Nouveau plan de relance de Padayachy :Contradictions et rétractions au menu

Lors de la présentation du Budget 2020/2021 en juin dernier, le ministre des Finances Renganaden Padayachy avait fait des annonces pour relancer l’économie du pays, mis à mal par la pandémie de covid-19. Mais le ministre se contredit-il dans ses dires ou n’a-t-il pas procédé à des analyses en profondeur pour connaître la situation réelle de l’économie du pays ?

Deux semaines de cela, le mercredi 7 octobre, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, était face à la presse à l’hôtel Hennessy Park, après avoir été face aux opérateurs du secteur privé lors d’un forum d’échanges. Le Grand Argentier s’est montré très optimiste : il  a fait comprendre qu’il y a des signes de reprise économique. Il avait fait mention d’une contraction du PIB d’environ 13 %, suivant la covid-19, mais qu’il pourrait y avoir une reprise de 9 % d’ici l’année prochaine. Des propos qui font suite à ceux du Gouverneur de la Banque de Maurice, Harvesh Seegoolam, le 23 septembre, lors de la réunion du Monetary Policy Commitee.

Environ deux semaines après cette annonce du ministre des Finances, sa position s’avère être un peu différente. Il devait ainsi dire ce vendredi 23 octobre, face à la presse, que la décroissance sera plus sévère. Il a changé de discours en deux semaines, pour finalement dire que la croissance sera maintenant d’environ 7 %, ce qui donne l’impression que le ministre était trop optimiste et qu’il a dû réviser son optimisme pour faire face à la réalité.

Le ministre a ensuite estimé que le taux d’inflation sera de 2,5 à 2,8 % pour cette année-ci, un taux qui selon lui, est raisonnable pour un pays à niveau intermédiaire. Il prévoit aussi une contraction négative de 14, 2 %. En ce qui concerne le chômage, il affirme que le nombre de chômeurs est en dessous de 50 000, et non pas 100 000, comme initialement prévu. Comme mentionné, le ministre attend une croissance positive de 7,5 à 9 % pour 2021.

Le ministre a aussi fait marche arrière sur la hausse de la taxe sur les produits à base de sucre, qui devrait passer de trois à six sous par gramme, en reportant cette hausse pour l’année prochaine. Notons aussi, parmi les mesures annoncées par le ministre : les entreprises recevront jusqu’à Rs 1 milliard sans garantie, à travers le ‘Credit Guarantee Fund.’ Une somme de Rs 3 milliards sera investie pour l’implémentation d’un ‘Air Freight Scheme’ visant à soutenir les exportateurs. Les planteurs de thé eux recevront une somme de Rs 8 000 par arpent. La MRA lui gèle les amendes et les arrérages pour certains contribuables.

 

 

 Kevin Teeroovengadum, économiste

« Prôner la transparence, même si la réalité est difficile à admettre »

L’économiste  Kevin Teeroovengadum dénonce d’emblée le manque de transparence du gouvernement. « Il ne faut pas faire se livrer à des stratégies de communication, vis-à-vis la population. Dans une période comme celle-ci, il faut prôner la transparence, même si la réalité est difficile à admettre, c’est préférable de préparer la population à la réalité au lieu de lui donner l’espoir qu’il y aura une reprise et que la décroissance sera moindre, entres autres. Cette crise va durer plus longtemps et il faut être transparent avec le peuple. »

En ce qui concerne les annonces faites vendredi, Kevin Teeroovengadum tient à faire rappeler que le Budget avait été annoncé il y a quatre mois, et les Rs 6 milliards qui seront réallouées sont  chose normale. Mais en temps normal et historiquement, quand le Budget est réalloué, cet exercice est fait au milieu de l’année financière, soit en décembre, mais le ministre l’a fait plus tôt. « C’est peut-être parce que le ministre commence à trouver la réalité du marché : c’est-à-dire que la récession est plus sévère, et que la reprise sera plus lente. C’est l’une des raisons pour lesquelles il s’est adressé à la presse durant la semaine écoulée », explique Kevin Teeroovengadum.

Il y a aussi des mesures qui soulèvent plusieurs interrogations. En ce qui concerne les Rs 8 000 de subsides qui vont être allouées aux planteurs de thé, la question se pose, pourquoi seulement les planteurs de thé, et qu’en est-il des autres planteurs ? Comment a-t-il choisi les planteurs de thé ? Ce serait intéressant de savoir comment le ministre est arrivé à cette décision. « Est-ce que c’est en raison des élections villageoises qui sont derrière la porte ? », se demande l’économiste.

