Raouf Bundhun : « Relançons le ‘nation building’ ! » 

Le 12 mars 1968, il était dans les loges du Champ-de-Mars et c’était le plus grand moment de sa vie. Raouf Bundhun, ancien vice-président de la République, est l’un des derniers députés du Parti de l’Indépendance, qui regroupait le Parti travailliste (PTr), l’Independent Forward Block (IFB) et le Comité d’action musulman (CAM). Il était député de l’Assemblée législative en 1967 et était présent quand la motion pour initier le processus d’indépendance avait été débattue. Politicien chevronné, il a fait ses débuts au CAM avant de rejoindre le MMM en 1982. Cet ancien compagnon de lutte des grands tribuns nous livre ici ses impressions sur la 50e célébration de l’Indépendance.

Raouf Bundhun explique que la 50e célébration de l’Indépendance est un moment de grande fierté pour lui. « J’espérais vivre assez longtemps pour pouvoir assister à la 50e célébration de l’Indépendance. » 

Il explique que la lutte pour l’indépendance avait débuté des décennies avant 1968, plus précisément avec la création du Parti travailliste en 1936. Les immigrants venus de l’Inde subissaient toutes sortes d’humiliations. « Leur traitement était similaire à celui subi par les esclaves », affirme-t-il. « La lutte pour l’Indépendance puise sa source dans cette souffrance. »  

Le progrès accompli depuis l’Indépendance

Raouf Bundhun explique que le pays a connu un progrès spectaculaire depuis l’Indépendance. « Les générations actuelles ne savent rien de la misère noire qui prévalait alors. » Il y a eu le développement économique et infrastructurel, avec aujourd’hui le confort matériel et le bien-être pour une grande partie de la population. « Le sucre était à cette époque la seule activité économique du pays. Depuis l’Indépendance, l’économie été diversifiée. Il y a maintenant le tourisme et l’hôtellerie, la Zone franche, le secteur financier et le secteur de l’informatique. Des milliers d’emplois ont été créés et il y a aujourd’hui un grand nombre de personnes qui démarrent leur entreprise.  Nous avons pris à contrepied le Pr. Meade, qui prévoyait le marasme économique et le surpeuplement. Nous serions un peuple d’assistés s’il n’y avait pas eu l’Indépendance. Prenez par exemple La Réunion, où le taux de chômage atteint les 40 %. »

Dans quelle direction le pays doit-il aller ? « L’avenir de Maurice repose sur l’entreprenariat. Le gouvernement fait tout pour encourager les gens vers l’entreprenariat, mais les gens, au niveau individuel, doivent faire le reste. Nous pouvons être une plateforme d’ouverture vers l’Afrique. C’est un continent énorme où l’on peut puiser. »

Le revers de la médaille

Raouf Bundhun reconnaît toutefois qu’il reste beaucoup à faire. Il préconise une action plus concertée pour les gens qui vivent dans la précarité. « Il faut toutefois reconnaître qu’il y a une apathie chez certaines personnes. L’effort individuel est important, le gouvernement ne peut tout faire. »

« Notre but, en luttant pour l’Indépendance, c’était le ‘nation building’. Hélas, force est de constater que la société mauricienne reste morcelée. Ce n’est pas la nation mauricienne idéale qu’on a voulu construire. »

Il affirme que beaucoup de jeunes ne sont pas conscients de l’importance de l’Indépendance. Ayant été enseignant d’histoire, il trouve regrettable qu’on n’enseigne pas l’histoire de Maurice dans les collèges. « Les jeunes ne savent rien des souffrances qu’on a endurées. Ils sont blasés et reçoivent tout sur un plateau. »

Ayant été lui-même fonctionnaire, il se désole de l’état du service civil. « Il est navrant de constater que la lourdeur administrative fait partie de notre fonction publique. Je dirais que le service civil et les corps paraétatiques sont trop politisés. Des employés bénéficient de protection occulte et croient qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent. Le manque de discipline est flagrant. »

Il se dit triste de constater que les Mauriciens en général manquent beaucoup de discipline. « Les gens doivent apprendre à assumer leurs responsabilités. Ils ne doivent pas toujours se fier au gouvernement et doivent démontrer l’esprit d’initiative. Ils ne doivent plus espérer se faire caser dans un boulot confortable du secteur public. »

Sur le rôle de Sir Seewoosagur Ramgoolam (SSR)

Pour Raouf Bundhun, il n’est pas exact de dire que les Britanniques voulaient décoloniser leur empire et que nous aurions eu l’indépendance avec ou sans le concours de SSR. « On n’a pas eu l’Indépendance sur simple demande », dit-il. L’oligarchie sucrière s’arcboutait dans son refus de l’Indépendance. Le secrétaire d’État aux Colonies, Anthony Greenwood, avait visité Maurice en 1965 pour savoir s’il fallait ou non accorder l’indépendance. Or, Gaëtan Duval avait organisé une manifestation monstre à Curepipe, ce qui avait mis des doutes dans l’esprit de Greenwood, si les Mauriciens voulaient vraiment de l’indépendance. Greenwood décida d’organiser la conférence de Lancaster House à Londres où les Britanniques n’avaient jamais donné d’indication qu’ils voulaient offrir l’indépendance sur un plateau. James Meade faisait les prédications les plus sombres pour Maurice, ce qui faisait que le gouvernement anglais hésitait beaucoup. Finalement, les Britanniques ont décidé d’organiser de nouvelles élections générales et ce serait le parti majoritaire qui allait décider s’il fallait mettre en branle la motion pour l’indépendance. Ces élections ont eu lieu en 1967, avec les résultats que l’on sait.

Concernant SSR et les Chagos, il explique les Chagos, comme Maurice, était des colonies britanniques et que ces derniers pouvaient faire ce qu’ils voulaient. Une énorme pression avait été mise sur SSR par le Premier ministre anglais lui-même, Harold Wilson, pour qu’il cède les Chagos en échange de l’indépendance.

Raouf Bundhun revient sur les ‘années de braise’. Le gouvernement de SSR, dans les années 70, a été marqué par le renvoi des élections, la censure de la presse et les lois antisyndicales, entre autres. Il explique que SSR a été victime de l’usure du pouvoir et était mal entouré et conseillé. « À cette époque, le pays passait par une crise économique grave. Pour ne rien arranger, Paul Bérenger prônait la révolution, le pays était paralysé par des grèves sauvages… Il ne faut pas juger SSS trop sévèrement, il était aux abois. »

Sur les relations entre SSR et Paul Bérenger, il explique qu’il y avait des pourparlers entre le PTr et le MMM en 1976 pour un rapprochement. Ces discussions avaient capoté parce que SAJ voulait à tout prix devenir Premier ministre. Le PTr s’était alors tourné vers le PMSD.

 L’importance de ne pas oublier les 26 ans de la République

Pour Raouf Bundhun, Il ne faut pas que la célébration de l’indépendance vienne occulter la célébration des 26 ans de notre République. Il rappelle que ce n’est qu’en 1992, quand notre pays a accédé au statut de République, que la Reine avait cessé d’être le chef d’État de Maurice.

Il ouvre également une parenthèse sur Ameenah-Gurib Fakim en disant : « Il est très malheureux que cela ait eu lieu à la veille de l’Indépendance. Il faut quelle suive la voie indiquée par le gouvernement et l’opposition : il faut qu’elle s’en aille. »