Rajiv Servansingh: « L’affaire Alvaro Sobrinho a endommagé la réputation de Maurice en tant que juridiction financière »

Les nombreux scandales qui secouent le pays depuis ces derniers temps sont source de vives inquiétudes auprès des opérateurs économiques. D’autant qu’ils contribuent grandement à la stagnation de l’économie. C’est ce que soutient Rajiv Servansingh, chairman de MindAfrica. Le manque de vision et de cohérence du gouvernement en matière de politique économique ne fait qu’aggraver les choses, selon lui. La Financial Services Commission (FSC) en prend également pour son grade. Cette instance, estime l’ancien directeur du Board of Investment (BOI), est l’un des maillons faibles des institutions régulatrices à Maurice. Voici de grands extraits de son interview réalisée en fin de semaine dernière. 

Zahirah RADHA  

  • « Ivan Collendavelloo s’est clairement fixé comme mission d’être le porte-parole et le défenseur du gouvernement » 

 

Q : En 2014, on nous avait promis un 2ème miracle économique. Deux ans plus tard, force est de constater que l’économie stagne. Avons-nous des raisons de nous inquiéter?

R : Il faut d’abord comprendre que le miracle économique était survenu dans une circonstance donnée où notre économie passait par une période de transition. On passait d’un pays sous-développé à celui de ‘middle income’. De par le monde, il est beaucoup plus facile de passer d’un pays en développement à celui à revenu moyen. Mais c’est beaucoup plus difficile de devenir une ‘high income economy’ puisqu’il faut beaucoup plus de stratégies, de réflexions, de changements et de réformes pour pouvoir le faire. Mais l’une des grandes faiblesses de ce gouvernement c’est justement son manque de vision et de cohérence en matière de politique économique. Il ne faut pas oublier qu’il y a eu, en deux ans, trois différents ministres des Finances. Ce qui n’est pas un bon signe pour les opérateurs économiques. Deuxièmement, l’affaire BAI a préoccupé tout le pays pendant plus d’un an. Elle a été suivie par un certain nombre de scandales. Le résultat c’est qu’aujourd’hui, l’économie stagne toujours avec une croissance économique tournant autour de 3, 5% en moyenne.

 

Q : Y a-t-il toujours une possibilité de renverser la vapeur ?

Je pense que 2017 sera meilleure sur le plan économique, mais pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la politique économique du gouvernement. Il y a des facteurs favorables dans le tourisme, la construction et l’agriculture. Idem pour le secteur financier. En dépit des problèmes occasionnés par le Double Taxation Avoidance Agreement (DTAA), les opérateurs sont très confiants par rapport à leur performance sur le plan économique. La croissance pourra tourner autour de 4%, contre 3, 7 % l’année dernière. Si on a un environnement économique favorable, couplé de mesures gouvernementales favorables au développement économique, on pourra probablement dépasser la barre de 4%. Si le prochain budget est favorable au développement économique et s’il présente un plan cohérent qui peut amener une certaine stabilité dans le pays, on pourra même dépasser les 4%. Le prochain exercice budgétaire sera un test important pour Pravind Jugnauth en tant que Premier ministre et ministre des Finances. Mais malheureusement, depuis le début de l’année, ce sont les scandales qui préoccupent tout le monde.

  •  La FSC est un des maillons faibles des institutions financières à Maurice

 

Q : Ces scandales ont-ils eu des répercussions sur le plan économique ?

R : Certainement. L’affaire BAI a plombé la performance économique de Maurice en 2015 et 2016 parce qu’elle a un impact négatif sur la perception que les investisseurs ont des institutions financières à Maurice. Ces scandales ne font que détourner l’attention des défis importants.

 

Q : Lequel de ces scandales vous a choqué le plus?

R : Celui qui a affecté le pays le plus c’est incontestablement la BAI, surtout de par la façon dont le dossier a été géré. Mais d’une façon plus générale, quand il y a des scandales qui sont chassés par d’autres, ce n’est pas propice au développement économique du pays.

 

Q : En parlant de l’affaire BAI, que pensez-vous de Roshi Bhadain qui tente de jeter le blâme sur Vishnu Lutchmeenaraidoo ?

