Me Rex Stephen, ancien magistrat : « Ce jugement devrait permettre un retour des Chagossiens sur l’île »

  • Appel du DPP au Privy Council : « À ce stade, le DPP n’a fait qu’une demande auprès de la Cour suprême »

L’ancien magistrat Rex Stephen soutient qu’en ce qui concerne Brexit, l’impact économique de retrait de l’UE ne serait finalement pas d’une grande conséquence. Parlant de l’affaire Pravind Jugnauth, il affirme que le raisonnement de la Cour suprême et son interprétation des différentes dispositions de la PoCA sont extrêmement percutants et exacts en droit. Il a, de plus, soutenu que l’introduction de la peine de mort ne servirait certainement pas à freiner les crimes crapuleux à Maurice. Il déclare également que les droits à l’opinion et à l’expression sont des droits garantis par la Constitution.

Sanjay BIJLOLL

 

Q : La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne continue à faire débat tant à Maurice que dans le monde.  Brexit nous affectera économiquement et comment nous préparer à faire face à ce divorce des Britanniques de l’UE ?

R : C’est un fait que la sortie du Royaume-Uni de l’UE est un sujet d’actualité car cela constitue une première dans le cadre de cette instance. Les paramètres de l’effet du retrait du Royaume-Uni sur notre économie n’ont pas été clairement établis.

N’étant pas économiste, je ne m’aventurerais pas pour émettre une opinion éclairée ou avisée sur la question. Mais il me semble que l’impact économique de ce retrait ne serait finalement pas d’une grande conséquence car nos relations économiques avec l’UE trouveront certainement une certaine compensation avec des nouvelles relations économiques avec le Royaume-Uni.

 

Q : Le verdict de la Cour suprême de Sa Majesté est finalement tombé, mercredi après-midi, rejetant l’appel d’Olivier Bancoult du Groupe Réfugiés Chagos, à une majorité de 3 contre 2. Votre opinion sur ce dénouement très serré ?

R : Vous avez raison de ce que vous avancez. Mais je crois comprendre que malgré les appartenances, ce rejet est en fait un rejet salutaire  qui est basé sur un point technique, notamment l’absence aux dossiers d’un rapport de Price Water qui confirme que Diego Garcia est parfaitement habitable contrairement à ce qui a été suggéré avant.

Mais les commentaires des juges sont clairement en faveur de la cause des Chagossiens. Je partage l’opinion qui a été mise que ce jugement devrait permettre un retour des Chagossiens sur l’île sans le besoin d’un nouveau procès en cour. Comme on le présume le gouvernement britannique est respectueux des principes de droits sur la question du retour des Chagossiens.

 

Q : En ce qui concerne la souveraineté territoriale, le Premier ministre, sir Anerood Jugnauth, maintient la ligne dure sur l’ultimatum Chagos. Qu’en pensez-vous ?

R : Je ne souhaiterais pas décrire la position de SAJ comme étant une position dite ligne dure.

Il faut le dire que c’est une position de l’État mauricien plutôt qu’individualiser cette position. Donc, l’État mauricien est en train d’utiliser les dispositifs légaux en droit international qui sont à sa disposition.

 

Q : Que doit renfermer l’ébauche du projet de loi intitulé Independent Police Complaints Commission. Une fois votée, cette loi remplacera la Police Complaints Act de 2012, n’est-ce pas ?

R : L’Independent Complaints Commission Bill qui n’est pas encore une loi n’est en fait qu’une copie presque conforme à la Police Complaints Act de 2012, déjà existant.

La nouvelle loi ne fera que remplacer cette loi. Le seul changement majeur qui sera apporté ce sont  les qualifications du Chairperson de la nouvelle commission sous l’Independent Police Complaints Commission. Mais le changement d’appellation, nous le souhaitons, apportera plus dynamisme  sur la question des plaintes contre des policiers.

 

Q : Dans l’affaire MedPoint, pouvez-vous justifier dans quelle mesure le jugement en faveur de Pravind Jugnauth est implacable ?

