Les conditions de vie dans les quartiers défavorisés de Maurice : Une situation qui nous interpelle tous

Depuis le viol d’une fillette de trois ans le 28 juin dernier à Cité Anoska, les conditions dans lesquelles vivent les enfants dans le cités sont revenues sur le tapis. Beaucoup de travailleurs sociaux déplorent en effet la situation dans laquelle vivent ces enfants, ainsi que leurs parents, dans ces quartiers touchés par la pauvreté. Ces enfants sont exposés à des fléaux tels que la drogue et l’alcool, et deviennent la proie facile des prédateurs sexuels et des réseaux de prostitution. Cette semaine dans notre dossier, nous abordons ce sujet épineux avec des travailleurs sociaux, qui nous donnent un aperçu sur les fléaux qui gangrènent ces poches de pauvreté depuis plusieurs années, et sur ce que proposent les ONG afin de mettre fin à ces problèmes de société.

 

Les enfants laissés à eux-mêmes

Le constat des travailleurs sociaux de différents endroits est le même. Ces derniers nous expliquent tous que dans plusieurs foyers, la violence domestique est au quotidien, ce qui a forcement un effet sur l’enfant.

« Les enfants sont négligés et à un moment donné, ils sont livrés à eux-mêmes », nous confie une travailleuse sociale. Ce phénomène s’accentue si les parents sont alcooliques ou s’ils sont sous l’emprise de la drogue.

Les enfants se laissent alors influencer par des amis, ou d’autres par de mauvaises fréquentations, ce qui les met en fin de compte dans le mauvais chemin.

Un problème pérenne de viol et de prostitution existe bel et bien dans la plupart des cités, selon les travailleurs sociaux, mais les gens préfèrent pudiquement regarder ailleurs au lieu de venir de l’avant.

Les dealers, proxénètes, voire les prédateurs sexuels, ont ainsi une source inépuisable de victimes.

L’éducation : la grande absente des cités

Une travailleuse sociale, B.R.A., qui est au service des habitants du sud-ouest du pays depuis plus de 10 ans, nous explique qu’après le problème des foyers brisés, le plus grand souci demeure le manque d’éducation dans les cités.

Les enfants vulnérables n’affichent pas une présence régulière à l’école. Dans certains cas, ce sont les parents qui n’ont pas les moyens de subvenir aux besoins de leurs enfants. Dans d’autres cas, les parents ont un penchant pour la bouteille ou pour la drogue. Ou encore, dans certains cas, les parents doivent travailler afin de subvenir aux besoins de la famille, mais doivent confier la garde des enfants en bas âge à un aîné, qui rate ainsi sa scolarité.

Notre interlocutrice estime toutefois que l’éducation, à la base, doit surtout commencer à la maison et dans la famille, par le biais des valeurs qui sont inculquées d’une génération à une autre.

Jessika (prénom fictif), une autre travailleuse sociale dans la région de Bambous, nous décrit quelques cas auxquels elle a eu affaire. Pour elle, il est clair que plusieurs parents des cités sont trop souvent prisonniers de l’alcool ou de la drogue. Elle nous explique : « Les matins, les parents ne se lèvent même pas pour s’occuper de leurs enfants. Ces enfants ne partent pas à l’école. Ils arpentent souvent pieds nus leur quartier pendant les heures d’école, à la recherche de quoi se mettre sous la dent. C’est de cette manière que les enfants finissent par sombrer dans les fléaux comme la drogue, ou bien deviennent les malheureuses victimes des prédateurs sexuels. »

Une autre travailleuse sociale, qui est dans le métier depuis 4 ans, met l’emphase sur le manque de communication entre les parents et les enfants. Selon elle, les parents et les enfants, dès leur plus jeune âge, doivent être en communication sur tous les sujets, pour éviter à ce que les enfants ne prennent le mauvais chemin.

Faudrait-il rétablir l’école de parentage ?

La travailleuse sociale B.R.A nous indique que dans le passé, il y avait l’école de parentage, qui inculquait aux parents des notions pour la protection de leurs enfants, mais hélas, cela ne se fait plus.

