Nuages noirs sur les compagnies de bus

Metro Express

Quel avenir pour les compagnies d’autobus avec la venue du Metro Express ? Cette question obnubile les opérateurs et les travailleurs de ce secteur. Plusieurs documents officiels déposés au Parlement relatifs au secteur du transport en commun permettent d’avoir un aperçu sur les hidden costs, économiques ou sociaux, du Metro Express. Ainsi, il y aura une refonte importante des lignes desservies par les autobus, avec des pertes d’emplois conséquentes. Notons aussi que valeur du jour, le contrat entre le Metro Express Limited et Larsen & Toubro n’a pas encore été publié.

Un worst-case scenario inquiétant pour les opérateurs d’autobus

Dans le rapport intitulé Impact of Metro Express Project on Bus Companies : A comprehensive brief on route re-engineering and other mitigation proposals, la National Transport Authority (NTA)  dresse un worst-case scenario pour le moins sombre pour les opérateurs d’autobus. Cette instance relève un manque à gagner à hauteur de Rs 1 milliard pour le secteur du transport en général.

« The worst case scenario assumes that the entire fleet of buses along the impacted routes of the three bus companies are removed without any redeployment or other mitigating measures being taken », note le rapport. Dans ce cas, il est évident que ces compagnies d’autobus pourront difficilement joindre les deux bouts.

Le tableau ci-dessous donne une indication de l’impact financier du Metro Express sur les 3 grandes compagnies d’autobus d’après le worst-case scenario. Ce scénario prévoit qu’au moins 45 % des 123 000 passagers voyageant avec ces trois compagnies, soit un passager sur deux, pourront être tentés par le Metro Express, ce qui causera un important manque à gagner, soit de l’ordre de Rs 1 milliard par an, comme mentionné.

Opérateur Revenus annuels (Rs) (Opérations) Pertes annuelles (Rs)
CNT 1,2 milliard 450 millions
United Bus Service (UBS) 825 millions 345 millions
Rose-Hill Transport Ltd (RHT) 175 millions 144 millions

 

Plusieurs lignes affectées par le Metro Express

Le système de transport public compte actuellement 250 « bus routes » avec quelques 900 arrêts d’autobus. Mais la donne va complètement changer avec la mise en opération du Metro Express. Le ministre du Transport Nando Bodha avait précisé en août dernier que les compagnies d’autobus qui desservent les lignes d’autobus sur le tracé du Metro Express auront d’autres rôles à jouer.

Ainsi, ces compagnies devront impérativement passer par un Re-Engineering des lignes desservies pour éviter le worst-case scenario décrit dans notre dossier.

Valeur du jour, pas moins 39 lignes seront affectées par la mise en service du Metro Express.

Pour donner une chance de compagnies d’autobus, des autobus seront redéployées sur 36 lignes existantes, avec plusieurs opérateurs sur une même ligne. Selon le rapport de la NTA : « […] carrying out a re-engineering exercise without any instance of overlapping routes is a task almost beyond the bounds of possibility.»

Notons qu’au moins 34 nouvelles lignes d’autobus seront créées.

Plus de 170 autobus redéployés

Plusieurs autobus seront redéployés, comme suit :

  • Il y a au total 344 autobus déployés par la CNT, l’UBS et la RHT sur les lignes concernées par le Metro Express.
  • 172 de ces 344 autobus devront être redéployés sur d’autres lignes pour essayer de maintenir une quelconque rentabilité.
  • 90 autobus seront redéployés pour la CNT alors que UBS et RHT verront chacune environ 40 bus redéployés.

Plusieurs autobus redéployés comme feeder buses pour le Metro Express

Ainsi, plusieurs des autobus redéployés seront utilisés comme des feeder buses, où ils feront le tour des artères de Port-Louis, de Rose-Hill et d’autres villes pour récupérer les passagers pour les stations du Metro Express. Le prix du ticket pour ces feeder buses coûterait entre Rs 12 à Rs 15.