R : Vous reprenez là un terme qui m’est attribué dans mon appréciation du jugement de la Cour suprême de cette affaire. Je considère ce jugement comme un jugement qui réitère des principes des droits essentiels dans un procès au pénal. Le raisonnement de la Cour suprême et son interprétation des différentes dispositions de la loi Prevention of Corruption Act (PoCA) sont à mon avis extrêmement percutants et exacts en droit.

 

Q : Après le jugement favorable à Pravind Jugnauth dans l’affaire MedPoint prononcé par la Cour suprême, le Directeur des Poursuites publiques a décidé de faire appel au Privy Council. Y a-t-il eu des cas où les Law Lords ont renversé l’interprétation des juges pour se pencher en faveur de celle de deux magistrats ?

R : Ce qu’il faut savoir c’est que le DPP a, à ce stade, fait qu’une demande auprès de la Cour suprême de permission de pouvoir faire appel au Privy Council. Cette question doit être tranchée d’abord avant qu’on ne puisse parler d’appel au Conseil privé.

De façon générale, il y a eu des cas où l’interprétation de la loi des Law Lords a différé de celle de la Cour suprême. De ce fait, il y a eu renversement des jugements de la Cour suprême.

 

Q : Le recours au Privy Council par de nombreux Mauriciens aisés, y compris des politiciens et des hommes de loi, est une indication que les jugements de la Cour suprême ne sont pas incassables en droit, non ?

  • L’affaire Pravind Jugnauth : « Le raisonnement de la Cour suprême et son interprétation des différentes dispositions de la PoCA sont extrêmement percutants et exacts en droit »

R : Effectivement, les jugements de la Cour suprême comme tout autre jugement des juridictions inférieures sont cassables en droit si on conclut que l’interprétation de la loi a été erronée.

 

Q : De mémoire de magistrat, y a-t-il eu un moment particulier où Me Rex Stephen a eu un doute sur un certain ‘case’ ?

R : Si vous faites référence  aux ‘cases’ que moi j’ai décidé en tant que magistrat, ma réponse est par la négative.

 

Q : Vous avez fait de nombreuses plaidoiries devant des différentes cours de Maurice.  Quelle est celle qui vous a donné plus de satisfaction personnelle ?

R :  S’il y a une affaire dans laquelle j’ai eu une certaine satisfaction personnelle , je dirais que c’est l’affaire Rezistance Ek Alternativ qui a été porté devant la Cour suprême en 2005 dans le cadre des élections générales sur l’obligation de décliner son appartenance communale avant de pouvoir se porter candidat.

 

Q : Justement, où en est-on avec ce problème ?

R : On a connu un long cheminement. Elle n’est pas encore résolue. L’affaire sera appelée, le 3 novembre 2016.

 

Q : Le système judiciaire mauricien nécessite-t-il des réformes ?

R : Votre question mérite à elle seule toute une interview. Or, comme tout système de notre société doit progresser, je dirais qu’on a besoin de faire des réformes, et le judiciaire mauricien n’est pas une exception à cela.

 

Q : Un ancien Chef juge, Ariranga Pillay, a entré une affaire contre un Senior Puisne Judge. Comment ce ‘move’ est-il perçu dans les milieux de la profession ici et ailleurs ? 

R : Comme l’affaire est devant la Cour suprême, je m’abstiendrais de faire des commentaires.

 

Q : Commenter un jugement d’un magistrat ou d’un juge, est-ce un ‘contempt of court’?

R : Non, certainement pas à condition que les commentaires portent sur l’application du droit par la cour et se fait dans des circonstances des retenus élémentaires. Il faut savoir que les droits à l’opinion  et à l’expression sont des droits garantis par la Constitution.

 

Q : La situation du law & order continue à se dégrader au fil des années. Quelles en sont les raisons et comment faire pour mieux assurer la sécurité des citoyens ?

R : La réponse de votre question méritait bien plus qu’une interview. Il faut probablement bien saisir la notion des Law Lords. Il faut également comprendre que la société évolue et cela engendre nécessairement des changements de comportement qui facilitent des fois la criminalité.

 

Q : L’introduction de la peine de mort servira-t-elle à freiner les crimes crapuleux ?

R : Certainement pas.