Pays enbalao : Police inéfficiente et PM insouciant, un cocktail explosif

Tout avait commencé par la découverte du corps de Soopramanien Kistnen dans un champ de cannes à Telfair, Moka. Depuis, les morts suspectes se sont enchaînées. Le dernier crime en date : le décès de Manan Fakoo, tué par balles. En toile de fond : l’existence supposée d’un escadron de la mort, des tentatives d’intimidation contre certaines personnes qui essaient de faire la lumière sur le décès de leur conjoint, des gros bras qui commencent à se montrer en plein jour, une tension communale alimentée sur les réseaux sociaux…  Bref, un climat malsain où les esprits peuvent s’échauffer. Pour couronner le tout, le rôle parfois ambigu de la police, et le silence dans lequel s’est muré le Premier ministre, qui occupe portant le portefeuille ministériel du ‘Law & Order’. Doit-on craindre que cette situation ne s’aggrave et que tout ceci n’échappe au contrôle de la police et du gouvernement ?

 

Le commissaire de police reconnaît implicitement que la situation est tendue

Le ‘Number One’ des Casernes centrales reconnait que ces derniers temps, il y a un climat malsain, avec une certaine tension communale, surtout sur Facebook, qui a tendance à démontrer que la police est dépassée par les évènements. « Je rassure la population que ce n’est pas le cas. La police a encore le contrôle de la situation », devait dire le CP. Dans le sillage de la mort de Manan Fakoo, le Commissaire de Police, Khemraj Servasingh, s’est addressé à la presse le vendredi 22 janvier pour rassurer la population. « Pena narnier de communal et pena bane gang. Ce ene règlement de comptes, ou li possible ce ene vengeance », devait relativiser le CP.

De plus, la police est sur des pistes sûres, ce qui fait qu’il y aura des arrestations très bientôt. Revenant sur les émeutes de 1999, le Commissaire de Police a déclaré qu’il ne laissera à aucun moment le pays revivre encore une fois cette situation.  Depuis cet incident, la police a deployé les grands moyens : 24 heures après, 5 375 véhicules ont été interceptés après le deploiement des ‘roadblocks’.

Y a-t-il des armes à feu qui circulent dans le pays ? Le Commissaire de Police a tenu a préciser qu’une licence d’armes à feu n’est pas octroyée à n’importe qui. Il devait aussi aborder la façon dont la police gère les enquêtes et les allégations faites par Reeshmee Kanakiah et Preetam Matadeen (voir plus loin). Le CP devait se montrer rassurant : « sa bane zafer cover-up la, pena sa, mwa mo kapav dir ou ». Il devait aussi expliquer qu’il n’y a pas d’escadron de la mort et qu’il n’y en aura pas.

 

La tension communale s’aggrave-t-elle dans le pays ?

okeeb shibchurnIl faut en effet dire que tout ceci se déroule dans un climat assez tendu. Deux semaines de cela, soit le 7 janvier de cette année, l’internaute Fardeen Okeeb, dans une vidéo publiée sur son compte Facebook, avait tenu des propos sectaires contre une communauté, pour lesquels il avait été lynché le même jour par une bande organisée, qui sévit depuis quelque temps, et qui est considérée comme étant proche du pouvoir.

Fardeen Okeeb avait porté plainte au CCID, et balancé le nom de Vishal Shibchurn comme le chef de la bande, ou du moins, un des agresseurs principaux. Or, ce dernier est proche du défunt Manan Fakoo. Senna Budlorun, le chef d’un groupe sectaire qui avait beaucoup fait parler de lui ces derniers temps, a lui aussi été convoqué au CCID le 21 janvier dans cette affaire.

En outre, sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, il y a plusieurs publications ou commentaires de nature sectaire, postés souvent sous de faux profils. Et il semblerait que cela s’empire de jour en jour. Une situation potentiellement explosive, et ce ne sont pas les paroles rassurantes du CP qui nous convaincront du contraire. La ‘Cyber Crime Unit’ a-t-elle vraiment la situation en main ?

 

Patrick Assirvaden : « Le Premier ministre complètement dépassé »

Le Premier ministre en compagnie de l’ancien CP, Mario Nobin, lui-même inculpé dans l’affaire Mike Brasse
Le Premier ministre en compagnie de l’ancien CP, Mario Nobin, lui-même inculpé dans l’affaire Mike Brasse

 

Alors que le Premier ministre, Pravind Jugnauth occupe aussi le portefeuille de la défense, des affaires intérieures (chapeautant ainsi la police) et des communications extérieures, il ne pipe mot sur la situation qui prévaut dans le pays depuis quelques  mois. Est-ce que le PM assume-t-il ses responsabilités ? « Pas du tout », répond tout de go Patrick Assirvaden, le président du PTr.

Selon ce dernier, beaucoup de gens ne font plus confiance à la police, surtout depuis l’affaire Kistnen. Alors que le défunt avait été tué de sang-froid, la police avait privilégié la thèse de suicide dès le début. En outre, malgré qu’il y ait eu des déclarations consignées contre les membres du gouvernement, il n’y a eu aucune arrestation, interpellation ou interrogation.

