Plus de 2 000 familles toujours menacées

Amiante à Maurice

Pas moins de 2 137 maisons réparties dans plus de 65 régions de l’île contiennent toujours de l’amiante, connue comme étant l’une des principales causes du cancer par le Centre international de recherche sur le cancer en France. Ce chiffre est alarmant d’autant que ces maisons sont occupées par des familles avec des enfants. Ces familles sont condamnées à vivre dans ce type de maison par manque de moyens. Au début des années 2000, Maurice avait d’ailleurs décidé d’interdire l’importation de produits amiantés et un plan d’action national avait été élaboré pour l’élimination de l’amiante dans les constructions, mais l’attente pour ces familles se fait toujours sentir.

C’est après le passage du cyclone Carol en 1960, qui avait causé de nombreux dégâts, que le gouvernement d’alors avait sollicité l’aide de l’European Development Community (EDC) pour offrir ces maisons aux plus démunis. 3 133 maisons ont alors été construites dans plusieurs régions de l’île, dont  la plupart dans des cités ouvrières. À présent, l’objectif du gouvernement est de régler ce problème au plus vite. Actuellement, un comité sur l’amiante est présidé par le ministre de l’Environnement, Étienne Sinatambou.

Une menace constante

Situé presque au pied de la montagne Le Pouce à Saint-Pierre, la Cité Sainte-Catherine compte à elle seule une cinquantaine de ces maisons construites avec des fibres d’amiante. La santé des habitants est perpétuellement menacée, ces derniers étant continuellement exposés aux matériaux toxiques susceptibles de provoquer plusieurs maladies. Ici, « céki éna moyen ine kapav remplass zot lakaz en béton mais céki péna oblizer ress ladan mem », explique Sabrina Carpen, travailleuse sociale de la région.

Elle précise que  bon nombre des habitants de ce quartier sont très pauvres. Vivre dans ces maisons comporte d’énormes risques, mais Sabrina Carpen affirme qu’elles n’ont guère le choix. Cette mère de trois enfants déclare aussi qu’elle a déjà évoqué ce cas à plusieurs niveaux, mais ses doléances sont restées lettre morte.

Un peu plus loin, nous rencontrons un autre habitant. « Kan lapli tombé, mo lakaz ressemblé ene panier percé », s’insurge Ahmad Bhunoo. Ce dernier a entrepris des démarches auprès de la National Empowerment Foundation, qui, lui, a alors construit deux pièces en tôle, sans toutefois démolir sa maison en amiante. Ce père de deux enfants est au courant des dangers auxquels ils sont exposés, lui et les siens, en vivant dans un logement contenant des fibres toxiques. Sans compter le fait que « la maison est vraiment en piteux état. Il y a des trous partout. Les plaques d’amiante sont très visibles. » Par ailleurs, il existe plusieurs protocoles qu’il faut respecter avant de procéder à la destruction de ce type de maison.

Marianne Ravaton, 65 ans, a pour sa part perdu tout espoir. « Je pense que je vais mourir ici sans que personne ne s’en inquiète. Personne ne veut vraiment nous venir en aide ». Cela fait plus de 40 ans qu’elle habite dans ce type de logement et elle affirme qu’on lui a promis monts et merveilles concernant sa demeure. « Zot vinn ici zot fer bel bel promess ki zot pou redone nu ene lott lakaz, mais après élection pa trouv zot », s’insurge cette mère de cinq enfants face aux autorités.