Les opérateurs de bus : « Nous nous dirigeons vers notre ruine »

Le redéploiement des autobus des 3 grandes compagnies sur la chasse gardée des opérateurs individuels n’est pas au goût de ces derniers.

Ravin Juggernauth, manager auprès de la compagnie d’autobus Perle de la Savanne est d’avis que si le gouvernement va de l’avant avec de telles mesures, la ruine des ‘individuels’ est inévitable. « Nous faisons déjà face à une concurrence déloyale des vans et des taxis marrons. Maintenant que d’autres compagnies d’autobus vont desservir nos lignes, cela va affecter grandement notre travail », explique le manager.

Ce dernier précise aussi que les compagnies d’autobus comme  Perle de la Savanne connaissent déjà un coût de production très élevé et arrivent difficilement à réaliser des profits. Avec une flotte de douze autobus qui desservent les régions de Baie-du-Cap, de Chamarel, de Quatre-Bornes et de Port-Louis, l’avenir s’annonce plutôt sombre pour cette compagnie.

Même son de cloche du côté de la Luna Bus Transport Company Ltd. Autar Latchooman, le directeur, s’insurge contre le manque de communication du ministre Bodha. « Si on met les autres autobus sur les même lignes que nous opérons,  nous ne sommes pas d’accord. On nous met devant une concurrence à laquelle on ne peut faire face », s’indigne-t-il.

Quel sort pour les travailleurs du transport en commun ?

 Le rapport de la NTA parle d’un éventuel ‘downsizing’ du personnel, visant quelques 1 117 employés de ce secteur ayant plus de 55 ans.

Ces postes sont répartis comme suit :

  • CNT : 666 employés de plus de 55 ans  et 175 autres devant partir à la retraite dans les quatre ans à venir.
  • UBS : 386 employés de 55 ans et plus de 164 départs à la retraite d’ici 2021.
  • RHT : 65 employés de 55 ans et 8 départs à la retraite bientôt.

Les autorités n’écartent pas la possibilité d’une offre de Voluntary Retirement Scheme avec des conditions de départ nettement plus favorables que celles disponibles sous l’Optional Retirement prévue par les Public Transport (Buses) Workers Remuneration Regulations de 2014. Ainsi, les représentants syndicaux ont demandé que le package pour le VRS soit un mois de salaire par année de service, contre 15 jours en vigueur sous les Remuneration Regulations.

Du côté des travailleurs, les sentiments relèvent de la crainte et de l’incertitude. Au sein du Front commun des syndicats du transport, Iqbal Sheikh Abbas, secrétaire de l’United Bus Service Employees Union, exprime ses craintes pour la sauvegarde des emplois des travailleurs de l’UBS. « Cela représente un manque à gagner, car même si le prix du ticket d’autobus sera moindre, de nombreuses personnes choisiront le Metro Express pour sa rapidité et cela se reflètera sur les emplois des travailleurs », selon lui.

Tous les opérateurs ne seraient toutefois pas sur la même longueur d’ondes. Ainsi, du côté de Rose Hill Transport (RHT), Gérard Manuel, responsable des relations publiques, explique que la direction de cette compagnie n’a jamais considéré la sécurité d’emploi des travailleurs de la RHT comme un problème. « Je pense que le Metro Express va favoriser des nouvelles ouvertures pour les opérateurs d’autobus. Ces derniers bénéficieront d’une formation de plus et cela pourra même créer plus d’emplois », avance-t-il.

Un employé de la CNT âgé de 50 ans, que nous avons interrogé, affirme qu’il a peur pour son avenir. Il explique « Quels déplacements cela implique-t-il pour nous ? Nous aurions peut-être à nous déplacer vers d’autres endroits lointains et bientôt je devrai prendre ma retraite. Nous sommes dans le flou et appréhendons l’avenir », se plaint-il.

Notons que les représentants du gouvernement, les principaux opérateurs d’autobus, et les syndicalistes se réuniront prochainement, après la publication de plusieurs documents portant sur le collateral damage du Metro Express sur les compagnies d’autobus dès sa mise en opération en 2019.