Reeaz Chuttoo: « La TISA entraînera la recolonisation de notre pays »

Le président de la Confédération des Travailleurs du Secteur Privé, Reeaz Chuttoo, déclare que le gouvernement de l’Alliance Lepep donne l’impression qu’il n’aura pas un deuxième mandat. Il a aussi soutenu que le ministre des Finances, Pravind Jugnauth aurait dû accorder une compensation salariale d’au moins Rs 500 aux travailleurs se trouvant au bas de l’échelle. Le syndicaliste a, par ailleurs, soutenu que le TISA entraînera la recolonisation de notre pays.

SANJAY BIJLOLL

 

Q : Le gouvernement a finalement décidé d’accorder une compensation salariale de Rs 125 et de Rs 200 aux travailleurs alors que les syndicalistes ont réclamé plus de Rs 500. Comment réagissez-vous aux propositions gouvernementales ?

R : Cette année, l’enjeu a dépassé le simple exercice de compensation salariale. Depuis des années, les gouvernements successifs ont parlé de l’inflation  sans révéler qu’elle est déterminée par le panier de ‘goods and services’ qui sont eux-mêmes déterminés par le Bureau des statistiques.

Le gouvernement aurait dû accorder une compensation salariale d’au moins Rs 500 par mois aux travailleurs se trouvant au bas de l’échelle. Cela aurait été un bon signe pour le gouvernement. Ainsi, celui qui touche Rs 5 250 aurait bénéficié de Rs  5 750, bien qu’on soit encore loin du ‘poverty line’. Le salaire minimal ne peut représenter moins de Rs 8 000. Pour moi, le concept actuel de salaire minimum est une farce.

En passant, je dois faire ressortir que le secteur privé alloue un budget d’environ Rs 2,7 milliards pour faire sa campagne publicitaire. Une compagnie de ‘fast food’, qui compte plusieurs branches à Maurice, dépense presque Rs 25 millions pour sa campagne publicitaire. Mais le secteur privé refuse d’accorder une compensation salariale adéquate à ses employés.

 

Q : Parlez-nous des amendements des nouvelles lois…

R : Le mouvement syndical a toujours cru aux bonnes intentions du gouvernement, notamment le ministère du Travail, des Relations industrielles et de l’Emploi. Le ministre de tutelle, Soodesh Callichurn, avait promis que le gouvernement amenderait les nouvelles lois du travail en 2016. Or, nous sommes en décembre et le ministre n’a pas encore déposé les amendements au Parlement. La proclamation des lois prendra du temps si les amendements sont déposés au Parlement l’année prochaine. Entre-temps, les travailleurs du secteur privé souffriront beaucoup car leurs droits ne seront pas respectés. Et il  se peut qu’en 2017, on entrera de plain-pied dans la campagne électorale et les données ne seront pas les mêmes.

Q : L’État a dépensé une somme de Rs 31,8 millions pour les voyages des ministres et de leurs délégations, qui ont effectué des missions à l’étranger et ce entre le 1er juillet 2016 et le 30 novembre 2016. Quel est votre opinion à ce sujet ?

 

R : Depuis plusieurs années, le bureau de l’Audit a démontré que les différents gouvernements ont fait beaucoup de gaspillage des fonds publics, ce qui a coûté plusieurs milliards de roupies à l’État. Or, les gaspillages continuent.

Quand le MSM était dans l’opposition, il ne ratait pas une seule occasion de critiquer l’ancien régime.  « MSM ti pé dire : “pé amène bariat quand zotte voyager, mais zordi ça même MSM, qui faire parti gouvernement pé faire pire qui Parti travailliste”. Donc, ça donne moi raison pou dire qui quand zotte dans l’opposition éna vision, mais quand zotte dans gouvernement zotte éna télévision’. » 

Je suis très pessimiste. Je crois que le gouvernement de l’Alliance Lepep a l’impression qu’il n’aura pas un deuxième mandat. C’est pourquoi les membres du gouvernement seraient en train de profiter au maximum.

 

Q : Les amendements concernant la Prevention of Terriorism Act sont diversement accueillis au sein de la population et des politiciens. Quel est votre jugement à ce sujet ?

R : Je suis d’avis que le gouvernement veut apporter des amendements de façon populiste. Il n’a pas revu la PoTA en profondeur. Selon cette loi, le gouvernement peut condamner toutes les actions syndicales. Le moins que je puisse dire c’est que le gouvernement a copié cette loi, qui existe dans plusieurs pays.

