Rama Valayden : « Le gouvernement pe nourri synthétiques ! »

Pour gagner le combat contre la drogue, il faut d’abord avoir une volonté politique couplée d’une vision et d’un plan d’action, sans oublier une modernisation des méthodes de travail, mais aussi des logistiques et des équipements, entre autres. C’est ce que soutient l’ancien Attorney General Rama Valayden. Mais la clé principale de cette lutte demeure, selon lui, la dépénalisation du cannabis.

 

Zahirah RADHA

 

Q : Il y a eu beaucoup de critiques contre l’ADSU dans le passé, jusqu’au point où le rapport Lam Shang Leen avait recommandé son démantèlement. La mort de la policière Dimple Raghoo a-t-elle provoqué un changement de regard sur cette unité ?

Je ne suis personnellement pas d’accord avec cette recommandation du rapport Lam Shang Leen., L’ADSU a accumulé, durant son combat contre la drogue, une expérience très intéressante. Elle a, en son sein, une majorité d’officiers qui sont très dévoués et qui se donnent corps et âme pour démanteler les réseaux de drogues. Cependant, il y a, au sein de toutes les professions, des hommes ou des femmes qui sont pourris. L’appât du gain, la corruption généralisée et la criminalisation de la société sont aussi courants. Il ne faut donc pas qu’on regarde la police différemment des autres.

Q : Mais la police est justement censée lutter contre ces fléaux !

Il y a des brebis galeuses à tous les niveaux. Regardons sur le plan politique. Le Premier ministre est lui-même cité dans un cas. Il est clair pour la population qu’il y a un ‘prima facie case’ contre lui. Mais malheureusement, il n’a pas encore donné des réponses qui pourraient satisfaire le grand public. Pourquoi devrons-nous alors s’en prendre à l’ADSU alors que des réformes sont requises partout ?

Je dois d’ailleurs dire qu’on a perdu le combat contre la drogue. Notre stratégie de lutte a toujours été centré sur la répression. Tous les gouvernements qui ont voulu bouger les choses ont été critiqués par les ONG où des personnes sont employées à plein temps et qui gagnent leur vie grâce à un prétendu « combat » contre la drogue. Que faut-il donc faire ? Posons-nous d’abord la question : l’ADSU a-t-elle les moyens pour mener ce combat ?

Q : C’est la question que tout le monde se pose. L’ADSU est-elle bien équipée, que ce soit au niveau de l’effectif ou des logistiques ?

J’ai entendu le Premier ministre dire, lors des funérailles de la policière Raghoo, que l’ADSU a tout ce qu’il lui faut. Faux ! Le budget alloué à l’ADSU n’est même pas un dixième de celui de l’ICAC. Un policier posté à l’ICAC perçoit un salaire trois ou quatre fois supérieur à celui d’un officier de l’ADSU. Le salaire du directeur de l’ICAC est supérieur à celui du Premier ministre ou du président de la République lui-même alors que le salaire d’un haut gradé de l’ADSU n’est en rien comparable à celui du responsable de la commission anti-corruption. Ce qui représente déjà un gros problème.

Le nombre d’effectifs est, lui, resté le même. Il y a toujours très peu de femmes, soit seulement 10%, qui sont postées à l’ADSU tandis qu’il y a eu une féminisation et un rajeunissement des victimes de la drogue. Les moyens dont l’ADSU dispose constituent également un problème majeur. Les officiers travaillent dans des conditions atroces. Manque de confidentialité quand des dépositions sont consignées, bureaux en décrépitude, promotions presque inexistantes même si certains comme les Rujub, Valaydon et Conhyedoss ont démantelé les plus gros réseaux du trafic de drogue, scanners du port et de l’aéroport qui n’ont pas été modernisés, lenteur au niveau des tests du FSL, manque d’effectifs au FSL, l’absence de drones ou de GPS pour traquer les trafiquants, l’absence de nouveaux arrangements avec les pays amis…Bref, il y a toute une série de problèmes, incluant l’absence d’avoués et d’avocats ‘in house’, auxquels sont confrontés l’ADSU. Finalement, on se ridiculise !

