Nad Sivaramen : “Le PM aurait dû agir sur la motion de blâme de Shakeel Mohamed”  

Interview

 

  • Pourquoi l’ICAC n’a-t-elle pas réagi ?

Nad Sivaramen ne donne nullement l’air de quelqu’un qui se laisse intimider ou affecter par les critiques et autres manifestations contre l’express. « Cela fait partie du jeu démocratique », dit-il sans amertume. Tout ce qui importe, selon le directeur des Publications de La Sentinelle Ltée (LSL), c’est que l’information prime. Dans l’entretien qu’il nous a accordé en fin de semaine, il revient sur les questions d’actualités, dont le récent cas impliquant la présidente de la République.

Zahirah RADHA

Q: Après l’affaire Abdool Rahim et celle plus récente concernant les associations socioculturelles, voilà que la présidente de la République s’en prend à l’express. Si vous pouviez retourner en arrière, auriez-vous fait les choses différemment?

Non. Notre métier consiste à faire remonter des faits. Il implique surtout à publier des faits que d’autres n’auraient pas aimé voir publier. Dans le Yerrigadoogate par exemple, tout est basé sur des documents. C’est de la ‘documentary evidence‘. Cela gêne, bien évidemment. D’où les conflits générés. Mais c’est normal. On aurait fait la même chose si on devait retourner en arrière. D’autant qu’en l’absence d’une ‘Freedom of Information Act‘, la population et les lecteurs comptent sur la presse libre et indépendante pour avoir de l’information et non pas de la communication comme le fait la MBC.

Q: Vous n’avez donc aucun regret malgré toutes les critiques et les manifestations contre l’express?

Cela fait partie du jeu. Même en ce qu’il s’agit des manifestations contre nous, j’avais dit que, dans une démocratie, les manifestants ont le droit d’exprimer leur désaccord et on doit le respecter. Quand on fait du journalisme, on doit accepter le fait que tout le monde ne serait pas sur la même longueur d’onde que nous ou qu’il peut sinon percevoir la même chose mais de façon tout à fait différente.

Q: Venons-en au cas de la présidente de la République. En dépit du défi qu’elle vous a lancé, vous avez refusé de prouver l’authenticité des documents publiés. N’aurait-il pas été mieux de jouer carte sur table dans l’intérêt supérieur du pays?

S’ils n’étaient pas authentiques, on ne les aurait pas publiés. Même dans le cas de Yerrigadoogate, on a publié les documents après les avoir vérifiés et contre-vérifiés. Maintenant que ces documents sont dans le domaine du public, la présidente peut prendre diverses actions si elle doute de leur authenticité. Elle peut soit se tourner vers Barclays pour assurer qu’ils soient authentiques, soit elle peut consigner une déposition à la police pour publication de fausse nouvelle ou elle peut encore nous envoyer une mise au point. Mais elle n’a rien fait de tel. En dépit de nos nombreuses tentatives pour avoir sa version des faits depuis mardi, elle a systématiquement refusé de répondre à nos questions. Mais je peux vous dire que ces documents sont aussi authentiques que les bijoux achetés chez Shiv Jewels!

Q: Éthiquement parlant, l’express n’enfreint-il pas les règlements, dont la Banking Act, en publiant des documents bancaires, comme évoqué d’ailleurs par Ivan Collendavelloo?

C’est vrai. On doit violer une règle dans un intérêt supérieur. Que ce soit dans le présent cas, ou dans ceux concernant Ramgoolam-Soornack ou le Yerrigadoogate dans le passé, c’est l’intérêt public qui prime. Je dirai à Ivan Collendavelloo que les Mauriciens doivent savoir comment leur présidente dépense de l’argent et si celui-ci était destiné à son usage personnel ou on le lui avait confié dans un but précis pour promouvoir une institution non-gouvernementale. Nous pensons que c’est important de lever le voile dessus. D’autant plus qu’il y a eu des questions parlementaires sur les voyages fréquents de la présidente. Il ne faut pas oublier aussi qu’il y a des enquêtes internationales de très grande envergure sur Alvarro Sobrinho.

Q: À la veille du 50ème anniversaire de l’indépendance de Maurice, peut-on réellement parler de liberté de la presse en l’absence justement d’une ‘Freedom of Information Act‘?

On joue pleinement notre rôle et on essaie d’exercer notre métier en nous appuyant sur la liberté d’expression et d’informer. Dans le cas de Yerrigadoogate, ils ont essayé de nous challenge mais ils ont ensuite réalisé qu’il y a des limites à ne pas franchir et la liberté de la presse a finalement primé. Idem dans le cas de la présidente. Moi j’aurais aimé qu’elle nous traîne en cour pour qu’on puisse avoir une interprétation juridique sur ce cas. Elle soutient que les documents ne sont pas vrais alors que nous maintenons le contraire. Mais qui va trancher ? Il faut qu’il y ait une instance, soit la cour soit ou une autre institution qui puisse le faire. Je note aussi qu’il y a un silence assez assourdissant du côté de l’ICAC. Pourquoi n’a-t-elle pas réagi ? Dans le cas de Yerrigadoo, j’ai personnellement soumis des documents à l’ICAC mais on n’a rien entendu jusqu’ici. Si les institutions ne fonctionnent pas, moi je dois faire mon travail.

