l’interrompt) Vous voulez dire l’opposition parlementaire et extra-parlementaire ?

Si on ne le fait pas, Pravind Jugnauth continuera d’avoir un ‘free ride’. 269 000 personnes ont supposément voté en faveur de l’Alliance Morisien, ce qui explique le pourcentage de 37%. Mais c’est un chiffre erroné puisqu’il fallait le calculer sur 945 000 électeurs qui auraient dû voter ce jour-là au lieu de 725 000 votants comme on l’a fait. Au final, ce n’est que 28% de la population seulement qui ont voté pour ce gouvernement. C’est incroyable mais c’est l’opposition qui est majoritaire dans le pays.

Ce qui est triste cependant, c’est que l’opposition n’arrive pas à harmoniser sa vision et ses actions pour préparer Maurice à faire face aux prochaines décennies.  Comment peut-on sortir de cette léthargie et de ce système médiocre dans lequel on s’est retrouvé après cinquante ans d’indépendance, soit à la fin d’un cycle, avec des politiciens qui ont vieilli et qui sont à bout d’idées ? Leur vision aujourd’hui ne se résume qu’à pouvoir participer à une dernière élection. Comment peuvent-ils donc penser pour les vingt prochaines années ? C’est impossible !

Maintenant, regardez où Jugnauth a emmené ce pays avec son système médiocre ! Rien qu’avec l’imposition des cinq credits, on exclut des milliers de jeunes du système éducatif. Imaginez maintenant les ravages causés par la drogue synthétique parmi les jeunes et vous verrez qu’on provoque des ‘lost generations’. Qui apporte des solutions à ces problèmes ? Personne n’a la vision de sortir le pays du système actuel et de pouvoir dire aux jeunes que ‘we are bringing hope back’. Où est le ‘mauritian dream’ ?

 

Q : Vous peignez un tableau noir. Si l’opposition ne représente pas l’alternance, comment fait-on donc pour sortir de ce cycle « dépassé et médiocre », comme vous le dîtes ?

Non, le tableau n’est pas noir, mais il s’est assombri avec l’ombre de ceux qui dirigent le pays aujourd’hui, d’autant que ceux qui sont supposés représenter l’alternance ne peuvent pas le faire en raison des problèmes internes au sein de leurs partis. Le PTr est un grand parti mais il peine aujourd’hui à bouger puisqu’il est bloqué dans son fonctionnement interne.

Maurice est arrivé à bout d’un cycle, pas seulement au niveau de la politique, mais aussi en termes des institutions qui existent. Le système est essoufflé. Je vous pose la question : que fait le Premier ministre pour blanchir ce tableau et le rendre plus transparent ?

 

Q : Je vous renvoie la question. En tant qu’ancien ministre de la Bonne Gouvernance, quelle analyse faites-vous de la situation économique, à la lumière surtout des récents développements à la BoM et à Air Mauritius ?

Bon, tout le monde sait que toutes les institutions ont été accaparées par lakwizinn. En fait, Pravind Jugnauth n’a pas seulement lutté contre Navin Ramgoolam ou Paul Bérenger, mais ‘line fini MSM so papa la aussi’. Il a notamment envoyé Soodhun en Arabie Saoudite, Jhugroo en Amérique, Hanoomanjee en Inde et Nando Bodha aux affaires étrangères. Tous ceux qui étaient proches de son père ont été écartés pour qu’ils ne puissent pas s’ingérer dans ‘roulement lakwizinn’ de Pravind Jugnauth.

Ceci dit, le Premier ministre dit qu’il travaille. Nous savons tous que pas de revenus et plus de dépenses est équivalent à une situation déficitaire. D’où ma question : d’où obtient-il de l’argent pour financer les dépenses ? Il évoque souvent le grant de Rs 12, 7 milliards. Je le dis haut et fort, c’est moi qui avais obtenu ce grant suite à mes négociations avec l’Inde. Pravind Jugnauth n’était même pas au gouvernement à cette époque. Cet argent devait être utilisé pour ériger une Financial Services Tower et pour concrétiser la Heritage City afin de faire de Maurice un ‘conference hub’ pour rivaliser avec Dubaï et Singapour.

(Ndlr : Il poursuit en citant une série de projets sur lesquels il avait travaillé pour relancer l’économie)

 

Q : À vous entendre, on dirait que c’est parce que vous n’êtes plus au gouvernement que rien n’a été fait ?

La vision est morte ! Ils m’ont remplacé par Sesungkur qui n’a pas fait grande chose. Aujourd’hui, Maurice se retrouve sur la liste grise de la ‘Financial Action Task Force’ (FATF). J’ai d’ailleurs entendu le ministre Seeruttun dire qu’il ne peut rien y faire. Il a, au moins, été honnête. Mais moi, je n’aurais jamais adopté une telle attitude. J’aurais tout mis en œuvre pour trouver une solution…

 

Q : Quelle est la solution ?

La solution, c’est qu’il faut des personnes dynamiques qui puissent travailler dans l’intérêt du pays. La seule qualification de Seeruttun, c’est qu’il est un parent de Kobita Jugnauth et de Sanjeev Ramdenee. Sinon, il aurait goûté au même sort que les Soodhun, Jhugroo et Hanoomanjee. Où est donc la vision pour les services financiers ?

(Ndlr : Il enchaîne avec ses projets et ses réalisations quand il était ministre de la Bonne gouvernance en insistant qu’il les avait réalisés en deux ans seulement).

