Rita Venkatasamy, Ombudsperson for children : « Les jeunes sont en train de banaliser la sexualité »

À Maurice, le nombre de cas d’agressions sexuelles des mineurs ne cesse d’augmenter. Ainsi, sur 92,9 % des femmes victimes d’agressions sexuelles, 66,9 % avaient moins de 16 ans. D’où l’importance d’une bonne éducation sexuelle, qui pourrait amener à mieux comprendre les problématiques liés à la sexualité. L’éducation sexuelle se définit comme l’instruction des questions relatives à la sexualité humaine, y compris les relations et responsabilités émotionnelles, l’anatomie sexuelle humaine, l’activité sexuelle, la reproduction sexuelle, l’âge du consentement, la santé reproductive, les droits reproductifs, les rapports sexuels protégés, le contrôle des naissances et l’abstinence sexuelle. L’éducation sexuelle, qui couvre tous ces aspects, est connue sous le nom d’éducation sexuelle complète. Les voies communes d’éducation sexuelle sont les parents, les programmes scolaires officiels et les campagnes de santé publique.

 

Pourquoi l’éducation sexuelle est-elle nécessaire ?

Selon un rapport de l’UNESCO de 2009, l’éducation sexuelle a quatre objectifs qui se renforcent mutuellement :

  1. Accroître les connaissances et la compréhension, notamment en ce qui concerne le sexe et la nature du droit en matière d’abus sexuel, et ce qu’il faut faire à ce sujet.
  2. Explorer et clarifier les sentiments, les valeurs et les attitudes développant l’estime de soi et qui permettent de se sentir fier de son corps.
  3. Développer ou renforcer les compétences (quand il faut savoir dire non, résister à la pression).
  4. Promouvoir et maintenir un comportement réduisant les risques, en demandant de l’aide si nécessaire.

Trop de jeunes reçoivent des informations confuses et contradictoires sur les relations sexuelles et le sexe à mesure qu’ils font la transition de l’enfance à l’âge adulte. Ce qui conduit les jeunes à demander de plus en plus d’informations fiables, pour mieux les préparer à une vie sûre, productive et épanouissante.

L’éducation sexuelle permet ainsi aux jeunes d’avoir plus d’éclaircissements et d’informations sur le sujet et à prendre des décisions éclairées en matière de relations et de sexualité et de naviguer dans un monde où la violence sexiste, les inégalités de genre, les grossesses précoces et non désirées, le VIH et les autres infections sexuellement transmissibles (IST) consituent encore des risques graves pour leur santé et leur bien-être. De même, un manque d’éducation sexuelle et relationnelle de haute qualité, adaptée à l’âge et au développement, peut exposer les enfants et les jeunes à des comportements sexuels dommageables et à l’exploitation sexuelle.

 

Rita Venkatasawmy, l’Ombudsperson for Children

 « La grossesse précoce est en hausse dans le pays »

« L’éducation sexuelle n’est pas concentrée sur un cours de biologie mais doit plutôt être une discussion franche autour de la sexualité, en fonction de l’âge de l’enfant. Il faut avoir une communication franche entre le pédagogue et les élèves, qui permettra d’établir des discussions liées à la sexualité. Ainsi, les élèves n’hésiteront pas à discuter avec leurs enseignants et leurs parents. Le dialogue permet de protéger contre des comportements à risques, au fur et à mesure qu’ils grandissent », nous explique Rita Venkatasawmy, l’Ombudsperson for Children.

« C’est une triste vérité que la grossesse précoce est en hausse dans le pays. Nous constatons que les jeunes sont en train de banaliser la sexualité et vivent leur sexualité sans aucune forme de protection. »

 

 

Ghirisha Dhunoo, pyschologue

« L’éducation sexuelle est incontournable pour réduire les abus sexuels »

La psychologue Ghirisha Dhunoo, nous explique : « L’éducation sexuelle est incontournable si notre pays veut au moins réduire le taux élevé d’abus sexuels sur enfants et de grossesses précoces. »

 

 

Pour elle, les cas non repertoriés entraînent souvent chez l’enfant une sensation de traumatisme et par conséquent, une anxiété aiguë ou même des crises de panique. « Les enfants qui ont été victimes d’abus sexuel durant leur plus jeune âge sans un soutien approprié tendent à devenir des adultes violents ou des toxicomanes. Il a été constaté que la plupart des violeurs ou des meurtriers sont issus d’une famille pauvre, où ils ont eux-mêmes été victimes d’abus sexuels », ajoute-t-elle.

En quoi doit consister l’éducation sexuelle ? L’éducation sexuelle ne consiste pas uniquement à enseigner aux élèves à avoir des rapports sexuels protégés, mais elle implique également que les enfants, depuis l’âge de 6 ans, comprennent que personne n’a le droit de les toucher de manière inappropriée, nous explique la psychologue.

