Métier d’antan: Sooruj, le marchand de lait

Un métier qu’on croyait déjà disparu existe toujours en pleine ville de Beau-Bassin. A 47 ans,  il nous livre sa passion pour ce métier auquel il est fidèle depuis 30 ans.  Récit d’un marchand de lait, un travail qui se fait de plus en plus rare de nos jours.

 

Ki passer là ?…

…Sooruj Beeltah, marsan dilait ! Ça fait longtemps qu’on n’a pas entendu ce chant. Tout comme celui-ci qui s’efface peu à peu de nos esprits, le métier de vendeur de lait sera bientôt chose du passé, du moins pas tant que les personnes comme Sooruj ne disparaissent. Cet habitant de Beau-Bassin nourrit sa famille grâce à ce métier qu’il exerce depuis 30 ans. Dans la famille Beeltah, le père et le grand-père de Sooruj étaient eux aussi marchands de lait. Son frère, lui, est éleveur de vache à Nouvelle France. La passion pour ce métier lui a été transmise de père en fils. Toutefois, si le père de ce dernier allait travailler à bicyclette, Sooruj se dit chanceux car il y va à motocyclette.

 

Motocyclette unique

Des bottes aux pieds et son casque moto, Sooruj se met à l’œuvre à partir de 5h du matin. Son engin l’attend dans la cour. C’est ce qui lui permet de vaquer à ses occupations tous les jours. Elle est toutefois différente des autres motocyclettes, voire même unique.

A Beau-Bassin, presque tout le monde reconnaît la motocyclette de Sooruj qui est équipée d’un ‘tank’ et de deux bidons en tôle, tous attachés à l’aide d’une chaîne. Le ‘tank’ peut contenir 100 litres de lait alors que les deux bidons peuvent en garder 20 chacun. Sooruj a aussi un broc d’un litre en fer-blanc qu’il utilise pour retirer le lait. Des fois aussi, il lui arrive d’ouvrir le petit robinet  du ‘tank’ pour la distribution de lait.  C’est avec tous ces équipements que ce ‘marsan dilait’ conduit sa motocyclette. Il se doit d’être deux fois plus vigilant sur la route que les autres motocyclistes, car il doit éviter toute collision qui pourra faire tomber le lait. Donc la moindre imprudence de sa part lui coûtera toute sa journée de travail.

 

Sa passion du métier

Une fois sur sa moto, il se dirige chez les éleveurs de vaches laitières en plusieurs endroits pour s’en approvisionner. « Depi 5h di matin, mo desann Petite Rivière, mo fer Canotte, Bambous et Gros Cailloux pou ramasse dilait. Après mo commence vender Beau-Bassin, Belle-Rose et Quatre-Bornes. » A 13h, il se libère de son travail. C’est le train-train quotidien de ce marchand. Le travail de ‘marsan dilait’ n’a pas de congé, nous raconte Sooruj. Sa journée débute et s’achève sur la route pour ainsi dire.

Son lait, il le vend à Rs 45 le litre et Sooruj compte près de 100 clients. Il nous affirme cependant que peu de Mauriciens consomment le lait de vache. Et pour cause ! Ces derniers préfèrent le lait en poudre, car ils craignent les maladies qui, selon, eux, pourraient être causés par la consommation régulière du lait frais. Sooruj nous raconte une anecdote : chez lui, il est le seul à en prendre. Il est la preuve vivante, nous dit-il, d’un être en bonne santé qui boit du lait tous les jours et ce depuis son enfance.

Ces clients sont pour la plupart les ressortissants indiens. « Bann travayer indien ki ress dan l’endrwa, et bann docter vinn acheter avec moi. Éna bann grand fami couma la fami Boolell prend dilait avec moi dépi lontan. Pas gagne malade avec sa », soutient-il. Son ami Sookram est lui aussi dans ce métier, mais il est le seul à avoir utilisé les équipements à l’ancienne.

 

Les risques du métier

Pour Sooruj, ce travail lui a permis d’éduquer ses enfants. Mais il avoue que ce n’est pas facile d’être marchand de lait à Maurice. Des fois il lui arrive de retourner avec le reste de lait, car ses clients partent pour leur pays d’origine. Ce quadragénaire doit alors conserver le reste de lait dans un ‘cooling tank’. De plus, ajoute-t-il, « Parfois éna dilait, parfois péna. Li depend bann vaches là ». Il n’encouragera pas ses enfants à prendre la relève, car il pense que ce travail nécessite beaucoup de patience et d’énergie. Sooruj doit se lever plus tôt que les autres membres de sa famille. Or, la majorité des jeunes, selon lui, préfèrent faire la grasse matinée. Mais à son avis, « Vaut pas la peine rente dan sa biseness là, investir dan bœuf parski dimounes rode dilait la poudre », car tout se modernise.

 

La magie du lait de vache

Qui peut résister à la fameuse ‘malaï’, une crème qui est obtenue après l’ébullition de lait de vache. Les Indiens en sont fans et même les Mauriciens y étaient autrefois avant qu’ils ne choisissent de donner priorité à leur santé. Le lait de vache peut donner forme à plusieurs délices telles que le ‘paneer’ (fromage indien), le ‘barfi’, le mantègue (beurre clarifié), le ‘fénus’ entre autres. Sooruj affirme qu’il confectionne des délicieux ‘paneer’ et du ‘ghee’ avec l’aide de son épouse.

Le ‘fénus’ qui est très apprécié par les Mauriciens ne peut être préparé qu’avec le lait de vache obtenu tout de suite après qu’une vache a mis bas. Selon ce professionnel du métier, les autres ‘fénus’, qui sont vendus dans les supermarchés ne sont pas les vrais. Le lait de vache est un cadeau du ciel qui a la magie de se transformer en d’autres aliments. Sooruj se dit privilégié de pouvoir baigner dans cette magie.