Voyons ce que Pravind Jugnauth a fait.  Il a pris, d’un côté, Rs 12 milliards du ‘grant’ que j’avais obtenu de l’Inde pour financer ses divers projets, dont le Metro Express et la construction de la nouvelle Cour suprême. Après les élections, il a utilisé Rs 18 milliards des réserves de la Banque centrale. Ce qui fait déjà Rs 30 milliards. Il a ensuite eu un financement de la Chine pour la construction du stade de Côte d’Or. Celui-ci devait initialement coûter Rs 1, 5 milliards mais il a, au final, englouti Rs 5 milliards.

De l’autre côté, il a annoncé l’augmentation de la pension de vieillesse à Rs 13 500 pour gagner les élections. Aux chauffeurs de taxis, il a promis de donner Rs 100 000 alors qu’à Salim Muthy, il a garanti le remboursement du SCBG avant la fin de l’année dernière. Je le répète : d’où sortira-t-il cet argent ? Il faut qu’il dise la vérité. Il dévaluera maintenant la roupie, en entraînant une hausse du prix des commodités. Le prix des matériaux de construction a déjà grimpé. Le prix du lait et d’autres produits de base ont également accusé une hausse. Même avant la pandémie du Covid 19, le gouvernement faisait déjà face à des problèmes économiques. Il a tué la ‘Financial Services Promotion Agency’ (FSPA) pour créer l’‘Economic Development Board’ (EDB). Mais qu’a fait cet organisme ?

 

Q : L’EDB est donc un éléphant blanc ?

L’éléphant blanc est bon animal ! Je vous dirai plutôt que l’EDB est une faillite totale. Il n’a rien concrétisé. Qui porte la responsabilité en tant que ministre des Finances ? Aujourd’hui, Pravind Jugnauth a installé M. Padayachy aux Finances, mais en lui intimant l’ordre de se taire. C’est d’ailleurs Pravind Jugnauth qui a dirigé une équipe de l’EDB quand il a fallu adresser des investisseurs en Angleterre. Pourquoi donc a-t-il nommé Padayachy aux Finances ?

 

Q : La dette publique s’explose, ayant dépassé le seuil de 65% du PIB. Comment en est-on arrivé là ?

Parce que rien n’a été fait pour apporter des revenus dans la caisse. Nos trois plus grands secteurs, soit les services financiers, le tourisme et le manufacturier, piétinent. J’ai déjà évoqué la léthargie du secteur des services financiers. Le tourisme, pour sa part, rétrécissait déjà. Mais avec le Coronavirus, la situation sera catastrophique pour le pays. De son côté, le manufacturier mauricien est déjà mort. On n’emploie plus que des Bangladais ou des Malgaches pour travailler dans ce secteur.

On a été incapable de venir avec de nouvelles idées pour ‘move up the ladder’. Quand j’étais ministre, on avait négocié avec le groupe Hinduja pour qu’il vienne fabriquer des bicyclettes pour le marché africain à Maurice. Toutefois, le gouvernement n’est pas allé de l’avant avec le projet. C’est pour cela que je maintiens que le gouvernement de Pravind Jugnauth n’a pas travaillé !

Voyons depuis les dix dernières années. Tout ce que le gouvernement a mis en chantier, que ce soit la Ring Road, le Bagatelle Dam, le nouvel aéroport, le stade de Côte d’Or et le Metro, entre autres, ne relèvent que des dépenses publiques et ne sont pas des investissements qui rapportent de l’argent.

Nos importations dépassent nos exportations par Rs 73 milliards. Ce qui explique la situation commerciale déficitaire. Maintenant quand vous donnez plus d’argent en termes de pensions et du PRB, vous augmentez davantage la capacité de consommation du peuple. Que consomme-t-il ? Des produits importés. Finalement, ce n’est pas Maurice qui est gagnant, mais les pays desquels nous importons. Idem pour le Metro. C’est le gouvernement indien qui en sort gagnant, et non pas l’économie mauricienne. (Ndlr : il explique pourquoi). Sans compter le deal d’Agaléga avec l’Inde.

 

Q : Malgré toutes les failles que vous citez, le gouvernement entame son second mandat en prônant une politique de continuité. Qu’est-ce que cela augure pour le pays ?

Les Mauriciens doivent assumer leurs responsabilités. Nous sommes arrivés à un point où, avec un peu d’argent, on peut acheter la conscience des gens. C’est cela le problème.

 

Q : Nous célébrerons dans quatre jours le 52e anniversaire de l’indépendance de Maurice. Quel est votre souhait pour le pays ?

Il nous faut mettre en place un nouveau modèle économique. Le monde évolue à une vitesse incroyable, surtout avec les nouvelles technologies. Mais Maurice, paraît-il, est ‘trapped in a time warp’. ‘The whole country is settling for mediocrity’. On a un Premier ministre médiocre, ainsi qu’un leader de l’opposition médiocre.

 

Q : Vous y allez un peu fort, non ?

Mais il faut le dire…

 

Q : Ce que vous souhaitez finalement, c’est qu’il y ait un sursaut parmi l’opposition et la population ?

Définitivement ! Sinon Jugnauth finira comme un Maharajah, d’autant que son père lui avait déjà légué son trône.

Aux jeunes Mauriciens, je leur dirais d’assumer leurs responsabilités car c’est leur avenir qui est en jeu. Rien ne pourra bouger tant qu’ils ne prennent pas d’initiatives. Je souhaite aussi que tous les partis de l’opposition travaillent ensemble…

 

Q : Après tout ce que vous avez dit contre eux ?

Tout ce que j’ai dit n’est que la réalité !

(Ndlr : Il fait de nouveau une tirade sur les dirigeants de l’opposition en maintenant qu’ils bloquent le système et que c’est Pravind Jugnauth qui en bénéficie).

 

Q : Mais vous êtes quand même prêt à travailler ensemble avec eux ?

Il faut que les intérêts du pays priment !