[VIDÉO]Les squatters sur les terrains de l’État : Sont-ils vraiment responsables ?

On a été témoins d’expulsions des squatters en pleine periode de confinement. Cette affaire avait debuté avec les squatters de Pointe-aux-Sables, suivie par les expulsions manu militari des squatters de Cité Malherbes. Steven Obeegadoo, le ministre des Terres et du Logement, avait tenu un point de presse le 26 mai dernier, pour expliquer les raisons derrière ces expulsions parfois inhumaines. Selon lui, une dizaine de familles ne seraient pas des SDF, mais des gens qui possèdent déjà une maison ailleurs, et qui ont persisté à construire des bicoques sur les terrains de l’État. Une affirmation qui laisse planer un certains scepticisme. Sunday Times a voulu comprendre les raisons qui obligent les gens à devenir des squatters. Nous avons parlé avec des squatters de Coteau Raffin, qui nous font entendre un autre son de cloche.

Le pays a connu un développement certain depuis les années soixante dans le domaine du logement. La plupart des familles mauriciernnes vivent désormais dans des maisons en dur, et les cases en paille, en bois ou en feuilles de tôle ont quasiment disparu. D’innombrables foyers sont fournis en eau et en électricité.

Toutefois, on ne peut pas nier qu’il y a d’importantes poches de pauvreté à travers le pays, Or, il semblerait que certains aspects de la pauvreté apparaissent constants et permanents, une pauvrete liée indissociablement au logement. Aussi, nous avons tendance à fermer les yeux sur cette frange importante de la population.

Pour ce dossier, nous nous sommes focalisés sur une zone où la pauvreté règne en maître, notamment Coteau Raffin. Ici, on découvre le revers de la médaille, et comment et pourquoi nos concitoyens sont pris dans un engrenage, et n’arrivent pas à se defaire de leurs conditions de squatters.

 

Coteau Raffin : un village oublié du développement

 

Sommes nous à Maurice ?
Sommes nous à Maurice ?

Coteau Raffin est un village dans le sud-ouest du pays, dans le district de Rivière-Noire. Là-bas, 30 à 40 familles essayent tant bien que mal de faire entendre leurs voix, mais en vain. Ces mères et ces pères de familles n’ont qu’une seule demande aux autorités concernées : qu’on leur accorde la possibilité d’avoir une existence digne. En termes plus concrets : ils demandent une fourniture en eau et en électricité et l’installation de drains pour qu’ils puissent vivre dans un environnement hygiénique.

Ces personnes habitent cette région entre 6 à 10 ans. Ils ont atterri là-bas car ils n’avaient plus de toit sur leur tête pour diverses raisons, dont l’impossibilité de payer un loyer. Ils ont dû prendre des feuilles de tôle et fabriquer une petite maison de fortune pour être à l’abri.

Doriline Odet : « Ki WiFi zot pe rode installer alors ki pena dilo ek courant ? »

Doriline Odet vit à Coteau Raffin depuis 7 ans. Cinq enfants, de 8 ans à 19 ans, sont sous sa responsabilité. Trois d’entre eux sont ses propres enfants, tandis que les deux autres sont ses neveux. Elle habitait avant à Case Noyale chez son père, mais le lopin de terre familial ne pouvait accommoder tous les enfants, et elle a dû mettre le cap ailleurs.

Dans le passé, à plusieurs reprises, elle s’est tournée vers la CWA et le CEB pour être fournie en eau et en électricité, mais ces autorités lui ont fait comprendre qu’elle doit avoir le titre de propriété. L’ex-ministre Joe Lesjongard avait effectué les démarches nécessaires afin qu’elle puisse avoir son titre de propriété.

Depuis deux ans, elle a le titre de propriété en bonne et due forme, mais elle attend toujours que le CEB et la CWA fassent le nécessaire pour la fournir en eau et en électricité. Un officier de la CWA est bien venu sur place, mais devait expliquer à Doriline qu’elle habitait trop en retrait pour que le compteur soit installé. Les habitants doivent venir remplir des seaux d’eau depuis la citerne d’eau installée par le gouvernement.

