Raouf Bundhun, ancien vice-président de la République : « Navin Ramgoolam sera le challenger de Pravind Jugnauth aux prochaines élections »

C’est un entretien à bâtons rompus que nous avons eu avec l’ancien vice-président de la République, Raouf Bundhun. Il commente l’actualité, égratigne Pravind Jugnauth et Paul Bérenger, évoque l’urgence d’avoir des consultations avant l’élaboration d’un nouveau projet de société et d’une nouvelle Constitution et se remémore de la gestion exemplaire des affaires de l’État à l’ère post-indépendance, mais aussi du vivre-ensemble qui a ponctué son enfance et sa jeunesse.

Zahirah RADHA

 

Q : Nous sommes à la veille des 53 ans de l’indépendance de Maurice. Comment le pays s’est-il évolué au fil du temps ?

Le pays post-indépendance s’est développé de façon spectaculaire sur le plan économique, surtout avec le textile, mais aussi sur le plan éducationnel. L’éducation a permis à de nombreux jeunes Mauriciens à obtenir des ‘white-collar jobs’. Notre économie a tellement fleuri que nous avons dû solliciter la main-d’œuvre étrangère pour travailler dans nos usines. Malheureusement, avec la Covid-19 et la mauvaise gouvernance, le pays a reculé dans divers domaines, y compris sur le plan économique. Aujourd’hui, je ne reconnais plus mon pays pour lequel je me suis battu, en compagnie d’autres amis, à l’époque de l’indépendance pour son développement et son progrès ainsi que pour préserver et promouvoir le vivre-ensemble.

 

Q : Cela ressemble à un blâme contre le Premier ministre !

En effet ! Il n’a pas les qualités d’un Premier ministre. Par contre, Anerood Jugnauth avait, d’une poignée de fer, mené le pays à bon port. Sir Seewoosagur Ramgoolam avait aussi été un excellent Premier ministre. S’il y a un mécontentement généralisé dans le pays aujourd’hui et qui a culminé avec les marches historiques d’août 2020 et du 13 février de cette année, c’est parce que le peuple est déçu du gouvernement actuel. La situation se dégrade de jour en jour, surtout avec les révélations scandaleuses qu’on entend ces jours-ci en cour de Moka grâce à la persévérance d’un groupe d’avocats dévoués à la justice. Ce qui se passe actuellement dans le pays est anormal. À l’époque, il y avait des personnes de calibre comme sir Seewoosagur Ramgoolam, sir Abdool Razack Mohamed, sir Veerasamy Ringadoo, sir Satcam Boolell, sir Kher Jagatsing ou encore sir Harold Walter qui avaient remis le pays sur les rails après l’indépendance.

 

Q : N’y a-t-il donc personne au sein du gouvernement actuel qui ont ces qualités de leadership ?

Il n’y en a pas ! Nando Bodha se débrouillait passablement bien, mais on l’avait mis à l’écart. Les deux anciens militants Alan Ganoo et Steve Obeegadoo ont quelques qualités. Mais je ne vois personne qui puisse prendre la relève de Pravind Jugnauth au sein du MSM. Ce dernier n’a lui-même pas l’étoffe d’un chef d’État.

 

Q : Qui a cette étoffe pour être Premier ministre au sein de l’Opposition ?

Il y a l’ex-leader de l’Opposition, Arvin Boolell. Malheureusement, il est mal né. Le ‘hindu-belt’, qui constitue l’électorat de la circonscription no. 4 jusqu’au no. 17, a toujours plébiscité un ‘Vaish’ à la tête du gouvernement alors qu’Arvin Boolell n’est pas issu de cette caste. Pourtant, il est un homme intelligent, valable et qui aurait pu assumer le ‘primeministership’. Je pense qu’il aurait souhaité être Premier ministre, mais la réalité politique ne le permettrait pas. Ses principes l’a d’ailleurs poussé à démissionner comme leader de l’Opposition parce qu’il pas voulu que son leader Navin Ramgoolam soit humilié.

