Me. Antoine Domingue : « Le Premier ministre doit sanctionner les narco-avocats »

Me Antoine Domingue est catégorique. Les informations qui découlent des travaux de la commission d’enquête sur la drogue sont extrêmement graves et méritent qu’on s’y attarde le plus vite possible. À commencer par la mise à pied de ces « narco-avocats » qui ont été auditionnés par la commission. L’ancien président du Bar Council préconise aussi le rétablissement de la peine capitale contre les trafiquants de drogue.    

Zahirah RADHA

 

Q : Des avocats, et non des moindres, défilent ces jours-ci devant la Commission Lam Shang Leen. Etes-vous préoccupé par les informations troublantes qui en découlent ?

R : Oui effectivement ! Je suis assez surpris, bien que des informations circulaient déjà sur la place publique, puisque les dénonciations sont extrêmement graves. The cat is now out of the bag. Comme le disait un de mes anciens confrères sur la commission d’enquête Sik Yuen sur la police et les services de douane, c’est un striptease et ce n’est pas beau à voir. On est en train de revivre exactement la même situation. Plus ça change, plus c’est la même chose. The worst is yet to come.

 

Q : C’est-à-dire ?

R : Peroomal Veeren a fait savoir qu’il veut parler à la commission d’enquête. Il souhaiterait faire un déballage public sur pas mal de politiciens. Attendons-nous à voir une autre séance de striptease public. Selon moi, cela va éclabousser d’autres personnalités, qu’ils soient proches du pouvoir ou pas. Si on prend le rapport Sik Yuen et on le compare avec ce qui se passe actuellement, on arrivera à la conclusion que l’argent sale est en train de tout corrompre. Malgré l’ICAC, la Financial Intelligence Unit (FIU), l’Asset Recovery Act (ARA), la POCA et la loi Bhadain sur les ‘unexplained wealth’, on ne comprend pas comment cette masse d’argent (ndlr : le chiffre d’affaires du trafic de drogue à Maurice), évaluée à Rs 2 milliards par an, puisse passer entre les mailles du filet. Il est donc clair qu’il y a une protection occulte et politique en ce qu’il s’agit du trafic de drogue. Ce qui expliquerait le penchant des trafiquants pour les politiciens, surtout ceux qui sont proches du pouvoir. Cela n’est pas nouveau. Il y avait bien eu, dans le passé, des trafiquants qui étaient présents au garden party à Réduit. Et cela se passe à chaque fois que les mêmes personnes sont au pouvoir.

 

Q : Justement, est-ce une coïncidence que la plupart des avocats qui ont déjà été entendus ou qui seront prochainement convoqués par la commission sont des proches du pouvoir ?

R : Il me semble que la mafia et les narcotrafiquants ont toujours cherché à infiltrer les milieux politiques proches du pouvoir. Ceux qui se laissent tenter par cet argent facile auront à assumer les conséquences de leurs actes. D’ailleurs, le Premier ministre a dit qu’il va nettoyer le pays du trafic de drogue. J’espère qu’il va prendre les actions nécessaires contre ces narco-avocats.

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Q : En tant que Senior Counsel, trouvez-vous normal qu’une légiste visite 37 détenus, dont des trafiquants, en un seul jour ?

R : C’est assez surprenant. D’après ce que j’ai entendu dire, elle aurait prétendu avoir visité un seul prisonnier, mais qu’on lui a présenté 37 détenus d’un seul coup. De toute ma carrière, je n’ai jamais vu ce genre de choses se produire. La prison n’est pas une salle de récréation. Les interviews, de par leur nature de confidentialité, se font toujours une à une. Je ne comprends pas comment elle a pu prétendre autrement.

 

Q : Peut-on, quand on est avocate et parlementaire, tenter de faire pression sur une consœur pour qu’elle ne divulgue pas des informations importantes à la commission ?

R : Bien sûr que non ! Quand vous êtes assigné comme témoin devant une commission, vous êtes tenu d’y comparaître, sinon vous êtes passible d’une amende d’un million de roupies, et ce pour chaque question non-répondue. On ne peut pas faire pression sur quiconque pour qu’il ne réponde pas. Ceux qui l’ont fait devront assumer les conséquences de leurs actes.

