Monde du travail : D’autres fermetures d’usines à l’horizon ?

Tex Knits, Tara Knitwear, Palmar… Vous vous souvenez certainement de ces fermetures d’usines, suivis de licenciements massifs de centaines d’employés, jetés sur le pavé, qui ont fait la une des journaux pendant un bon bout de temps. Nous nous sommes tournés vers Reaz Chuttoo et Jack Bizlall, syndicalistes, qui nous ont expliqué les causes de ces fermetures, et qui abordent le problème sous plusieurs aspects.

  • La délocalisation de notre industrie du textile

Notre industrie du textile subit de plein fouet une délocalisation, ce qui est la cause principale des fermetures. Selon Reaz Chuttoo, après les fermetures que l’on peut constater à Maurice, les propriétaires de ces usines vont ouvrir d’autres usines ou d’autres entreprises dans des domaines autres que le textile, qui n’a plus de débouchés à Maurice. Selon lui, des entreprises telles que Floreal Knitwear et la Compagnie Mauricienne de Textile Ltée ont déjà des usines dans des pays tels que Singapour.

Pour Jack Bizlall, les investisseurs mauriciens investissent, oui, mais pas dans le pays. Plus précisément, ces derniers achètent des terrains dans des pays tels que le Mozambique pour ouvrir leurs usines. Les entreprises mauriciennes ouvrent ainsi des usines dans des pays comme Madasgar, le Sri Lanka et d’autres pays africains. « Ce qui est clair, c’est que les investissements dans le secteur de la production se font dans des pays autres qu’à Maurice », nous dit-il.

  • Les fermetures d’usines ne prendront pas fin de sitôt

Reaz Chuttoo se montre d’emblée pessimiste. Il est d’avis que les fermetures d’usines seront encore d’actualité sous peu. « Malheureusement, ces vagues de licenciements vont continuer pendant encore 5 ou 6 ans », nous dit-il. Il est rejoint dans ce constat personnel par Jack Bizlall : « Ce problème va continuer, car il y a un mélange de facteurs qui en sont à la base. » C’est d’ailleurs pour cette raison que le syndicaliste, avec les membres de la Federation of Progressive Unions (FPU), avait envoyé une lettre au ministre du Travail depuis juin dernier pour la mise sur pied d’un comité, comprenant des inspecteurs et des syndicalistes, pour anticiper les fermetures d’usines.

  • L’investissement à Maurice délaisse les secteurs textile et agricole

En ce qui concerne les investissements qui se font à Maurice même, les financements se font dans le secteur tertiaire (le secteur des services), plutôt que dans le secteur primaire ou secondaire, comme l’agriculture ou le textile. Ceci est un facteur clé qui mène à la fermeture des usines et les licenciements. « Les investisseurs ne veulent plus investir dans le secteur textile et agricole, car d’autres industries rapportent plus d’argent », nous explique Jack Bizlall.

En outre, les banques ne veulent plus financer les entreprises des secteurs textile et agricole car, avec le temps, ces dernières commencent à s’endetter, ce qui mène encore une fois à des fermetures.

  • L’automatisation à outrance

Jack Bizlall nous explique que selon une observation qu’il a faite lui-même, les usines ne se fient plus à la main d’œuvre mais misent plus sur les robots, les machines et les nouvelles technologies, ce qui contribue primordialement à diminuer le nombre d’emplois dans le pays. La robotisation et la mécanisation comptent ainsi parmi les raisons majeures qui poussent vers des fermetures d’usines.

Hors-texte

Un impact encore plus grand pour les travailleurs étrangers

Ces licenciements suite aux fermetures d’usines ne touchent pas seulement les travailleurs mauriciens, mais aussi de nombreux travailleurs étrangers. Juillet dernier, après la fermeture de Tex Knits à L’Escalier, environ 150 ouvriers bangladais avaient vécu un calvaire inhumain. Ils s’étaient retrouvés sans paye, et n’avaient rien à se mettre sous la dent. En outre, la fourniture d’eau courante et d’électricité avait été coupée dans leur dortoir.

Reaz Chuttoo dénonce l’asservissement des travailleurs étrangers et nous déclare sans ambages que « Les lois mauriciennes favorisent l’exploitation des travailleurs étrangers, voire le ‘Human Trafficking’».

Ainsi, les lois qui concernent le logement ne se trouvent pas sous l’égide du ministère du Travail, mais sous celui du ministère de la Santé, ce qui fait que les syndicats ne peuvent pas porter plainte à ce niveau. Selon Reaz Chuttoo, 2 500 logements ont été alloués aux travailleurs étrangers, et il n’y pas d’inspection qui sont effectuées pour s’assurer que les employés étrangers vivent dans de conditions adéquates. En ce qui concerne la ‘meal allowance’ aux travailleurs étrangers, il n’existe aucun texte de loi qui stipule combien d’argent les travailleurs étrangers sont supposés recevoir.

Reaz Chuttoo fustige les politiques de divers gouvernements qui ont aggravé le problème. Selon lui, tout a commencé quand Rama Sithanen avait libéralisé l’entrée des travailleurs étrangers dans le pays. En 2008, Xavier Luc Duval a diminué le montant du ‘bond’ que devaient fournir les employeurs par employé,  de Rs 50 000 à Rs 500 par an, ce qui fait que plus de travailleurs étrangers viennent travailler à Maurice dans des conditions inhumaines. Et certains syndicats gardent un silence coupable, selon le syndicaliste.

Toutefois, pour Jack Bizlall, il convient aussi de souligner que les travailleurs mauriciens doivent souvent faire face à une ‘unfair competition’ venant des travailleurs étrangers. Les travailleurs étrangers sont plus enclins à travailler pendant les heures indues que les Mauriciens. Donc, la main d’œuvre étrangère est à plus bon marché que la main d’œuvre locale.

Pour Reaz Chuttoo, beaucoup d’étrangers entrent à Maurice avec un visa de touriste et ils commencent à travailler au noir. Les travailleurs étrangers qui travaillent dans l’illégalité effectuent plusieurs tâches à la fois, dans plusieurs domaines, par exemple dans l’agriculture ou dans le service de nettoyage, entre autres. Quand ils ont des démêlés avec les autorités, ce sont les employés étrangers qui doivent payer les pots cassés, et non les employeurs. Comme exemple, le syndicaliste soulève le cas de cet ouvrier chinois qui travaillait sur le chantier de Côte D’Or, et dont le décès suite à un accident de travail avait soulevé plusieurs interrogations. Son visa avait expiré depuis un mois. Il travaillait illégalement dans le pays et qui plus est, sur un chantier du gouvernement.

 

Neevedita Nundowah