Q: Vous dites que les institutions ne fonctionnent pas. Le Premier ministre aurait-il dû agir, selon vous?

C’est en fait un test de leadership pour le Premier ministre. Depuis qu’il a pris le pouvoir, Pravind Jugnauth dit prôner une politique de rupture avec les pratiques du passé et il veut freiner les scandales. Il a agi dans les cas de Ravi Yerrigadoo et de Showkutally Soodhun. Dans le cas de la présidente, c’est un peu plus délicat. C’est quand même une personne qui a été nommée par le ML, partenaire du MSM. Il a aussi une procédure à respecter en ce qu’il s’agit de la présidence. Il aurait dû ainsi agir sur la motion de blâme de Shakeel Mohamed en rappelant l’Assemblée nationale en tant que leader of the House afin de laisser les parlementaires débattre de la question avant de passer au vote.

Q: Pensez-vous qu’il le fera étant donné que cela risque de le mettre à mal vis-à-vis de son partenaire, le ML, d’autant que celui-ci a déjà défendu la présidente?

Soit Pravind Jugnauth s’aime lui-même d’abord, soit il aime Ivan Collendavelloo plus que lui-même. Il doit prendre en considération son avenir politique. Pourra-t-il traîner Ivan Collendavelloo et cette présidente jusqu’aux prochaines élections? N’est-ce pas un embarras non seulement pour le pays mais pour toute la nation alors qu’on célèbre le 50ème anniversaire de notre indépendance. Comme l’a dit Showkutally Soodhun, chacun doit assumer sa responsabilité dans cette affaire. D’ailleurs, L’express assume entièrement la sienne.

Q: La déclaration de Showkutally Soodhun vous surprend-il?

C’est assez intéressante sa sortie virulente contre Mme. la présidente. Showkutally Soodhun aurait-il fait cela si le MSM voulait protéger Ameenah Gurib-Fakim? Je ne le crois pas.

Q: Cette affaire ne risque-t-elle pas d’entacher les célébrations du 50ème anniversaire?

Certainement! Elle tombe au mauvais moment surtout avec l’arrivée du président indien à Maurice. D’autant plus qu’il sera accompagné d’une armada de journalistes indiens. Et on sait que ces derniers sont très friands de ce genre de sujets et ils seront plus critiques que les journalistes mauriciens. Il y aura donc beaucoup de pression. Est-ce qu’on pourra le digérer. On le saura très bientôt.

Q: Changeons de registre. Comment le paysage médiatique mauricien a-t-il évolué durant ces cinquante dernières années?

C’est assez intéressant. En 1968, la radio et la télévision résidaient entre les mains du gouvernement. Aujourd’hui, bon gré mal gré, on a les radios libres depuis 2002. Et là on voit que l’Independent Broadcasting Authority (IBA) veut allouer trois autres licences de radios. Il serait intéressant de savoir qui les décrocheront. Est-ce que ce sont des proches des partis politiques qui l’auront? Ceci dit, on note avec regret que cinquante ans après l’indépendance, la MBC est toujours contrôlée par le gouvernement. Il suffit que vous regardiez le JT de la MBC pour trouver ce défilé de ministres et de propagande gouvernementale. Je souhaite que les ondes l’audiovisuelles soient libérées totalement. On a eu une libéralisation partielle avec les radios privées. Il faut qu’il y ait maintenant la télévision privée, comme dans toutes les démocraties. Il faut qu’il y ait la ‘Freedom of Information Act‘. Il faut que la présidence du Media Trust soit revue. Demander à un ancien cadre du Government Information Service (GIS), c’est de transformer les journalistes en de simples communicants. Et vous savez vous-même combien de journalistes complaisants ou de communicants il y en a déjà dans la presse!

Q: Peut-on s’attendre à ce que la situation évolue maintenant qu’il y a un ancien rédacteur en chef de l’express qui a été nommé au PMO?

Question piège! Je lui souhaite bonne chance dans cette carrière. Il a franchi le rubicon. On le verra dans son nouveau rôle. J’espère que l’expérience qu’il a eue en journalisme lui apportera un plus dans sa carrière de communication. Mais là, c’est assez challenging avec la récente crise concernant la carte platinum. Ce n’est pas évident d’opérer dans une telle situation. On verra bien.

Q: Un vœu à l’occasion du 50ème anniversaire de l’indépendance ?

Mon vœu, c’est qu’il y ait moins de lobbies sectaires et que la méritocratie prime. Un Mauricien, peu importe ses origines, doit pouvoir accéder à des postes de responsabilités sur la base de ses mérites. C’est ce qu’on appelle le mauricianisme.