Questions à…Rama Valayden : « Le ministre Sawmynaden a un grand rôle dans la mort de Kistnen »

Q : Pourquoi votre client, Sakuntala Kistnen, soupçonne-t-elle le ministre Sawmynaden et son frère dans le cadre du meurtre présumé de son époux ?

D’abord, elle soupçonne le frère en raison de la nature de l’appel téléphonique qu’elle avait reçu de lui ce samedi fatidique, lui disant que son mari était dans les parages et qu’il allait bientôt rentrer tandis que c’est son corps qui lui est finalement parvenu. D’autant plus que le frère avait menacé son époux car il lui devait de l’argent. Elle se demande aussi pourquoi il veut dénoncer son propre frère à l’ICAC. Il faut donc éclaircir le rôle du frère du ministre.

Venons-en au ministre. Il y avait un axe qui opérait avant et durant le confinement concernant des appels d’offres. On avait demandé à Kistnen de postuler à un appel d’offres de la STC en cotant un certain prix alors que c’est finalement un proche du ministre qui avait décroché le contrat. Ce qui avait provoqué le courroux de Kistnen. Et puis, il y a eu d’autres appels d’offres où l’axe Appanah était entré en jeu. Outre la dispute que Kistnen avait eue avec le ministre deux semaines avant sa mort suspecte, la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase dans les relations entre les deux hommes avait été l’affaire de ‘constituency clerk’. Kistnen avait finalement compris qu’il avait été mené en bateau sur toute la ligne et qu’il ne pouvait plus lui faire confiance.

Ensuite, il faut savoir comment le cellulaire que lui avait remis le ministre Sawmynaden avait soudainement disparu après son prétendu suicide. Pourquoi son téléphone était dépourvu de ‘sim card’ alors qu’il était censé s’être suicidé ? Pourquoi des documents manquaient-ils dans son sac s’il s’était suicidé ? Comment se fait-il que sa main droite, dans laquelle il tenait des documents, était brûlée s’il avait commis de suicide ? Tous ces doutes sont directement liés au ministre Sawmynaden.

Et finalement, il y a aussi l’instinct féminin. Pou l’enterrement, line vini cuit vidé pendant cinq minutes avec la ministre (ndlr : Leela Devi Dookhun-Luchoomun) sans même ki li koze avec so madame alors ki ti proche avec le défunt. Il n’a pas non plus rendu de visite à son épouse par la suite. Ce qui nous fait dire qu’il a un grand rôle dans la mort de Kistnen.

Q : Y a-t-il des preuves irréfutables pour le prouver ?

C’est pour cela qu’on a exigé une enquête. La preuve, c’est le téléphone qui a disparu. Pour quelles raisons a-t-il disparu ? La preuve, c’est aussi l’échange de courriels électroniques. Si la police enquête, elle verra que les ‘biddings’ ont été faits à la demande du ministre Sawmynaden. Les relations que ce dernier entretenait avec Kistnen et leurs rencontres fréquentes peuvent aussi être prouvées. De plus, l’affaire ‘constituency clerk’ est évidente. Admettons pour une minute que le ministre soutient avoir remis cet argent à Kistnen, il s’agirait toujours d’un emploi fictif et ce sera une autre offense. Il ne peut pas lui payer quand il n’y a pas eu de travail qui a été fait. D’ailleurs, si l’épouse travaillait, pourquoi Kistnen aurait-il fait des démarches ‘pou ki li gagne la monnaie Covid’ ? (ndlr : Kistnen avait enregistré son épouse pour qu’elle bénéficie du SEAS et c’est là qu’il aurait appris qu’elle était la constituency clerk du ministre). Tout cela n’a pas de sens.

Il y aura encore d’autres preuves. Il faut savoir s’il y avait une rencontre avec Appanah et comment il le connaissait. Le frère du ministre a évoqué une somme de Rs 100 000 qui devait être remise à Kistnen. Cette somme doit provenir de cet axe, soit il a été envoyé par le ministre soit par Appanah. Pourquoi cette somme ? Quel service a-t-il rendu pour qu’il obtienne cette somme ? Est-ce pour l’empêcher d’aller de l’avant avec ses dénonciations, d’autant qu’il avait déjà rencontré certains politiciens de l’Opposition ?

 

Q : Vous avez évoqué des ramifications politiques très larges. Cela sous-entend-il qu’il y a d’autres politiciens qui sont impliqués dans cette affaire ?

Je ne serai plus surpris. Mais est-ce que l’enquête se fera comme il se doit ? Je ne doute pas des avocats qui travaillent au bureau du DPP, mais bien qu’ils puissent être bons en droit, ils sont un peu naïfs sur le plan de ce qui se passe à Maurice. N’importe quel ingénieur informatique peut, par exemple, vous dire que les appels téléphoniques ou les messages peuvent être effacés pour qu’il n’y ait pas de traces.

Q : Vous craignez un cover-up ?

Non, je ne crains pas. Je suis sûr qu’il y en aura.

Q : À quoi devrions-nous s’attendre alors ?

Il ne faut pas oublier que la police avait dit, dès le premier jour, qu’il n’y avait pas de ‘foul play’ et que c’était un cas de suicide. ‘Faudré mone rentre la-dans, fer tapage pou ki zordi c’est clair dans la tête de tout le monde que c’est un foul play’. Il faut maintenant chercher les vrais coupables. Ce n’est pas difficile de les trouver. Le gouvernement n’a qu’à offrir une récompense de Rs 5 millions, ce qui est un montant raisonnable, et il aura les informations qu’il lui faut. Je suis moi-même submergé d’informations. Malheureusement, cela requiert du temps pour les ‘process’. Je ne peux pas non plus brûler mes informateurs.

 

Propos recueillis par Zahirah RADHA