Moqueries sur les réseaux sociaux

Un phénomene à ne pas prendre à la légère

Durant la semaine écoulée, de nombreux internautes avaient partagé, en prenant un malin plaisir, les vidéos d’un adolescent sur le réseau social Facebook, que ce dernier avait postées sur l’application TikTok. Certains ont même franchi les limites avec leurs remarques désobligeantes, pour dire le moins. Or l’adolescent en question, et sa famille, traumatisés, ont saisi la police. Il faut se poser les questions appropriées sur les abus qui peuvent survenir sur les réseaux sociaux, notamment lorsqu’il s’agit d’adolescents. En effet, au-delà de la bonne humeur et des blagues, quel est l’impact des ‘trolls’ sur les personnes qui sont les sujets de leurs dénigrements ? Notre dossier se consacre cette semaine sur ce sujet épineux.

Après une journée de dur labeur on se jette sur le canapé, smartphone en main, après avoir pris une douche chaude. Comme à l’accoutumée, on se dirige vers Facebook. Et vlan ! La première chose qui saute aux yeux : trois de nos amis ont partagé une vidéo mettant en scène un adolescent. Ne comprenant pas de quoi il s’agit et pourquoi toutes ces réactions ‘haha’, avec le petit smiley jaune, on s’apprête à regarder ladite vidéo. Une fois mis au parfum, on ne sait que trop penser..

« Comique », « Trop top », « Boufon »« Ki li gagner sa ta ? »… Les commentaires commencent à pleuvoir. Le dénigrement est à son comble. Vous l’avez sans doute deviné, on parle là des vidéos d’un dénommé ‘Arjoon Jho’, de son vrai nom Arjoon Jhorreea, sur Facebook, que des internautes ont téléchargées de sa page TikTok, sans sa permission, pour les partager sur Facebook, pour des rires. Cependant, fini les rires, se rend-t-on compte de l’effet néfaste sur le psyché de la ‘victime’ ?

Un délit passible de Rs 50 000 d’amende

Arjoon et Deepti s’étaient rendus à la Cyber Crime Unit aux Casernes centrales le jeudi 26 septembre dernier. Ils ont dénoncé les comptes sur Facebook qui ont partagé ces vidéos, tout en expliquant leur calvaire au quotidien depuis que les moqueries ont commencé.

Après avoir vérifié tous les dires d’Arjoon, les officiers lui ont fait  savoir que ces gens enfreignent la loi en ce faisant. Ils sont passibles chacun à une amende ne dépassant pas Rs 50 000. Avis donc aux internautes : « Je ne savais pas »  n’est aucunement une excuse !

 

Dr. Mahendrenath Motah, psychologue

 « Des plaisanteries traumatisantes qui peuvent provoquer une souffrance affective » 

Nous nous sommes tournés vers le Dr. Mahendrenath Motah, psychologue, qui nous explique les effets délétères que cela peut avoir sur une personne. « Une personne est affectée sentimentalement dès l’âge de raison, c’est-à-dire à partir de 10 ans généralement. Passé cet âge, si quelque chose touche à l’aspect affectif et émotionnel d’un être humain, un effet durable est noté : ce sentiment qu’il a ressenti en subissant la chose qui l’a affecté refera surface de temps en temps. »

« Dans le cas d’Arjoon, ces plaisanteries sur lui deviendront traumatisantes et il peut ressentir une souffrance affective, qu’il est difficile  de faire disparaître. À chaque fois qu’il aura une confrontation avec ces trolls sur sa personne, même des années après, ce traumatisme qu’il a subi fera surface encore une fois. Qui plus est, s’il y aura d’autres cas similaires dans le futur, il se remémorera de son cas et tombera une énième fois dans son traumatisme. De même, quand son vidéo sera re-partagée sur les réseaux sociaux des années après, il revivra toutes ces émotions comme vécues initialement. »

Le Dr. Motah ajoutera que beaucoup de gens ne comprennent pas qu’une personne ne réagisse pas par rapport à rien, excepté dans le cas de ses émotions. Selon lui, quand un enfant naît, c’est une boule d’émotions qui prend naissance et à mesure que l’enfant grandit, ces émotions l’aideront à affronter les différentes difficultés auxquelles il aura à faire face par rapport à ses relations et son environnement.

De ce fait, une victime aura d’abord besoin du support parental et ensuite de ses camarades. Ces personnes-là, qui lui sont très proches, pourront l’aider à surmonter ces moments difficiles, voire traumatisants. Passé cette étape, si la victime souffre encore ou se renferme dans son mutisme, il est recommandé d’une prise en charge immédiate, à ce moment, par un thérapeute qui est spécialisé  pour aider ces gens à mieux faire face à la vie dorénavant, en quittant derrière eux leur passé.

