L’ombre de la privatisation plane !

Réforme du secteur de l’eau

L’idée d’une réforme dans le secteur de l’eau à Maurice ne date pas d’hier. La Banque mondiale a effectué une étude sur ce secteur à Maurice en 2017 et dans son rapport, le pays est qualifié comme un « water-stressed country ». L’institution financière internationale a même confirmé que les Rs 31,5 millions de la Global Insurance Facility (GIF) seront utilisées pour soutenir la préparation du projet de réforme. Si pour les autorités concernées, le projet de réforme doit impérativement passer par le recrutement d’un partenaire stratégique privé pour la Central Water Authority (CWA), de l’autre côté, la résistance s’organise et les instances syndicales donnent de la voix. 

  • Marwan Dawood/ Sharone Samy/ Chitanjal Goolaup

La réforme dans le secteur de l’eau sera-t-elle une réalité dans les mois à venir ? Malgré la résistance, le gouvernement semble déterminé à aller de l’avant avec ce projet. Le sujet  a été abordé pour la première fois en 1997 sous le gouvernement de Navin Ramgoolam. Depuis, il y a eu au moins cinq tentatives des gouvernements successifs à aller de l’avant avec la réforme de la fourniture d’eau. La dernière fois que le sujet a été abordé, c’était en 2010 où un accord avait été trouvé avec la Singapore Cooperation Enterprise (SCE) pour un plan stratégique sur le secteur de l’eau. L’année 2013 sera, elle, marquée par le Project Management Services Contract, conclu entre la CWA et la SCE pour réduire l’eau non comptabilisée dans la région de Mare-aux-Vacoas.

Après cela, il faudra attendre 2015 pour que le dossier revienne sur la table. La Banque mondiale est alors désignée vers la fin de l’année, soit le 18 décembre 2015, pour mener une étude sur la réforme de la distribution et de la fourniture d’eau. Cet organisme international avait pour tâche de conseiller le gouvernement sur la mise en œuvre d’un Partenariat public-privé (PPP) pour la CWA. L’équipe de la BM a rendu son rapport en 2017 et parmi les points saillants de ce rapport, Maurice est qualifié de « water-stressed country », tandis qu’en 2020, le pays tombera dans la catégorie des pays souffrant de carence en eau.  De ce fait, la Banque mondiale recommande une solution holistique pour redresser la situation financière de la CWA et planifier des investissements futurs pour atteindre une fourniture d’eau 24/7.

Privatisation sous quelle forme ?

Le rapport de la Banque mondiale propose de recruter un opérateur privé afin de faire fonctionner et maintenir la distribution d’eau potable à travers un contrat d’affermage (un accord du secteur public et privé) sur une période de 15 ans. Il préconise que l’opérateur privé obtiendra un Contract Management Fee et un Operator Fee. Le rapport ajoute également que 400 employés devront être recrutés, ramenant le nombre total d’employés dans le secteur à 1 800 personnes.

Où en est-on avec le projet de privatisation ?

Sommes-nous en retard dans la préparation des bidding documents qui doivent permettre le recrutement d’un partenaire stratégique ? Ivan Collendavelloo pense que non, mais en cas de retard, ce ne sera qu’une question de jours ou de semaines. On apprend que les documents sont en phase d’être finalisés et suivant des discussions avec la Banque mondiale et une équipe de l’IFC, les documents seront bientôt publiés. « On ne doit pas se précipiter, laissons le temps au temps », estime Ivan Collendavelloo. Il se pourrait alors qu’en juin, le ministère lancera une « Request for Quotation » sur le marché international.

Quelle est la situation de l’eau non comptabilisée ?

L’autre point saillant du rapport de la Banque mondiale est le volume d’eau non comptabilisée, soit par des pertes physiques dans les tuyaux défectueux dans le réseau de distribution et des pertes commerciales provenant des compteurs défectueux. En dépit de multiples études menées par les institutions, l’étendue des pertes n’a jamais pu être répertoriée. C’est pour cela qu’au gouvernement on explique que résoudre le problème de l’eau non comptabilisée demeure l’un des principaux objectifs de la réforme dans le secteur d’eau.