«Je pense que c’est à cause de l’amiante que j’ai perdu mon époux», se désole Annick Olivier.  Issue d’un milieu modeste, cette quinquagénaire n’a pu entamer des démarches pour faire des analyses pour confirmer ses dires. « Mon mari était asthmatique et pendant longtemps nous avons dû nous rendre régulièrement à l’hôpital. Quand j’ai une fois évoqué ce cas au médecin traitant de mon défunt époux, il m’avait alors dit que cela pourrait être une des causes qui avait provoqué sa maladie. Nous lui avons, par la suite, demandé un rapport médical pour entreprendre des démarches. Mais il a refusé de mettre par écrit les détails de notre  conversation. » 

Dans l’ouest de l’île, la situation est similaire. Des milliers de familles vivent dans des conditions précaires dans des logements contenant ce matériau hautement cancérigène. Leurs multiples appels à l’aide sont restés sans réponse… jusqu’à 2014 où plusieurs maisons ont été incendiées en raison d’un court-circuit. Les forces vives de l’endroit avaient fait alors un appel urgent aux autorités pour reloger les familles sans toit et en même temps de trouver des solutions durables pour les autres familles qui vivent dans ce type de maison. Si quelques-uns ont vu leur situation s’améliorer, les autres doivent patienter, nous fait-on comprendre.

Blake Lindor, un des fervents militants pour le bien-être des habitants de Cité La Ferme à Bambous, explique que l’heure est grave. « Cela m’attriste de voir ces personnes, surtout les enfants et les personnes âgées, vivre dans ces maisons. Certaines sont sur le point de s’effondrer sur la tête des habitants ». Il lance un pressant appel au gouvernement de régulariser le sort de ces nombreux Mauriciens, qui habitent toujours dans ces maisons au péril de leur vie.

Les syndicalistes montent au créneau

Le syndicaliste Radhakrishna Sadien nous a donné son point de vue en ce qui concerne les bâtiments construits à l’amiante. Outre les logements, il est important de ne pas oublier les lieux de travail. Pour Radhakrishna Sadien, l’amiante constitue un problème grave que le ministère du Logement et des Terres doit voir de très près. Il est d’avis que le ministère de la Santé doit également s’y intéresser car il s’agit là d’un produit nocif pour la santé du public. Il précise qu’il est donc impératif que les ministères concernés prennent des mesures urgentes.

Il fait un appel pressant au ministre Soodhun pour revoir ce problème en priorité et envisage de lui envoyer une lettre pour que des mesures soient prises au plus vite.

La lutte menée par la Confédération des travailleurs du secteur privé (CTSP) sur ce sujet a commencé depuis les années 90. Le syndicaliste Reaz Chuttoo milite toujours en faveur des familles qui vivent dans ces logements contenant des fibres toxiques. Pour lui, même si une petite quantité a été inhalée, la personne peut être malade des années plus tard. Il est d’avis que les autorités concernées devraient immédiatement procéder à la destruction de toutes les demeures contenant ces produits cancérigènes. « Mo en présence boukou prev ki dimoune ine mort avek lamiante mais lotorité pe tardé pou agir ». En 1995, lorsqu’un dénommé Claude Marguerite mourut, la CTSP  avait entamé une série d’actions en cour pour réclamer l’exhumation de son corps. Son but était de déterminer si le décès était lié à l’exposition aux fibres d’amiante.

Dix grammes du poumon du défunt ont été prélevés à des fins d’analyses. C’était le Professeur Hasselton de l’Université de Manchester et le Dr Pravin Oogarah, cancérologues, qui avaient été chargés de conduire ces expériences post-mortem. Les résultats de l’analyse vont choquer l’ensemble du pays ; 86 000 particules d’amiante ont été retrouvées dans les 10 grammes du poumon prélevés. S’en est suivie alors une grande campagne de dénonciation de la part des responsables de la CTSP pour forcer le gouvernement d’alors d’amender les lois pour interdire l’importation de l’amiante brut dans le pays.

En 2001, Paul Bérenger, alors ministre des Finances, avait sollicité l’aide de l’expert britannique John Addison pour commanditer un rapport sur l’usage et les méfaits de l’amiante à Maurice. Toutefois ce rapport n’a jamais été rendu public. En 2014, le gouvernement introduit la Dangerous Chemicals Act, d’après laquelle certains produits jugés nocifs, comme l’amiante, sont interdits à Maurice.