En ce qui concerne la connexion d’électricité, Doriline explique que c’est la même chose. Malgré qu’elle soit en possession d’un titre de propriété, les officiers du CEB lui ont fait comprendre qu’ils n’ont reçu aucune directive de leur hiérarchie pour raccorder les habitants de Coteau Raffin.

Elle ne cache pas sa colère en revenant sur une annonce faite en ce qui est des bénéficiaires des SRM (Social Register of Mauritius), à l’effet qu’ils allaient recevoir une connexion WiFi gratuite. « Telecom ine vine met colone tou, mais courant pena ! Kuma pou gagne WiFi ? », s’exclame Doriline avec frustration.

Quatre enfants sous la charge de Doriline vont toujours à l’école, mais dans des conditions difficiles. Quand il pleut, il est difficile pour ces enfants de se rendre à l’école car le chemin qu’ils doivent prendre est inondé en cas de pluie. En cas de grosses averses, les sapeurs-pompiers doivent venir les évacuer de leur maison pour les placer dans les centres de refuge.

Elle n’a qu’une seule demande : que le gouvernement installe un drain pour l’évacuation des eaux, et que le nécessaire soit fait pour que les habitants de Coteau Raffin soient raccordés  à l’électricité et à l’eau potable. « Si zis gouvernment fer sa, nou problem resoudre. Nou pena pou fatig zot enkor », lance-t-elle.

Mike Augustin : « Que les autorités ouvrent les yeux, et nous viennent en aide »

Mike Augustin, 52 ans, est marié mais  divorcé. Il a un fils qui ne vit pas avec lui, car comme il nous l’explique, pour les jeunes de la génération présente, il est impossible pour eux de vivre dans la situation déplorable dans laquelle il vit. Le quinquagénaire ne cache pas son amertume et décrit les problèmes auxquels font face les habitants du quartier. Il demande aux autorités d’ouvrir les yeux, et de venir en aide à tous les Mauriciens.

Il louait auparavant une maison à Port-Louis, mais suite à des soucis d’argent, il a dû partir habiter vivre chez des proches. Ne se sentant pas à l’aise de vivre chez autrui, il a donc construit une petite maison en tôle à Coteau Raffin.

Ayant dû faire face à des problèmes de santé, il n’arrive pas à travailler, et reçoit une pension de la Sécurité sociale, où on lui fait des misères : « Sécurité social zoué ek mwa. Des fois, zot kup mo pension sans ki zot vine get mo l’état de santé.»

Il a lui aussi entamé des démarches auprès de la CWA et il a même effectué les paiements d’usage, mais la CWA l’a informé qu’il ne pourra être raccordé à l’eau en raison de l’absence d’un tuyau principal pour toute la localité.

Il habite tout près de la montagne et à chaque fois qu’il y a des grosses averses, l’eau dévale de la montagne pour envahir la ruelle où il habite. Les maisons sont alors complètement inondées. Il nous fait comprendre aussi que ces eaux boueuses qui s’accumulent devant les maisons permettent la propagation des maladies. Mike Augustin souffre ainsi d’inflammation quand il doit marcher dans la boue.

Il demande aux autorités concernées de venir faire un tour dans leur quartier, et de faire le nécessaire pour eux. Il dit avec colère et tristesse que ce style de vie est quasiment inhumain : « Mo pas senti mwa kuma ene humain avec sa situation la. »

Isabelle Bootchah : «Dégradant et difficile de vivre dans une telle situation »

Isabelle Bootchah est une mère de famille de 42 ans et habite Coteau Raffin depuis huit ans. Auparavant, elle habitait avec sa sœur mais avec le temps, quand les membres de sa famille ont grandi, elle a dû déménager. Le destin a voulu qu’elle trouve refuge à Coteau Raffin.

 

Elle présente les mêmes requêtes : la construction d’un drain, et le raccordement à l’eau et à l’électricité dans son quartier. Pour elle, c’est dégradant et difficile de vivre dans une telle situation, surtout pour ceux qui ont des bébés.

Jino : « Les hôtels tout proches sont bien raccordés à l’eau et à l’électricité, mais pas nous »

Jino est père de six enfants. Il nous explique que sa maison aurait été démolie après une affaire en cour. Depuis, il a dû trouver refuge dans la cour d’étrangers en travaillant comme gardien, mais vu qu’il n’était pas bien payé, il a quitté ce travail et depuis, il vit dans ce petit village modeste.