Pour Patrick Assirvaden, cela montre clairement que la police est politisée, ce qui a une répercussion directe sur la situation de ‘law and order’ dans le pays. « Jamais dans l’histoire du pays, nous nous sommes retrouvés avec autant de crimes, de suicides et de cadavres sur les bras », maintient-il.  « Il y a une décadence dans les mœurs de l’ile Maurice. » « Le responsable du ‘law and order’ n’est autre que Pravind Jugnauth », devait-il rappeler.

Comment se fait-il que lors de la comparution du ministre Yogida Sawmynaden en cour, des gros bras ont eu le droit de circuler sur la rue en menaçant des journalistes alors que des policiers étaient sur place ? se demande Patrick Assirvaden. « Il est clair qu’aujourd’hui, le Premier ministre et la police sont complétement dépassés dans ce pays ». Le tout dernier de la liste, c’est la mort de Manan Fakoo, qui est un agent politique. « Le défunt est le deuxième agent MSM qui a été tué, après Soopramanien Kistnen », note-t-il.

Tout ceci démontre qu’il y a un réel problème dans le pays, selon lui. « Pravind Jugnauth pena l’étoffe pou assume le poste de Premier Ministre », devait-il conclure.

 

L’ancien DCP Dev Jokhoo : « La police fine perdi direction »

DCP Dev JokhooL’ancien patron du National Security Service (NSS), Dev Jokhoo, se réfère à la ‘Police Act’ (la loi régissant la force policière, comme son nom l’indique) pour savoir si la police fait bien son travail dans le contexte actuel.  « The main duty of the police is to detect and to prevent offences”, souligne-t-il.

De ce point de vue, il ne mâche pas ses mots : « La police fine perdi direction. » Il explique que chaque fois qu’il y a un fait divers, nous entendons dire que le suspect est connu des services de la police. « Il faut que la police fasse un ‘monitoring’ de ces repris de justice, qui sont connus de la police. Or, dans plusieurs cas, les officiers de police ne connaissent même pas les ‘habitual criminals’. »

Ce dernier fait ressortir que la police « is being ruled by military officers ». « Si Commissaire la mem pas kone so travay, be ki pou arivé ? »

 

Les drôles de protocoles de la police

kanakia MatadinDurant sa conférence de presse de la semaine écoulée, juste après la mort de Manan Fakoo, le Commissaire de Police, Khemraj Servansing, avait été questionné sur le modus operandi de la police, notamment sa façon de diligenter les enquêtes.

Le CP avait fait comprendre que c’est un professionnel qui est à la tête des enquêtes, notamment le chef du CCID, le DCP Heman Jangi. La police agit selon des protocoles bien définis, et les enquêtes dans les affaires complexes ne constituent pas un travail facile. En outre, le CP avait dit qu’il n’y avait aucun ‘cover-up’.

Mais quand nous voyons le traitement qu’a subi Reshmee Kanakiah, la veuve de Pravin Kanakiah (mort dans des circonstances douteuses à Gris-Gris), ainsi que le calvaire de Preetam Matadin, on est bien obligé de remettre tout cela en question. Selon Reshmee Kanakiah, elle s’était rendue au poste de police de Plaine-Magnien pour consigner une déposition pour demander une contre-autopsie du corps de son mari.

Au poste de police, elle avait eu affaire à un policier qui était en civil. Ce dernier criait sur la malheureuse. Selon ce policier, elle ne connaissait rien sur les protocoles policières pour procéder à une contre-autopsie. Toujours selon Reshmee Kanakiah, le policier devait lui demander de prendre place à bord d’un véhicule de la police avec un chauffeur et une ‘Woman Police Constable’ (WPC) pour aller vérifier le corps de son époux, qui se trouvait au domicile des Kanakiah.

Mais au lieu de la conduire à son domicile, le policier aurait dit à Reshmee Kanakiah qu’il avait des affaires personnelles à régler, et la fourgonnette avait pris une autre route. Ce qui a provoqué la colère de la jeune femme. Le policier devait même lui arracher son portable alors qu’elle recevait un appel de son avocat. Il aurait par la suite demandé au chauffeur de les conduire à Plein-Bois pour « faire un tour ». « Pe amen ou prend l’air pou ou kapav blier impé sa bane zafer la ! », devait-il expliquer à cette femme éberluée.

Le lundi 18 janvier, quatre policiers en civil avaient débarqué chez Preetam Matadin. Ce dernier était un ami proche de Soopramanien Kistnen, avec qui il travaillait.

Les policiers devaient demander à Preetam Matadin de les suivre aux Casernes centrales. Une fois sur place, ce dernier a été conduit dans une salle non équipée de caméras. Là-bas, il sera pressé de questions sur la mort de Kistnen. Preetam Matadin aurait même reçu plusieurs coups. Selon lui, la police essaierait de lui extorquer des aveux pour qu’il endosse le meurtre de Soopramanien Kistnen. Il a par la suite consigné une plainte à l’Independent Police Complaints Commission (IPCC).

 

Neevedita Nundowah