Cependant en juin 2015, le ministère de l’Industrie et du Commerce avait annoncé que certaines fibres d’amiante (actinolite, anthophylite, amosite et trémolite) ne figuraient plus sur la liste des produits interdits à l’importation. Une mesure qui semble anodine, mais qui avait causé une surprise, voire une inquiétude. À l’époque, les officiers du ministère disaient que cette action visait à faciliter le commerce, ce qui explique les amendements dans la Consumer Protection (Control of Imports) Act. Mais la dangerosité des fibres d’amiante restait entière et les importateurs devaient depuis cette date se munir au préalable d’une clearance et les autorisations nécessaires auprès du ministère de la Santé avant d’importer ce type de produit sur le territoire mauricien.

L’amiante est considérée comme une matière toxique et nocive à l’échelle internationale. Elle a été entièrement interdite dans plusieurs pays, notamment dans l’Union européenne, aux États-Unis, en Argentine, en Australie, au Chili, en Croatie et en Arabie saoudite. Dans d’autres pays, on restreint son utilisation de façon très stricte ou on supprime progressivement son utilisation sur une période déterminée.

L’amiante, un produit hautement cancérogène

Plusieurs chercheurs et scientifiques, tels que le Centre international de la Recherche sur le Cancer (IARC), l’ont amplement prouvé : l’amiante est un produit cancérigène.

Toutes les formes d’amiante sont cancérigènes. L’exposition à l’amiante peut entraîner le cancer du poumon ou du larynx, ainsi qu’un mésothéliome (cancer de la plèvre et du péritoine). Elle est également responsable d’autres pathologies comme l’asbestose (fibrose pulmonaire), l’apparition de plaques et l’épaississement ou l’épanchement de la plèvre.

Actuellement, environ 125 millions de personnes dans le monde sont exposées à l’amiante en milieu de travail. On estime que la moitié des décès par cancer d’origine professionnelle est due à l’amiante. On estime également que plusieurs milliers de décès chaque année peuvent être attribués à une exposition à l’amiante dans le cadre domestique.

Les procédures à respecter avant le désamiantage

L’utilisation de l’amiante la plus répandue, maintenant interdite, est l’amiante-ciment, qui représentait 90 % de l’application de l’amiante. Pour être sûr que l’environnement dans lequel vous vivez n’est pas exposé à ce produit, il est conseillé de consulter un spécialiste. À savoir que les constructions des années 90, avant l’interdiction de l’amiante, utilisaient ce produit hautement dangereux pour la santé de l’homme. Il convient aussi de signaler tout dommage causé à des matériaux contenant de l’amiante au ministère du Logement et des Terres.

Le propriétaire d’une maison ou d’un immeuble construits avec de l’amiante a un délai de 36 mois pour demander des travaux de désamiantage. Afin de procéder au désamiantage d’un bâtiment, il est recommandé de suivre un protocole établi. En raison de la volatilité et de la toxicité de l’amiante, l’expert doit bien se préparer avant de réaliser des travaux de désamiantage.

Les étapes du désamiantage sont comme suit :

  • Le dépoussiérage L’expert se charge de démonter et de déplacer tous les éléments du bâtiment qui ne sont pas en contact avec l’amiante.
  • Le confinement Les locaux à désamianter doivent être confinés tout en évitant l’inhalation des fibres d’amiante présente dans l’air lors du désamiantage.
  • Le démantèlement de l’amianteCette opération consiste à enlever d’abord les matériaux qui sont contaminés par l’amiante. Ensuite, l’expert arrache les fibres d’amiante de ces matériaux grâce à une technique délicate qui évite la libération de ces derniers dans l’air.
  • Les contrôlesIci, les experts s’assurent que le travail a été bien fait et attendent au moins 48 heures avant de réaliser un dernier contrôle final.
  • Élimination des déchets qui contiennent de l’amianteLes déchets doivent être acheminés sur un site de traitement spécialisé afin d’être complètement détruits. Si un propriétaire d’immeuble ne respecte pas cette étape, il commet un délit. Pour prouver qu’il a effectivement éliminé les déchets issus des travaux de désamiantage, le propriétaire doit exiger un certificat à partir du site où les déchets sont traités.