 

Jino ne mâche pas ses mots : « La façon dont nous sommes traités, nous pouvons croire que nous sommes des immigrés dans notre propre pays. Pourtant, des immigrés ont toutes les facilités à Maurice, comme l’eau courante et l’électricité. Pourquoi pas nous ? Tout près de notre quartier, il y a des hôtels. Comment se fait-il que les hôtels sont rapidement raccordés à l’eau et à l’électricité, mais pas nous ? »

« Nous sommes des humains nous aussi, tout comme les touristes. Nous contribuons aussi à l’économie. Il ne faut pas que l’on nous traite différemment. Nous sommes dans notre pays, mais la manière dont on nous traite est pire que de l’esclavage. On nous traite pire que le dernier des immigrés », lance Jino avec colère.

Il fait aussi ressortir que tout près de leur quartier, il y un élevage porcin, et dans cette ferme, on reçoit de l’eau pour que le travail puisse se faire. « Quand des pourceaux naissent, on doit les baigner avec de l’eau tiède, tandis qu’ici, les humains ne peuvent même pas recevoir de l’eau potable », lâche-t-il.

Il pose plusieurs questions au gouvernement et aux autorités. « Kifer nou baz rezeté par la société ? Akoz nou nom, nou couler, nou relizion ek nou race ? Bondié pane faire ti dimun li, line faire zot tou pareil. »

 

Saloni : « Noun fatiguer kozer madam, ek zournalist ek minis, mais narnier pane faire »

Saloni, 36 ans, mère de six enfants, nous a accueilli avec ses mots : « Noun fatiguer kozer madam, ek zournalist ek minis, mais narnier pane faire.» Elle nous relate que c’est par faute de moyens qu’elle se retrouve aujourd’hui dans cette situation : « Foder pena moyen ki nou ine vine reste dans sa malang la ! Akz nou pena choix. »

Ses enfants sont encore à l’école. Quand il y a des grosses averses, les enfants ne veulent pas partir à l’école car ils doivent marcher dans la boue pour s’y rendre, et quand les enfants s’absentent de l’école, ce sont les parents qui sont montrés du doigt, que ce soit par les autorités éducatives, ou par d’autres personnes. 10 ans depuis qu’elle vit à Coteau Raffin, elle attend toujours qu’il y ait le raccordement  à l’eau et à l’électricité.

Hors-texte 1

Nous nous sommes tournés vers une ONG qui essaie d’’apporter une aide à ces gens, le Yeshua Fellowship. Le secrétaire-général et le ‘Programme Director’ de cette ONG, Sheetal Purmanund nous explique que l’association a élaboré un plan d’action pour 2020 pour Coteau Raffin, avec les points suivants :

  • Établir une plateforme où toutes les vulnérabilités seront identifiées et résolues.
  • L’autonomisation de la communauté sur les nouvelles technologies.
  • Une formation sur la préparation aux situations d’urgence.
  • Distribution de vêtements chauds pour l’hiver (selon le financement disponible).
  • Distribution de matériel scolaire (ou du matériel de secours en cas de catastrophe).

 

Les promesses non-tenues sont légions

La cause première de l’état d’abandon de Coteau Raffin serait premièrement l’indifférence des politiques.

Saloni nous explique ainsi que « Les ministres expliquent qu’ils ne pas savent où se trouvent Coteau Raffin, mais avant les élections, ils arrivent à venir visiter les gens. Après les élections, quand nous sollicitons leur aide, ils nous ignorent sciemment et personne ne vient sur place pour constater la situation. »

Selon elle, avant les élections de 2019, les élus de la circonscription sont venus sur place et avaient promis qu’après les élections, des drains allaient être installés. « Avan election, ti dir pou avoy camion pour amene materiel. Ine ariv zordi, camion la so boute nou pane trouvé. »

Même son de cloche de Jino. Il explique qu’avant les élections, tous les candidats de la circonscription étaient venus les voir, mais après les élections, personne n’est venu leur rendre visite. « Avant élection, la tou kalité figire minis ek député ti pe trouvé, mais la kifer zot pas vini ?»

 

Neevedita Nundowah