Une bonne partie de la relance se focalise sur l’infrastructure, ce qui ne veut rien dire de nouveau car cela avait déjà été annoncé dans le Budget en juin, en ces termes : « The motto of growth is infrastructure ». Et par coïncidence, le même jour, le Premier ministre annonce le lancement du Côte d’Or Technological Park. « Je me pose des questions, car nous avons vu que beaucoup de projets ont été concrétisés, mais qui n’ont pas apporté de la valeur ajoutée sur le moyen et le long termes. En ces temps de ‘new normal’, est-ce que cela à un sens d’investir dans le béton ou investir dans les technologies ? C’est bien de faire de l’investissement public, mais en cette période de récession et de ‘new normal’, il ne faut pas que le pays fasse des investissements qui est dans le ‘old normal’. C’est pour moi un gaspillage d’argent. »

Selon ce dernier, il aurait fallu plutôt investir dans la formation des personnes qui ont perdu leur travail et qui auront des difficultés d’avoir un autre travail.

 

Eric Ng, économiste

« Les problèmes fondamentaux restent les mêmes »

« À peine trois mois après que le ministre des Finances ait présenté le Budget 2020/2021, il est revenu avec des mesures traditionnelles pour limiter les dégâts de la contraction économique de cette année, que lui-même a évalué à 14,2 %. Il avait dit 13 % avant et maintenant ça a changé. Mais les problèmes fondamentaux restent les mêmes. Cela ne renforce pas l’économie. Le problème reste  la production à Maurice car le coût de la production augmente », nous dit pour sa part Eric Ng.

L’économiste exprime son inquiétude sur le taux de chômage de 50 000 personnes. « On doit savoir que depuis le mois de juin, le taux de chômage a augmenté et cela continuera à augmenter. Le ‘Wage Assistance Scheme’ du gouvernement ne va pas durer éternellement. Il y a aussi beaucoup des personnes qui sont sous-employées, ou au chômage partiel ou celles qui ont vu une baisse dans leur salaire, et dont on ne fait pas mention », explique-t-il.

 

Xavier Luc Duval, ancien ministre des Finances

« On ne peut pas faire confiance à ses chiffres »

« Trois semaines de cela, le ministre Padayachy avait annoncé que la décroissance économique est 13 % et qu’il voyait des signes de reprises. Trois semaines après, il vient annoncer que la contraction est de l’ordre de 14,2 %. On savait tous que l’annonce de 13 % était du bidon. Pour moi, cela démontre qu’on ne peut pas faire confiance à ses chiffres », dénonce Xavier-Luc Duval

« Je vois aussi qu’il investit encore plus dans les projets de construction », nous dit-il, « mais du moment que ces constructions sont effectuées par des compagnies étrangères, il y a donc très peu de gain économique et ce n’est pas ça qui va relancer l’économie. »

Il faut aussi rappeler que l’économie était bien malade même avant la covid-19. Le ministre des Finances avait dit qu’il allait mettre Rs 10 milliards en Afrique, ce qui est un projet « absurde », selon lui.

« Pour moi, c’est un exercice publicitaire pour faire croire que tout va bien, alors que nous sommes dans une situation désastreuse. Tout ce qu’il fait, que ce soit à travers la Mauritius Investment Corporation (MIC) ou à travers la Development Bank of Mauritius (DBM), il laisse la porte ouverte à tous les abus et a tous les cas de corruption », conclut-il.

 

Reza Uteem

« Décevant »

Le ministre des Finances est venu le vendredi 23 octobre pour expliquer à la population ses mesures. Mais est ce que le ministre a annoncé des mesures pour combattre le chômage, est-ce qu’il a annoncé au moins une mesure pour la relance de l’économie, dans différents secteur tels que le tourisme, le secteur manufacturier ou l’offshore ? «  Non, rien de tout cela », conclut Reza Uteem.

« Est-ce que le ministre a parlé de l’inclusion de Maurice sur la liste noire de l’UE, ce qui fait que le secteur offshore du pays est grandement affecté, et comment le ministre va faire pour retirer le pays de cette liste ? », poursuit Reza Uteem.

« C’est décevant d’avoir un ministre des Finances qui s’adresse à la population pour ne rien dire », se désole le député mauve.

Le ministre a pris l’argent qu’il aurait dû dépenser sur les projets productifs en investissant sur les mesures annoncées vendredi, ce qu’on appelle une réallocation du Budget. Comment le ministre des Finances va générer cet argent, il ne l’a même pas dit, selon Reza Uteem.

En ce qui concerne le taux d’inflation, Reza Uteem explique que tous les gouvernements se cachent derrière la façon officielle pour calculer l’inflation. Mais chez nous, il faut voir le prix des produits alimentaires, il faut voir par quel pourcentage la corbeille ménagère a augmenté, il faut aussi noter le fait que les prix des médicaments ont monté en flèche, et c’est la population qui en souffre. « Venir pour dire que le taux d’inflation est de 2 % ne veut rien dire mais c’est l’indice de la corbeille ménagère qui a augmenté, et c’est cela qui montre le vrai taux d’inflation », estime Reza Uteem.