R : Je pense que c’est très grossier de sa part. Déjà quand Roshi Bhadain était au gouvernement, il y avait des conflits ouverts entre lui et Lutchmeenaraidoo. Ce qui était mauvais pour le pays d’ailleurs. Mais quand un ministre quitte le gouvernement et commence à blâmer d’autres ministres ou leaders, c’est extrêmement grave car c’est un déni de la responsabilité collective du gouvernement, qui est un point fondamental dans toute démocratie. Vous ne pouvez pas, après avoir quitté le gouvernement, trouver des prétextes pour le critiquer. La question principale est qu’avez-vous fait quand vous étiez dans ce gouvernement et si c’est aussi grave que vous le dîtes, pourquoi ne pas avoir démissionné et protesté à ce même moment-là ?

 

Q : Peut-on s’attendre à un assainissement du climat des affaires quand la Financial Services Commission (FSC), qui est une instance régulatrice, fait l’objet de vives critiques de part et d’autre?

R : Après l’affaire BAI, il y a eu un consensus sur le fait que la FSC est l’un des maillons faibles des institutions financières à Maurice. Or, après l’affaire BAI, on s’attendait à ce qu’elle soit renforcée et qu’on en tire des leçons. Mais c’est exactement le contraire qui est arrivé. À mon avis, suite à l’affaire BAI, cette instance s’est davantage affaiblie. Il ne faut pas oublier qu’on a, depuis deux ans, un Acting Chief Executive à la FSC. En plus, c’est un étranger dont le permis de travail et de résidence dépend de la décision du gouvernement. Ce dernier a aussi nommé le Financial Secretary (FS) comme Chairman de la FSC, sous l’administration d’un ministre comme Roshi Bhadain qui avait, à l’époque, des pouvoirs qui dépassaient le cadre des institutions. Dans ce contexte, la perception c’était que la FSC ne pouvait être vraiment indépendante dans ses fonctions alors que le gouvernement aurait dû prendre des actions pour renforcer l’indépendance et l’autonomie de cette instance.

 

Q : L’affaire Alvaro risque-t-elle de ternir notre image en tant que centre financier ?

R : Il faut d’abord que je vous dise, dans un souci de transparence, que j’ai été moi-même impliqué dans une transaction avec M. Alvaro, mais cela bien avant que l’affaire Alvaro n’éclate. Cela dit, cette affaire a certainement endommagé la réputation de Maurice en tant que juridiction financière. Cela démontre, une fois de plus, le manque de confiance dans nos institutions. Si la FSC jouissait d’une réputation d’être une organisation solide et autonome, ces dommages auraient été limités. Il paraît qu’une bonne partie des accusations qui ont été faites contre M. Alvaro n’a pas encore été prouvée, sauf qu’il a été associé à une banque en Angola, le Banco Espirito Santo, qui a fait faillite et qui a coûté des millions de dollars aux investisseurs et aux déposants. D’ailleurs, Alvaro Sobrinho lui-même ne l’a pas contesté. Mais le fait reste que la FSC est aussi à blâmer dans cette affaire.

 

Q : Qui est à blâmer le plus dans cette affaire : la FSC, la State House, le gouvernement – dont les ministères des Finances et de la Bonne Gouvernance – ou le système lui-même?

R : C’est définitivement le système lui-même. Mais il nous faut cependant faire une distinction entre la nature de ces problèmes. Il y a, d’une part, un problème politique et institutionnel puisque la Présidente de la République a été entraînée, d’une façon ou d’une autre, dans cette affaire. Quel rôle a-t-elle joué ? Quel a été le rôle des autres membres du gouvernement ? Comme je vois ai dit, c’est là un problème politique, mais qui est tout aussi grave.

Et puis l’autre problème concerne les procédures qu’un investisseur étranger doit suivre avant d’obtenir les permis nécessaires. Pour éviter que ce genre de problème ne se reproduise, il faut que les procédures soient consolidées et qu’elles soient rendues plus crédibles et acceptables.

 

Q : Est-ce normal, selon vous, qu’un Premier ministre adjoint se démène pour blanchir Alvaro Sobrinho, tout en ordonnant une enquête interne au ML sur la Présidente de la République?

R : Je ne sais pas d’où il puise cette autorité, mais Ivan Collendavelloo s’est clairement fixé comme mission d’être le porte-parole et le défenseur du gouvernement. De son propre aveu, il dit que « moi mo là pou défanne gouvernement ». Il ne fait donc pas de jugement sur la nature de ces événements, mais ne fait que les défendre. C’est au peuple de le juger.

En ce qui concerne l’enquête au sein d’un parti politique sur la Présidente de la République, je peux, à la limite, comprendre que le leader d’un parti doit s’informer avant qu’il ne prenne des décisions importantes. Mais cela ne veut pas dire que vous pouvez le dire en public. À mon avis, c’est un manque de respect envers l’institution qu’est la Présidence.