 

Q : Que pensez-vous de sa démission justement ?

Il a été contraint de démissionner à cause de Paul Bérenger, du PMSD et l’autre petit groupe qu’est le Reform Party. Ils ont, lors de leur conférence de presse, débité des bêtises contre le PTr et son leader. C’est inacceptable qu’ils disent vouloir que Boolell reste en poste comme leader de l’Opposition pour ensuite venir dire que leur soutien dépendra de l’évolution de la situation.

Il ne faut pas oublier que cette Entente de l’Opposition était l’initiative du PTr. Tout allait bien, les gens étaient enthousiasmés après la marche du 13 février, mais voilà que Bérenger et Duval – qui doit beaucoup au PTr pour ce qu’il est aujourd’hui – viennent annoncer qu’ils iront aux élections sans Ramgoolam comme chef de file ou Premier ministre éventuel alors qu’il y a quatre ans avant les prochaines élections générales.

Le ‘die-hard labour’ constitue au moins 30% de l’électorat mauricien. Le PTr a une force de frappe et avec des alliés, il peut facilement remporter la victoire.

 

Q : Mais le PTr n’a pas d’alliés en ce moment. Pourra-t-il vaincre aux élections à lui seul, comme annoncé par Navin Ramgoolam ?

Cette force de frappe travailliste est devenue plus puissante grâce à la façon de faire du MMM et du PMSD. Beaucoup de sympathisants qui avaient déserté le PTr retournent maintenant au bercail. Marqué gardé, d’ici quelque temps, si le PTr s’organise comme il le faut, il deviendra le plus grand parti de l’île Maurice. Le MMM des années 60-70 ine fini sa. Le MMM d’aujourd’hui est dévalué et il ne compte, au pis-aller, que 20% de l’électorat.

 

Q : Une alliance MMM-PMSD-RP, sans de locomotive, marchera-t-elle ?

Non ! Je ne suis même pas sûr que Duval se présentera éventuellement dans une alliance avec Bérenger. D’ailleurs, les militants sont foncièrement anti-PMSD. Bérenger l’avait été lui aussi jusqu’à la concrétisation de cette Entente initiée par Navin Ramgoolam.

 

Q : Il est beaucoup question d’un rajeunissement de la classe politique. Peut-on en finir avec les Ramgoolam-Bérenger-Duval ou même Jugnauth ?

A-t-on une relève ? Moi, je suis d’avis qu’on ne peut pas les remplacer du jour au lendemain. Je pense qu’une relève n’est possible qu’après une période de formation. Avant de devenir ministre, j’avais été nommé, à l’âge de 30 ans, secrétaire parlementaire, l’équivalent d’un ‘junior minister’, au sein du ministère de la Jeunesse et des sports. J’ai assumé ce poste pendant sept ans. Ce n’est qu’après ces sept ans que je suis devenu ministre.

C’est impératif qu’un député puisse se familiariser avec les rouages du gouvernement, du Parlement et de la diplomatie avant de devenir ministre. On peut compter sur les cinq doigts, parmi les jeunes se trouvant au sein du gouvernement, combien d’entre eux sont suffisamment à la hauteur pour prendre la relève concernant les affaires de l’État. Être ministre, ce n’est pas qu’une question d’enrichissement du jour au lendemain, comme certains au gouvernement le pensent. Quand on porte le titre d’honorable, on doit pouvoir faire honneur au pays et à la population. Sinon, comme dirait Shashi Tharoor, ils doivent être « defenestrated ». Il y a actuellement certains ministres qui méritent d’être « defenestrated », jette dehors !

 

Q : Si on suit votre logique, on ne pourra donc plus espérer de voir un nouveau Premier ministre à l’issue des prochaines élections ?

