Questions à…Parvez Dookhy, constitutionaliste : « Le parlement n’a pas à s’ingérer dans une action judiciaire »

  • Naming du leader de l’Opposition : « Plus qu’un viol de la Constitution, c’est l’État qui a pris un coup »

Q : Un élu peut-il, selon les ‘standing orders’ d’une part et de la loi d’autre part, apporter une motion concernant une affaire qui est en cour ?

Nous sommes censés être un État de droit, ce qui signifie que la justice doit primer, que les privilèges doivent être réduits au strict minimum. Qu’une affaire soit pendante devant un juge ne peut être un frein à la démocratie, au droit de contrôle, à la liberté d’information et d’expression. Nous devons sortir d’un système de pensée juridique d’un autre temps, du 18ème siècle.

Il faudrait revoir tout le système d’organisation du Parlement: son autonomie par rapport au Gouvernement, les sessions, son agenda, la Présidence. Nous n’avons pas les mœurs britanniques. La question de comportement contraire à l’usage du Parlement (unparliamentary) doit être traitée autrement : par exemple une retenue sur le salaire (traitement) du député (sous contrôle du juge) mais pas dans le cadre d’un incident aux débats. On n’avance pas dans les débats. On perd du temps ainsi.

 

Q : Mais n’était-ce pas une tentative de la part d’un ‘Deputy Prime Minister’ d’utiliser le Parlement pour usurper le rôle de la cour pour des raisons politiques?

C’est en tout cas un moyen bien dilatoire en manipulant l’appareil étatique, en l’occurrence le Parlement. Nous sommes aux frontières de l’abus du pouvoir.

Les députés n’ont pas été élus pour cela. Ils ont été élus pour soutenir et contrôler l’action du gouvernement et voter des lois en leur âme et conscience. Le parlement n’a pas à s’ingérer dans une action judiciaire. Tout citoyen de Maurice peut être « touché », recevoir une signification des mains d’un huissier partout. Quitte pour lui, par la suite, de contester devant le juge la régularité de la signification.

 

Q : Comment jugez-vous l’attitude du Speaker en permettant cette « motion of privilege » et en blâmant un huissier de la cour ainsi que par la façon dont il s’est comporté par la suite ?

Une pétition est lancée pour que le Speaker soit remplacé par quelqu’un qui sait commander l’autorité et le respect !

 

Q : Le leader de l’Opposition a été « named » par le Speaker. Que prévoient les règlements dans ce cas-ci ?

Le poste du leader de l’Opposition est un poste constitutionnel. Il n’a pas d’adjoint. Donc, en suspendant le leader de l’Opposition, le Speaker, qui n’est pas lui-même député et représentant de la nation, suspend un organe constitutionnel qui n’a pas de substitut. Plus qu’un viol de la Constitution, c’est l’État qui a pris un coup.

 

Q : Notre démocratie parlementaire est-elle donc en danger, comme soutenue par l’opposition ?

La démocratie parlementaire ne fonctionne pas comme elle se doit. Or, elle est essentielle dans une démocratie représentative. Elle doit déranger le pouvoir, le gouvernement. C’est le contradictoire essentiel à la démocratie. Sinon l’Assemblée devient une Chambre d’enregistrement.

 

Q : L’opposition songe à la possibilité de loger une « motion of contempt » contre le Speaker. Qu’en pensez-vous ?

Oui, il faut la tenter. Il faudrait aussi demander à la Cour d’annuler la suspension du leader de l’Opposition. Le droit évolue en la matière, comme la Cour Suprême britannique l’a démontré.

 

Q : La cour peut-elle prendre une telle décision ?

Oui, la cour peut effectivement l’annuler.

 

Q : Mais cela ne prend-il pas de temps, sachant que le leader de l’Opposition a été suspendu pour deux séances ?

Effectivement, cela prendra du temps, mais c’est un moyen de pression pour au moins empêcher le renouvellement de la sanction.

 

Propos recueillis par Zahirah RADHA