 

Q : Êtes-vous d’accord avec ceux qui disent que le bilan du gouvernement n’est nullement flatteur ?

R : Certainement. La majorité de la population a encore des doutes. Avant la tenue des dernières élections générales et peu après, on sentait un ‘feel good factor’ dans le pays. On s’attendait à ce que les nouvelles lois du travail soient amendées, qu’on mettra un mécanisme pour revoir la distribution de la richesse, qu’on combattra la pauvreté, la fraude et la corruption. Or, le gouvernement n’a pas honoré ses engagements. Au contraire, il veut prôner une politique de ciblage en annonçant la réforme de la pension et la révision de l’âge de la retraite.

De plus, les membres, proches et  ‘maîtresses’  des ministres n’éprouvent aucune difficulté pour trouver un emploi tandis que les autres se retrouvent avec un plat vide. Le gouvernement a berné la population en termes de promesses. La liste est longue et quand nous faisons une évaluation (côté positif et négatif), on serait tenté de dire que la population n’apprécie pas la performance du gouvernement. Cela ne veut pas dire que l’ancien régime doit retourner au pouvoir.

 

Q : Pensez-vous que le gouvernement réussira à redresser la barre d’ici trois ans, soit avant la tenue des prochaines élections générales ?

R : Selon moi, le peuple tombera dans un nouveau piège parce que nous nous dirigeons vers une croissance éphémère et trompeuse. Le gouvernement attend sa mi-mandat (juin 2017) pour se lancer dans un vaste chantier de construction concernant les projets tels que Metro Express, le Pont Coromandel, Sorèze, l’agrandissement du port et d’autres grands  projets d’infrastructures. Le secteur de la construction connaîtra une ascension fulgurante.  Certes, il y aura la création d’emplois car le secteur de la construction et celui des PME connaîtront une croissance. Vers 2018-2019, il y aura un boom économique. Le ‘feel good factor’ reviendra. Les élections générales passeront comme une lettre à la poste. L’opposition continuera à faire ses ‘palabres’, plutôt que de se concentrer sur des projets politiques.

 

Q : D’aucuns estiment que le gouvernement a particulièrement  failli en termes de création d’emplois. Partagez-vous leur avis ?

R : Définitivement. Le gouvernement n’a pas tenu ses promesses en termes de création d’emplois. Actuellement, le gouvernement veut miser sur une stratégie politique pour repousser les décisions gouvernementales afin de pouvoir créer des emplois en 2017.

 

Q : Pourquoi les syndicalistes ne sont pas d’accord avec le Trade in Services Agreement (TISA) ?

R : Le ministre des Affaires étrangères et du Commerce international, Vishnu Lutchmeenaraidoo, aurait voulu signer le TISA, qui permettrait aux jeunes de travailler dans 22 pays signataires de cet accord même si ce dernier allait remettre en cause la souveraineté de notre pays. On doit se poser la question :   Pourquoi seul Maurice, et non pas les 54 pays africains, s’intéresse à signer cet accord ? Il ne faut pas oublier que l’Inde et la Chine ne s’intéressent pas au TISA.

Le TISA entraînera la recolonisation de notre pays. La démarche du gouvernement de signer cet accord est une stratégie pour gagner les prochaines élections générales et ce en leurrant les jeunes.

 

Q : La polémique continue concernant une éventuelle nomination de Pravind Jugnauth au poste de Premier ministre. De quel côté vous situez-vous ?

R : Nous devons accepter que sir Anerood Jugnauth a vieilli. Il a annoncé qu’il va prendre sa retraite, mais il aurait dû annoncer qu’il va passer le flambeau du Premier ministre à son fils lors de la campagne électorale.

Moi, j’opterais pour Pravind Jugnauth comme Premier ministre si demain j’aurais un choix à faire entre Xavier Luc Duval,  Ivan Collendavelloo, Vishnu Lutchmeenaraidoo, Showkutally Soodhun et Pravind Jugnauth.

Nous le jugerons selon ses décisions politiques et ses capacités à diriger le pays. Cependant, je lui donne un carton rouge pour sa décision d’accorder une compensation salariale de seulement de Rs 125 et de Rs 200 aux travailleurs des secteurs privé et public.

 

Q : Quel est votre point de vue sur la justice mauricienne ?

R : On est en train de prôner une justice à deux vitesses. Il n’y a aucune réforme en chantier au niveau de notre système judiciaire.

Aussi, je demanderais au Commissaire de police d’organiser une table ronde et d’inviter les membres de la police et ceux du public de déposer sur les manquements de la police et qu’il accepte des critiques constructives.