Q : Les moyens et les méthodes sont donc archaïques ?

Oui, il n’y a pas eu de modernisation. Même les outils de base, dont le téléphone, le fax ou la photocopieuse, laissent à désirer. Ce qui freine le combat contre la drogue. Le gouvernement pe nourri synthétiques zordi.

Q : Vous y allez un peu fort, quand même !

Oui, mo dire bien, zot pe envi ki synthétiques fleuri. Il faudra, au début de l’année prochaine, mener un combat contre les drogues synthétiques. C’est un problème qui affecte tout le pays et il transcende toutes les communautés ou les classes sociales. Les premières à en souffrir sont généralement les mères de famille. Je le redis, c’est grâce à ce gouvernement ‘ki pé nourri synthétiques’.

Q : Mais le Premier ministre est convaincu qu’il casse les reins aux trafiquants…

Ki les reins ine casser ? Ki trafiquants so di bien ine saisi ? Ki rézo ine cassé ? Ki kantité drogués ine diminué ? Combien de tests ont-ils été faits au niveau des écoles primaires, des collèges et des emplois pour évaluer le nombre de personnes qui se droguent ? Zéro ! Qu’est-ce qui a été fait pour donner plus de moyens aux centres de réhabilitation ? Zéro ! Seki pé envi, c’est ene privatisation de sa bane moyens la. Ou créé drogués, ou fer clinique, ou fer place pou soi-disant réhabilité et fer la monnaie enkor. Tout tourne autour de l’argent. Ils n’ont pas de vision pour combattre la drogue. La répression ne marchera pas. Il est grand temps pour que le gouvernement dépénalise le cannabis. Ce qui préviendra à la nouvelle génération de prendre des drogues synthétiques. Sinon, le nombre de crimes associés aux synthétiques ira en augmentant. Déjà, 65 à 70% des incarcérations sont liées à la drogue. Je le redis, on se ridiculise. Le Premier ministre ne s’intéresse pas à ce problème. Combien de fois le rapport Lam Shang Leen a-t-il été cité au Cabinet ?

Q : Des millions de roupies ont été englouties dans ce rapport qui dort dans un tiroir. N’est-ce pas absurde ?

Rapport lamem pas bon. C’est ène rapport comique ! Line pensé pou pile pile lor certains dimounes pou gagne plaisir. Il n’était même pas au courant des problèmes. D’ailleurs, il (ndlr : Paul Lam Shang Leen) n’a visité aucun bureau de l’ADSU. Il n’a pris aucune information de la base. S’il a pu ‘save the face’, c’est parce qu’il a été aidé par des personnes comme Hector Tuyau. Le gouvernement, pour sa part, ne peut pas dormir sur un rapport, surtout quand on sait que le milieu de la drogue évolue constamment. De leur côté, les magistrats imposent, eux, des cautions fortes alors que les drogués n’ont pas de moyens financiers. Incarcérés, ces derniers deviennent des pâtes à modeler puisqu’ils pensent que le chef paiera leurs cautions.

Au final, qui est responsable de cette situation ? Le régime, en raison de son incompétence. La magistrature aussi, parce que la majorité des magistrats, qui sont issus des familles bourgeoises et qui ont fréquenté des institutions éducatives huppées, ne connaissent pas les réalités de l’île Maurice profonde. Ils infligent aux drogués des sentences qui, dans leur tête, leur semblent convenables. Ils pensent ainsi pouvoir régler les problèmes alors que tel n’est pas le cas.

Q : Une cour spécialement dédiée aux cas de drogues aurait-elle réglé ce genre de problèmes ?

