Rama Sithanen :« Une commission d’enquête sur l’affaire BAI »

  • « Le Premier ministre sortant a mis un ‘own goal’ en mettant à la porte 19 personnes de son cabinet, dont des ministres sur qui pesaient des allégations très graves » 

Il est l’un de ceux qui travaillent d’arrache-pied pour peaufiner le programme gouvernemental de l’Alliance Nationale. Les mesures phares de celui-ci devront d’ailleurs être dévoilées très bientôt par le Dr Navin Ramgoolam, avoue Rama Sithanen. Ce dernier lève également le voile sur le ministère qu’il occupera si l’Alliance Nationale remporte les prochaines élections. L’institution d’une commission d’enquête sur l’affaire BAI figure aussi dans leur programme, révèle-t-il dans l’entretien qui suit.

 

Zahirah RADHA

 

 

Q : C’est après neuf ans que vous vous présentez de nouveau comme candidat au no. 18. Comment se passent les retrouvailles avec vos anciens mandants ?

Très bien ! Il n’y en a pas que des anciens, mais aussi de nouveaux mandants. Nous multiplions les porte-à-porte, les réunions privées et les prises de contacts avec les familles de la circonscription. Mes deux colistiers, Xavier Duval et Arvin Boolell, y sont d’ailleurs connus, étant des politiciens de longue date. Nous sommes accueillis chaleureusement dans tous les endroits de la circonscription. Le travail sur le terrain se passe donc bien et nos messages sont tout aussi bien reçus. Nos agents et nos sympathisants sont mobilisés et motivés. Nous sommes confiants que le travail se fait.

 

Q : L’Alliance Nationale pense-t-elle pouvoir faire le poids face à l’Alliance Morisien, d’autant que Pravind Jugnauth ne cesse d’annoncer des mesures populaires, pour ne pas dire électoralistes ?

Cette campagne est dominée par deux facteurs clés. Il y a d’abord le bilan du gouvernement sortant. Les gens sont très remontés contre ce dernier. On le voit d’ailleurs quotidiennement quand nous faisons les porte-à-porte ou lors de nos différentes rencontres. Le peuple est en colère en raison de la fraude et de la corruption rampante, et de la prolifération sans précédente de la drogue qui tue de plus en plus de jeunes depuis 2014. La population est en colère parce que le mandat de ce gouvernement a été ponctué de népotisme et de favoritisme, comme si Jugnauth ne roule ce pays que pour lui et pour sa famille, comme l’a prouvé Serenitygate. L’épisode 2 de cette vidéo a prouvé comment des mesures fiscales ont été taillées sur mesure pour bénéficier une poignée de personnes. La dévalorisation et la dégradation de nos institutions, que ce soit la Banque de Maurice, la MBC ou l’ICAC, alimentent aussi la très grande colère de la population.

L’autre facteur qui domine cette campagne est bien entendu la situation économique du pays. Pas plus tard que mercredi, le Fonds Monétaire International (FMI) a soutenu que la croissance en 2019 sera à 3.7 %, donc moins de ce qu’avait prévu le gouvernement. Le miracle économique est devenu un mirage économique. La création d’emploi piétine. Un jeune sur quatre se retrouve au chômage. Parmi ceux qui travaillent, il y a à peu près 160 000 personnes qui sont ‘underemployed’ ce qui représente un véritable gaspillage. Sur le plan sectoriel, pour la première fois de notre histoire, que les trois piliers de notre économie, soit le sucre, la zone manufacturière et le tourisme, sont tous en difficulté. Je pense que les gens sanctionneront ce gouvernement sur son mauvais bilan et sa mauvaise gestion de l’économie.

De l’autre côté, pour qu’il y ait plus d’adhésion de notre côté, nous devrons venir de l’avant avec des propositions fortes et innovantes. Une équipe travaille déjà dessus. Le leader de l’Alliance Nationale énoncera bientôt les mesures principales de notre programme gouvernemental.

Q : Contiendra-t-il également des mesures populistes ?

Le Dr Ramgoolam avait déjà dit que s’il prend le pouvoir aux prochaines élections, il accordera une hausse de la pension de vieillesse dès ce mois de décembre. Vous avez vu quelle panique cela a créé chez Jugnauth ? Souvenez-vous comment Pravind Jugnauth avait dit que les pensionnés auront Rs 6210 jusqu’à décembre de cette année et Rs 6 710 en janvier prochain ? Il a finalement été contraint de revoir sa copie.