 

Le ‘branding’ : une atteinte morale qui peut s’avèrer très grave

Ensuite, il y a le phénomène de ‘branding’, qui affecte également la victime. « C’est une atteinte morale à une personne et qui peut s’avérer très grave. Arjoon subit actuellement, à travers les réseaux sociaux, un ‘branding’. C’est-à-dire, une ‘marque’ est estampée sur lui par les internautes. Comment cela se passe ? En disant qu’il s’appelle ceci et qu’il fait cela. Des fois, on peut dire que cela devient sa peau. Il doit protéger sa peau pour qu’il puisse protéger ce qui se trouve encore au plus profond que sa peau, notamment tous les éléments qui le font vivre », nous explique le Dr. Mahendranath Motah.

« Dans cette lignée, l’élément affectif est le plus important car si cet élément est souffrant, les autres aspects, dont le physique et le mental, dans un sens,  ne fonctionneront plus. Si l’aspect affectif a subi certaines brimades, ça devient automatiquement difficile pour les victimes à refaire surface. »  Il est ainsi recommandé de bien suivre l‘état d’esprit de la victime.

Arjoon Kumar Jhorreea : « Des milliers de Mauriciens sont sur TikTok. Alors pourquoi me cibler ? » 

Selon la principale victime, Arjoon Jhorreea, des internautes ont téléchargé ses vidéos sans sa permission, de son compte TikTok, pour ensuite les poster sur Facebook et faire de lui la cible des moqueries. Dans un court laps de temps, il est vite devenu ‘populaire’, dû aux milliers de partages de ses vidéos. Arjoon dira qu’il fait ces vidéos durant ses temps perdus pour ne pas s’égarer dans des mauvais chemins. « Il n’y a rien de mal à faire des vidéos humoristiques et le poster sur TikTok. Cette plateforme a été en effet créée pour cela. Des milliers de Mauriciens sont sur TikTok. Alors pourquoi me cibler ? », se demande l’adolescent de 15 ans.

Arjoon est visiblement très affecté par ces moqueries. Il nous relate qu’il ne peut marcher tranquillement dans les rues. Dans tous les coins et recoins, il est la cible des quolibets et des plaisanteries. Tout cela à cause des personnes de mauvaise foi qui ont donné un aspect négatif à ces vidéos. « Durant le temps que mes vidéos étaient sur TikTok, je ne faisais pas face à ces moqueries. Les gens appréciaient mon talent. Ce n’est qu’après que des facebookers les ont débauchées que tous les internautes ont commencé à m’acharner dessus », nous dit-il.

C’est en fait toute une famille qui est affectée moralement par ces moqueries. La mère d’Arjoon confie que les vidéos de son fils sont devenues virales sur Facebook, et les coups de fil ne cessent  de pleuvoir. Tous les gens qui la connaissent lui font des remarques, parfois anodines, parfois désobligeantes. Cependant, notre interlocutrice dira qu’elle n’a pas de problème que son fils fasse des vidéos sur TikTok. Elle déplore le manque de jugement des gens, supposément éduqués, d’agir ainsi avec un adolescent.

Deepti  Boodram : « Je ne fais rien de mal sur TikTok » 

Vous l’avez aussi sans doute remarquée dans certaines vidéos d’Arjoon. Deepti est la cousine de ce dernier. Deepti, 28 ans, est mère de quatre enfants. Elle explique qu’elle fait des vidéos avec son cousin pour se déstresser. « Je me sens bien dans ma peau quand je fais ces vidéos. Je me détends et ma journée se passe très bien après avoir fait rire des gens sur TikTok. D’ailleurs, beaucoup de mes ‘fans’ m’ont même demandée de faire plus de vidéos car cela leur permet aussi de se détendre. » 

La jeune femme est d’avis qu’elle ne fait rien de mal. « C’est un moyen pour moi de passer ma journée et je ne crois pas que quiconque puisse s’arroger le droit de m’interdire de faire cela. Il n’y a rien d’illégal dedans. »

L’application TikTok interdite dans certains pays

Pour ceux qui ne le savent pas, TikTok est une application mobile, téléchargée par  plus d’un milliard d’utilisateurs à travers le monde. C’est l’application musical.ly qui est désormais devenu officiellement TikTok en août 2018.

TikTok consiste à réaliser des vidéos dites de ‘lipsync’, d’une durée de 15 secondes avec divers sonneries et chants, entres autres.  L’application a vite connu une ascension fulgurante, surtout parmi la jeune génération.

Toutefois, l’application a été interdite en Indonésie et en Inde, pour les abus causés par une mauvaise utlilisation. De plus, TikTok fait actuellement face à plusieurs critiques aux État-Unis. Une éventuelle interdiction dans d’autres pays n’est pas à écarter.