Il y a une cour spéciale connue comme les ‘Special Assizes’ au sein de la Cour suprême qui traite des cas de ‘trafficking’ de plus d’un million de roupies. Or, nous savons tous qu’il y a une floraison de cas de drogues valant plus qu’un million de roupies. Le comble, c’est que la sentence est la même que ce soit pour un accusé ayant 100 grammes de drogues ou qui a fait venir 100 ou 200 kilos de drogues. C’est déplorable qu’il n’y a eu aucune étude sérieuse qui a été réalisée au niveau de la prison.

Pour pouvoir combattre la drogue, il nous faut d’abord le voir du point de vue de la santé. Deuxièmement, il faut mettre en place un système de soutien et d’encadrement pour aider les drogués à s’en sortir et pour assurer qu’ils ne rechutent pas. Une chute du nombre de drogués impactera sur le marché du trafiquant. Et puis, il faut arrêter de croire que le problème de la drogue sera résolu sur le plan international. Arrête rêver !

Q : Avons-nous la vision, la volonté et les moyens financiers qu’il faut pour apporter ce changement ?

Il n’y a PAS de volonté. Concernant les moyens, 1 ou 2% de taxe aurait pu être appliquée sur les liqueurs pour aider dans le combat contre la drogue, , mais aussi contre l’alcoolisme. Ensuite, la dépénalisation du cannabis nous aurait rapporté des revenues qui auraient pu être utilisés pour soigner les autres toxicomanes. Mais la volonté n’y est pas. Une étude réalisée par un cabinet de comptables a démontré que le pays aurait pu obtenir beaucoup plus de revenus si des champs de canne étaient remplacés par la cultivation du gandia.

Malheureusement, on piétine toujours à ce sujet. J’avais parlé de la dépénalisation en 1999. 21 ans plus tard, on n’a pas encore évolué. Pourtant, nombreux sont ceux qui me disent aujourd’hui que j’avais eu raison de réclamer la dépénalisation. Presque partout à travers le monde, les gouvernements ont revu leur politique concernant la dépénalisation pour les aider dans leur combat contre la drogue. Pourquoi n’y a-t-il pas autant de drogues de synthèses, de cocaïne ou d’héroïne à la Réunion alors qu’on a le même type de population ?

Q : Mais la mentalité de la société mauricienne et celle de la Réunion ne sont pas les mêmes ! Un gouvernement prendra-t-il réellement le risque de dépénaliser le gandia ?

Posez cette question à n’importe quelle mère de famille qui voit souffrir son enfant accroc aux synthés. On ne fait que tolérer cette situation malsaine. Avez-vous vu une quelconque campagne contre les drogues de synthèses ou l’alcool ? Non, il n’y en a pas. C’est un problème qui mérite pourtant qu’on s’y attarde. Les partis de l’Opposition ne s’y intéressent pas non plus. Ils se contentent, eux, de se faire expulser du Parlement alors que le pays est secoué par de nombreux problèmes. Le danger nous guette. On n’est pas loin d’une explosion. Et quand on l’aura, Rama Valayden sera tenu comme le principal responsable, comme cela l’a été suivant les manifestations récentes dans certains endroits parce que les robinets sont à sec.

 

Q : Que faut-il faire pour empêcher cette explosion dans l’immédiat ?

Il faut d’abord réunir toutes les parties concernées à un atelier de travail où l’annonce d’une dépénalisation du cannabis sur une base de trois ans sera faite. Ce qui nous permettra de suivre l’évolution de la situation. Plus on aide les toxicomanes à se guérir, plus le trafic de la drogue chutera. Il faudra aussi régler les problèmes économiques qui poussent des jeunes vers ce fléau. Et puis, il faut mettre un frein à cette politique de ‘bail for the rich and chain for the poor’. Ensuite il faudra bien que le Commissaire de police ou le Premier ministre agisse sur cette liste de 110 brebis galeuses de l’ADSU. Le Premier ministre agira-t-il ou a-t-il peur parce que ces dernières détiennent certains renseignements ?