Comme je vous l’ai dit, il y a une équipe qui travaille dessus et le Dr Ramgoolam annoncera une série de mesures, incluant ce qu’il fera sur la pension à partir de décembre, pour les femmes, pour les jeunes chômeurs ainsi que pour les différents secteurs de l’économie, pour le développement durable, pore réduire l’inégalité et pour ‘broaden the circle of opportunities’ pour les jeunes. La population pourra ainsi faire la comparaison entre notre programme et celui des autres partis qui participent aux élections générales.

Q : Quand est-ce que ce programme sera-t-il dévoilé ?

Je pense qu’il le sera d’ici cette semaine. Dès que la liste des candidats soit finalisée, les mesures phares de notre programme seront dévoilées. La population pourra ainsi faire la différence d’un côté, sur le bilan du gouvernement actuel et de l’autre, sur le programme que le PTr/ PMSD appliquera une fois au pouvoir.

Q : Mais la courte durée de la campagne ne jouera-t-elle pas contre vous?

Jugnauth a décidé d’opter pour le délai minimal après la dissolution du Parlement pour tenir les élections, soit un mois seulement. Nous étions préparés, mais il nous reste évidemment à peaufiner la liste des candidats et les mesures. Nous savons où se trouvent les problèmes et les lacunes. Rien de concret n’a été fait, par exemple, sur l’économie bleue, l’économie verte, l’économie circulaire et l’économie numérique. Idem pour la stratégie africaine. Les gens ne nous attendent pas sur quelques mesures phares qui viendront certainement. Il y aura, par exemple, des mesures très fortes concernant l’accès aux logements pour les jeunes et le développement durable, le combat contre la fraude et la corruption, la lutte sans merci contre la drogue  et redonner leur indépendance et intégrité a nos institutions .

 

Q : L’on craint de voir ressurgir certaines de vos anciennes mesures jugées comme étant pro-capitalistes, ou anti-ti-dimounes, comme la taxe sur les intérêts et la distribution des pains. Comment les convaincrez-vous du contraire ?

Le MSM mène une campagne démagogique sur des mesures qui avaient été prises en 2005. Il serait bon de rappeler le contexte économique auquel nous étions confrontés à cette époque. Paul Bérenger, qui était alors Premier ministre du précédent gouvernement, avait lui-même avoué que « nous sommes dans un état d’urgence économique » et que « la crise est sans précédente ». Il y avait une triple crise au niveau mondial, notamment  concernant le pétrole, l’alimentaire et le problème du sucre. Il fallait impérativement prendre certaines mesures et apporter certaines réformes pour remettre l’économie sur les rails.

En fait, le gouvernement dont je faisais partie – car ce n’est pas moi seul qui l’avais fait – avait baissé la taxe de 30% à 15%. Tout le monde en avait bénéficié. 40 000 personnes avaient été exclues de l’income tax alors que 35 000 d’autres avaient bénéficié d’une réduction. Le seuil d’éligibilité pour payer l’income tax était d’ailleurs passé de Rs 80 000 à Rs 250 000.

Laissez-moi aussi vous rappeler qu’en 2005, la croissance était de 2, 7 %. Dès qu’on a pris le gouvernement et qu’on a apporté des réformes, la croissance est passée, en 2006, à plus de 5.5%. Idem pour 2007 et 2008. Jusqu’ici, aucun gouvernement n’a pu rééditer ce taux de croissance. Il convient aussi de souligner que 10 000 emplois avaient été créés annuellement à cette époque, contrairement à ce gouvernement sous lequel, rien que pour l’année dernière, le nombre d’emplois a chuté par 1400.

Jugnauth me traite de vampire et m’accuse d’avoir « rasse dipain » de la bouche des malheureux. C’est totalement faux ! En réalité, on s’était concentré sur les plus méritants. 35 000 familles, représentant 130 000 personnes, recevaient un ‘income support’ équivalant à quatre fois plus que la valeur d’un pain au lieu de la distribution du pain. De l’argent au lieu du pain et quatre fois sa valeur.

Les taxes sur les intérêts existaient sous Pravind Jugnauth comme Ministre des Finances et il était à 30 %. Sauf que beaucoup de personnes ne se conformaient pas aux règlements. On avait en fait baissé la taxe de 30 %à 15%, mais c’est simplement la méthode de collection qui était différente. Les personnes âgées avaient une allocation spéciale de Rs 50000 pour les protéger ‘over and above’ l’augmentation du seuil pour payer les impôts de Rs 80000 à Rs 250000.

Toutes ces mesures nous avaient permis de sauver le pays d’un état d’urgence économique.

Ceci dit, nous devrons maintenant regarder l’avenir et trouver des moyens pour sortir le pays de ce gouffre économique.

 

Q : Est-ce facilement réalisable ?