Personne n’a le droit de les faire regarder des vidéos pornographiques. L’éducation sexuelle pour les jeunes et les enfants les aidera à comprendre les risques d’exploitation et de violences sexuelles, ce qui leur permettra non seulement de reconnaître le moment où ils se produisent, mais également de rechercher de l’aide et de soutien tout au long de cette épreuve.

La psychologue affirme que dans de nombreux cas où elle a fourni son assistance, les deux sexes compris, hommes et femmes sortent de leur mutisme après l’adolescence, car les séquelles deviennent lourdes au fil des années et les victimes vivent dans un stress permanent.

« Oui, c’est un fait réel. Les garçons sont aussi victimes d’abus sexuel. Un de mes patients a été victime d’abus sexuel par un membre de sa famille depuis l’âge de 13 ans et, après avoir suivi une thérapie, il est devenu aujourd’hui un homme adulte d’une trentaine d’années qui a réussi à accepter le fait et de le surmonter. Toutefois, il n’a jamais été capable de révéler ce fait durant son parcours professionel. Il avait des problèmes d’anxiété qui ont été pris en charge par une ‘Cognitive Behavioural Therapy’ et la thérapie narrative. »

Sur les quatre piliers de l’éducation sexuelle, selon l’Unesco, la psychologue est d’avis que les quatre objectifs doivent être enseignés à l’école. Cependant, il convient de souligner qu’à Maurice, la mise en œuvre effective de l’éducation sexuelle se heurte à des obstacles majeurs, incluant une opposition venant de la societé elle-même et des ressources inadéquates, parmi plusieurs autres.

 

Clara, 32 ans, victime d’abus sexuels

« C’est à travers mes amies à l’école que j’ai appris que les caresses était signes de faveurs sexuelles »

Victime d’abus sexuel, Clara (prénom fictif) est mariée et mère de deux filles. Cette dernière nous dévoile qu’elle a longuement souffert de son ignorance sur le sujet. « J’avais 10 ans à l’époque. Mon cousin faisait le va-et-vient chez nous.  Mes parents avaient confiance en lui. Alors, on me laissait avec lui pendant les week-ends. On jouait aux jeux vidéo. Je ne savais pas que mon cousin était un étranger, malgré qu’il fût de la famille. Un jour, il a profité pour me faire des caresses sur mon corps. Dans un premier temps, je n’y ai pas prêté attention. Puis, un jour, j’ai appris à travers mes amies à l’école que les caresses était signes de faveurs sexuelles. C’est là que j’ai décidé d’en parler à ma mère. Mais au départ, on ne m’a pas cru. Mes parents m’ont conduit chez un médecin, qui a confirmé que j’ai été abusée sexuellement. C’était difficile, je n’arrivais pas à comprendre ce qui se passait. Au fil du temps, alors que je grandissais, je revivais le même scénario dans ma tête. »

Clara est d’accord pour dire que si elle avait mieux été informée de ces choses, elle en aurait parlé à ses parents au début même des attouchements, qui auraient mis fin à cette situation. Elle n’aurait pas eu à vivre avec les séquelles de cet attentat à la pudeur durant l’âge adulte.

 

Ibrahim Koodoruth, sociologue

« Il faut libérer les mœurs autour de l’éducation sexuelle »

Ibrahim Koodoruth, sociologue, nous explique : « Il faut libérer les mœurs autour de l’éducation sexuelle. Les jeunes ne sont pas informés sur les risques des maladies transmissibles. Si on ne les sensibilise pas aux dangers auxquels ils s’exposent, cela pourrait apporter une augmentation du nombre de cas du VIH. »

Le sociologue tient à dénoncer le tabou qui entoure la question. « Le fait est que les parents n’ont pas assez de temps, et le sujet demeure toujours un tabou à la maison. Les jeunes ont tendance à se renseigner auprès des amis ou sur l’internet. Il est important de les initier à l’éducation sexuelle, car avec l’informatique, les jeunes pourront devenir accros à des sites pornographiques. Il faut les éduquer sur comment vivre leur sexualité. »

Allons-nous dans la bonne direction ? « Malgré plusieurs discours venant des ministres, nous sommes toujours en train de planifier les méthodes d’enseignement de l’éducation sexuelle pour les jeunes, et entretemps, la génération présente se retrouve déjà victime de cet état de choses. Une hausse du nombre de grossesses précoces en est la preuve. Certaines adolescentes ont recours à l’avortement, qui est illégale à Maurice. Il est impératif qu’elles soient averties des risques liés à l’avortement. Certaines, qui ont recours à l’avortement, y laissent la vie, tandis que d’autres ont des problèmes à long terme », confie le sociologue.