En ce qui concerne les dépenses encourues pendant des années pour trouver une solution à ce problème, celles-ci dépasse les Rs 5 milliards dans le remplacement des tuyaux à travers le pays.  L’autre solution proposée par le gouvernement est le recrutement d’un opérateur privé sur une période de 15 ans comme le préconise la Banque mondiale. Son rôle sera d’opérer dans le secteur et d’entretenir le réseau de distribution d’eau à Maurice avec pour but de réduire la non comptabilité de l’eau de 60 % à 40 % pour les premiers 10 ans et à 37 % les cinq années restantes.

Qu’a-t-on fait de l’argent restant ?

Dans le passé, un contrat avait été octroyé au Singapore Consortium of Consultants où la CWA avait fait provision de Rs 1 milliard à être utilisées dans le remplacement des tuyaux défectueux. Cependant, Reza Uteem, député du MMM, a révélé au parlement que dans le dernier rapport financier rendu public de la CWA, en date de 2015, il est fait mention des dépenses à hauteur de Rs 240 millions seulement pour le remplacement des tuyaux. Il demande alors au ministre de tutelle, Ivan Collendavelloo de dire si depuis 2015 d’autres tranches de ces Rs 1 milliard ont été déboursées ou pas, ce dernier n’a pu répondre.

Les contestataires nombreux…

Les syndicalistes de la Trade Union Common Platform (TUCP), ont participé à une manifestation devant l’Hôtel du gouvernement le lundi 9 avril pour contester la décision du ministre Ivan Collendavelloo sur la privatisation de l’eau.

Selon Radhakrishna Sadien, président de la Government Servants Employees Association (GSEA), la hausse du tarif ne serait pas la meilleure solution pour la gestion de la CWA, ni pour assurer une distribution 24/7 de l’eau. La privatisation de l’eau mettra foncièrement en jeu la sécurité d’emploi des travailleurs de la CWA.

Le syndicaliste a fait ressortir que l’ex-ministre des Finances avait annoncé dans le Budget qu’il allait investir dans l’installation des tuyaux pour empêcher les fuites et à améliorer le système de distribution de l’eau.

« L’organisme de la CWA bisin ress dan la main gouvernement », indique-t-il.

Le Dr Rajah Madhewo, porte-parole du Regrupma Travayer Social, a également tenu une manifestation devant l’Hôtel du gouvernement, le lundi 9 avril pour exprimer son mécontentement. Il juge que c’est inacceptable que le gouvernement utilise l’eau, une ressource naturelle, pour jouir de la richesse.

Ashock Subron : « L’eau n’est pas une commodité sur laquelle on peut faire profit ! »  

La privatisation de l’eau semble causer une certaine frayeur à bon nombre de Mauriciens. Elle risque non seulement de faire grimper le tarif de l’eau mais beaucoup de personnes risquent de se retrouver sans emploi. Avec l’installation des nouveaux compteurs, la situation ne semble pas s’être améliorée. La facture en fin de mois est plus salée, alors que dans les robinets, l’eau coule de façon erratique. Ceux au bas de l’échelle sociale se demandent immanquablement comment ils vont faire pour pouvoir surmonter cette nouvelle augmentation.

Ashock Subron, de Rezistans ek Alternativ pense que la privatisation de l’eau est une véritable bêtise de la part d’Ivan Collandavelloo et de Pravind Jugnauth. Il déplore cette décision dans tout son aspect, « Dans 35 pays et plus de 180 grandes villes, on fait de sorte que l’eau redevienne un service public, ici on fait tout à l’envers, alors que de nombreux pays vont vers le changement et le progrès, ici on régresse, nous courbons l’échine devant le secteur privé », dit ce dernier.

Avec cette annonce, le gouvernement ne fait qu’empirer sa situation déjà précaire. À savoir que l’alliance Lepep avait utilisé le secteur de l’eau comme tremplin pour une victoire aux élections de 2014. Ashock Subron n’en démord pas : « Zot ti dir lepok election ki pou gagn delo 24/7, line elu lor sa base la, zordi pe vine rakont nu enne lot zistwar, delo pas enn commodité lor lakel nu kapav fer profit ! », assène-t-il.

Du coté de la Central Water Authority, on est toujours dans le flou autour de la privatisation. Sollicitée pour une réaction, la direction n’a pas été en mesure de nous répondre.