Cela dit, la commission a amplement les moyens d’aller au fond des choses. Le grand inquisiteur qu’on connait (ndlr : Paul Lam Shang Leen) est en train de bien mener sa barque. Cela se voit qu’il a bien fait son travail, tout comme l’Inspecteur Tuyau d’ailleurs. Raison pour laquelle il y a eu un contrat de Rs 4 millions qui pèse sur la tête de ce dernier et aussi sur deux autres avocats.

 

R : Ces ‘narco-avocats’, comme vous le dites, ont-ils le droit moral de rester en poste?

Q: Si le Premier ministre veut être pris au sérieux, if he means what he says and says what he means, il va devoir sévir contre eux au lieu de prétendre, comme il le fait actuellement, qu’il faut attendre une condamnation avant de prendre une quelconque action. Je pense que dans la conjecture actuelle, il n’a pas de choix. S’il n’agit pas rapidement, c’est lui-même qui subira les conséquences. D’ailleurs, il faudrait qu’il se souvienne de l’épisode Amsterdam Boys, le temps où son père était Premier ministre. Cela avait provoqué des élections générales et son père l’avait remporté après avoir fait campagne dessus.

 

Q : Pravind Jugnauth devrait-il suivre l’exemple de son père ?

R : S’il ne prend pas d’actions, ce fléau va finir par corrompre tout le tissu social de la nation mauricienne. Il faudrait qu’il requière de la commission d’enquête un rapport intérimaire dans les meilleurs délais. Cela justifierait sa prise de décision, c’est-à-dire la mise à pied immédiate de ces narco-avocats. Avec toute cette saleté qui l’entoure, il est obligé de travailler au karcher. C’est devenu ce qu’on appelle une écurie d’Augias. Il convient donc de prendre les taureaux par les cornes le plus tôt possible.

Il faut aussi souligner que dans le cas de Raj Dayal, il n’y avait pas de condamnation. Mais s’il y a une forte présomption de culpabilité, on ne peut pas se permettre de l’occulter. L’ancien Premier ministre avait pris la décision qu’il fallait dans le cas de Dayal. Ce qui est valide pour Dayal, l’est aussi pour les autres. What is sauce for the goose is sauce for the gander.

  • « Je dis à ceux qui sont indignes d’être avocats de step down and hang your gown. Don’t bring any further disrepute to the profession » 

 

Q : Un durcissement de la loi suffirait-il pour venir à bout du trafic de drogue, surtout quand on sait maintenant que le réseau principal opère à partir de la prison elle-même ?

R : La loi a été durcie depuis les 30-40 dernières années. On ne peut pas la durcir davantage.  Comme je l’ai dit à la commission d’enquête sur la drogue, il faut rétablir la peine capitale pour les trafiquants. Il suffit qu’il y ait de la volonté pour le faire. Si on ne neutralise pas les narcotrafiquants, c’est toute la population qui va en souffrir. L’île Maurice est devenue une plaque tournante pour le trafic de drogue et cela ternit l’image du pays au niveau local et international. Cette situation a empiré depuis que des barons sud-africains ont été incarcérés chez nous. Ils ont vu, à Maurice, un terrain fertile où ils pourront étendre leurs activités en connivence avec des barons locaux qui sont incarcérés. Les narcotrafiquants sont en train d’être dorlotés dans les prisons et celles-ci sont devenues le quartier général de la pègre. Il faut mettre un bon ordre à la prison pour que les prisonniers ne se sentent plus en terrain conquis. La seule solution, selon moi, c’est le rétablissement de la peine capitale pour les narcotrafiquants et leurs complices. Le problème sera alors réglé en un tour de main.

 

Q : Nos dirigeants auront-ils la volonté politique pour le faire ?

R : C’est au Premier ministre de prendre les devants et d’introduire un texte de loi dans ce sens. Soit il sera voté, soit non. Mais au moins, il l’aurait fait. Les parlementaires doivent aussi prendre leurs responsabilités. Les narcotrafiquants sont en train de finir la jeunesse mauricienne. Ils ne méritent pas qu’on s’apitoie sur leur sort.

 

Q : Un appel en particulier que vous auriez aimé faire ?

R : Je fais un appel pressant à la commission d’enquête pour qu’elle soumette un rapport intérimaire avec des recommandations, qu’on le lui demande ou pas de le faire. Il faut qu’on se débarrasse de tous ces gens qui font un tort immense au pays, à notre image et à la crédibilité du barreau. Je dis aussi à ceux qui sont indignes d’être avocats de step down and hang your gown. Don’t bring any further disrepute to the profession. Otherwise, you are likely to be hanged.