Je pense qu’il faut un changement de gouvernement. Navin Ramgoolam a pris du galon depuis la rupture de l’Entente. Il a, comme tout être humain, des faiblesses et des qualités, mais il a toujours une force de frappe. Je suis confiant qu’il pourra reprendre le pouvoir, mais pas seul car les partis politiques sont condamnés à faire des alliances depuis l’indépendance. Qui sera l’allié du PTr ? Je ne le sais pas. Je sais par contre qu’il y a des partis politiques qui sont en gestation, suivant l’annonce de Bruneau Laurette et de Rama Valayden. Je ne vois pas le parti de Badhain décoller. Pour moi, le Reform Party est un mort-né. Bruneau Laurette, par contre, a pu mobiliser plus de 100 000 personnes pour marcher dans les rues de Port-Louis. C’est du jamais vu. S’il a une bonne équipe et s’il s’allie au PTr, ce sera une victoire assurée. Navin Ramgoolam sera le challenger de Pravind Jugnauth aux prochaines élections générales.

 

Q : Le peuple réclame de plus en plus un changement en profondeur du système. Est-ce qu’on peut le changer du jour au lendemain ?

Non. Cela demande beaucoup de réflexions, d’études et de consultations.

 

Q :  Pourra-t-on voir l’émergence d’un véritable projet de société ?

C’est tout à fait possible. J’aimerais suggérer la création d’une assemblée constituante regroupant tous les partis politiques et les forces vives du pays pour se pencher sur la rédaction d’un projet de société, mais aussi une nouvelle Constitution. La première Constitution de l’île Maurice, intitulée « Order in Council », avait été rédigée par le Prof. De Smith après consultation avec tous les partis politiques et les parties concernées. Elle a fait ses preuves sur le plan constitutionnel et démocratique. Mais aujourd’hui, il y a un besoin de renouveau que ce soit concernant le système de députation ou l’abolition du ‘best loser system’ (BLS) qui sent apparemment le communalisme bien qu’à l’époque, ce système a permis de garantir la représentation des minorités au Parlement. Aujourd’hui, au no. 3, qui est une petite circonscription avec à peine 20 000 électeurs, il y a cinq députés musulmans alors qu’en 1967, il y avait deux Musulmans et un Chinois.

 

Q : Êtes-vous en faveur de l’abolition du BLS ?

Oui et non.

 

Q : Vous êtes trop diplomatique. Est-ce oui ou non ?

En tant qu’ancien membre du Comité d’Action Musulman (CAM) et un lieutenant de sir Abdool Razack Mohamed, je dis non puisque que ce système garantit la représentation des minorités. Mais si je dis oui, c’est parce que les jeunes de nos jours réfléchissent autrement. Ils sont plus ‘open minded’.

 

Q : ‘Open mindedness’ ou pas, il y a quand même une tension communale dans le pays actuellement. Comment l’expliquez-vous ?

C’est triste et malheureux. C’est la faute aux politiques. Ils ne jouent pas leur jeu pour instaurer l’esprit de mauricianisme. Cassam Uteem, en tant que premier Président de la République, avait démontré qu’il peut être Musulman, mais aussi Mauricien à part entière. Tout comme moi je le suis. D’ailleurs, nous avons grandi ensemble. Il y a des jeunes, de nos jours, qui ont cette ouverture d’esprit, mais malheureusement, ils ne sont pas dans la vie publique. J’en profite, dans la même foulée, pour faire un appel à l’intelligentsia et à la jeunesse mauriciennes pour qu’elles s’impliquent davantage dans la vie publique.

 

Q : Est-ce votre seul souhait ?

Je souhaite revoir cette entente qui existait auparavant entre les différentes communautés. Il faut inculquer à la jeunesse mauricienne l’esprit d’amour fraternel, d’entente cordiale, de compréhension, de tolérance et de vivre-ensemble. Il nous faut oublier nos différences, s’il y en a, et vivre comme de vrais Mauriciens, sans qu’on ne néglige pour autant nos religions. L’avenir du pays sera brillant si on arrive à régler tous les problèmes auxquels le pays est confronté. Il y a suffisamment de jeunes éduqués et professionnels qui puissent prendre la relève dans plusieurs domaines.