Il le sera s’il y a une équipe avec un leadership politique menee par le Dr Ramgoolam et un leadership économique qui redonnera confiance aux investisseurs. Il faudra générer plus d’emplois, réduire les gaspillages des fonds publics et revoir les priorités. Il faudra aussi prendre des mesures pour augmenter les revenus, l’exportation, l’investissement et trouver de nouveaux créneaux de développement comme l’économie numérique et l’économie verte, une meilleure stratégie vers l’Afrique. Et en redonnant confiance a nos institutions.

Q : L’affaire BAI est l’un des thèmes qui revient sur le tapis en cette période de campagne électorale. Que préconisez-vous comme mesure en faveur des nombreuses victimes, outre le remboursement des clients du SCBG et du BAM comme annoncé par Navin Ramgoolam ?

Le Dr Ramgoolam a déjà consenti de faire un grand effort en prenant l’engagement de rembourser les clients du SCBG. Il faudra également instituer une commission d’enquête indépendante pour savoir ce qui est réellement passé, puisqu’il y a des indications que ce démantèlement avait été planifié froidement, d’autant que le père et le fils Jugnauth et le Gouverneur de la Banque Centrale avaient retiré leur argent avant le crash de la Bramer Bank. Il est évident qu’il fallait résoudre certains problèmes, mais la façon de faire du gouvernement et son agenda de vengeance politique a précipité la chute du groupe BAI.

Q : Vous avez évoqué, lors d’une réunion, un deuxième scandale dans l’affaire Serenitygate. De quoi s’agit-il ?

Il y a d’une part, l’affaire Serenitygate, suivant l’augmentation, dans le budget, du ‘rebate scheme’ de 30% à 40% pour bénéficier à certaines personnes. Rs 214 millions sont ainsi sortis de la poche des contribuables pour rentrer dans la caisse de celle-ci alors que le film a été un fiasco total.  Il y aussi, d’autre part, le changement des règlements de l’Invest Hotel Scheme (IHS) pour favoriser Maradiva, l’hôtel qui appartient au clan Jugnauth. C’est pour cela que je dis qu’il y a le scandale Serenitygate d’abord et puis celui de Maradivagate. Des mesures fiscales taillées sur mesures par Jugnauth dans l’unique but de favoriser sa famille.

Q : Votre colistier Xavier Duval a déjà été annoncé comme ministre des Finances dans un éventuel gouvernement de l’Alliance Nationale. La question qui est sur toutes les lèvres : quel rôle occuperez-vous au sein de ce cabinet ?

(Rires) Dans une alliance, il y a toujours des compromis à faire, que ce soit sur le nombre de tickets, de l’allocation des circonscriptions pour les candidats, ou sur les éventuelles fonctions. C’est ainsi que, dans le cadre de la présente alliance, Xavier Duval est présenté comme Deputy Prime Minister et ministre des Finances. Le Dr Ramgoolam m’a ainsi offert un grand ministère économique qui se chargera de l’investissement, dont de l’Economic Development Board (EDB), du commerce extérieur, des services financiers et du strategic planning. Ce sera un « Ministry of Investment & International Trade & Financial Services ». C’est un ministère qui répond aux besoins urgent de notre économie.

La priorité sera donc d’augmenter l’investissement, de redynamiser les exportations et diversifier les services financiers  pour relancer et  consolider notre économie. Il y a aussi une réflexion stratégique à faire sur l’avenir de notre économie, d’où le planning. On a une très bonne équipe économique avec Xavier Duval comme ministre des Finances, avec Eric Ng qui est également un économiste très connu et moi-même et nous allons œuvrer pour sortir le pays de cette situation économique difficile.

Q : Etes-vous confiant que l’Alliance Nationale pourra remporter les élections le 7 novembre prochain ?

Je pense qu’on va gagner. Le mood est contre le gouvernement. La population veut un changement.  Mais le choix reviendra à la population. La majorité de celle-ci est emmerdée et il y a un sentiment de dégoût envers le gouvernement. D’ailleurs, le Premier ministre sortant a mis un ‘own goal’ en mettant à la porte 19 personnes de son cabinet, dont des ministres sur qui pesaient des allégations très graves. Le capitaine est, bien entendu, aussi responsable de ces scandales. La seule alternative, c’est l’Alliance Nationale. Le MSM est en perte de vitesse alors que le PTr monte en popularité. Il est vrai qu’il y aura une lutte à trois, pour la première fois depuis 1976. Ce qui peut nous réserver certaines surprises. Mais nous sommes tous confiants que le Dr Ramgoolam et son équipe pourront former le prochain gouvernement.