Mais elle note qu’il y a toujours des ONG qui viennent de l’avant pour des campagnes de sensibilisation pour les familles. Selon B.R.A, « Il faudrait reconsidérer s’il faudrait rétablir l’école des parents. Il y a toutefois un gros travail à faire dans ce domaine. »

Le chômage n’épargne personne dans le cités

Anushka Virahsawmy

 

 

 

 

 

 

 

Avec la pandémie de covid-19, beaucoup de gens ont perdu leur emploi, mais dans les poches de pauvreté, perdre son emploi ou être chômeur n’est pas quelque chose de nouveau.

La travailleuse sociale B.R.A., nous fait comprendre que nombre de ces habitants se fient beaucoup aux emplois dans le secteur de l’hôtellerie. D’autres, qui n’ont pas le niveau académique requis, sont contraints à faire des boulots comme maçon, peintre, ou pêcheur, entres autres. Des boulots qui ne paient pas bien ou qui sont à temps partiel ou qui ne sont pas stables. Or, quand ces gens n’ont pas de travail, ils noient leur souffrance dans l’alcool, ou tombent dans le fléau de la drogue.

Pour la directrice de Gender Links, Anushka Virahsawmy, il existe un vaste gouffre à Maurice entre ceux qui sont au bas de l’échelle sociale et les gens aisés. Cela donne lieu à une situation malsaine, où il est difficile pour ceux de la première catégorie de sortir de leur enfer.

Précarité du logement et promiscuité

La travailleuse sociale B.R.A note que le manque de logement adéquat est aussi un sérieux problème.

Beaucoup de familles, par faute de moyens, sont contraintes d’accommoder plusieurs personnes dans une seule pièce : les parents, parfois des proches, et les enfants. Cette promiscuité fait que des parents, ou d’autres adultes, ont un regard différent à l’égard des enfants. De l’autre côté, les enfants, étant curieux de nature, voient beaucoup de choses en étant dans la même pièce que les adultes.

Une représentante de l’ONG Caritas nous explique ainsi que ce gros problème résulte d’un manque de logement : « On met plusieurs membres d’une famille à problèmes dans un seul endroit. En outre, il n’y a pas d’accompagnement, en termes de programmes, pour montrer aux familles comment s’épanouir. Tout ceci contribue à l’accentuation des problèmes sociaux. » Selon cette représentante, c’est un projet de logement qu’il faudrait mettre en place avant tout.

La stigmatisation des cités

La représentante de Caritas met en avant un problème qui est assez grave, la stigmatisation des quartiers pauvres et son corollaire, la stigmatisation des personnes qui y vivent. Selon elle, cela empêche les gens de vivre normalement dans la société.

Ces gens reçoivent rarement un traitement équitable, et le regard des autres les rend encore plus vulnérables. « Il y a même des gens qui sont rejetés durant des entretiens d’embauche d’après l’endroit d’où ils sont issus », nous indique-t-elle.

Quant à Anushka Virahsawmy, elle pense qu’il est très important que les gens arrêtent de stigmatiser les cités de notre île, car les problèmes de société, y compris les fléaux touchent la société en entier, et non seulement les cités.

Un  travail de longue haleine pour remédier à ces problèmes

Selon la représentante de Caritas, les ONG seules ne peuvent pas tout faire, car il s’agit de problèmes qui touchent la société en entier. Selon elle, il faut d’abord voir les problèmes dans leur  ensemble, et ce n’est pas uniquement les ONG et la société civile qui peuvent fournir les solutions.

Elle estime que le rôle des parents est primordial pour le bon développement de l’enfant. L’école, de son côté, a son rôle à jouer, ainsi que la société dans son ensemble. Caritas estime aussi que les médias ont aussi un rôle important à jouer et pense qu’ils devraient de temps en temps se concentrer sur les aspects positifs des quartiers, ou de leurs habitants, au lieu de stigmatiser tout le temps.

« Il faut y avoir plus de consensus et de réflexions pour surmonter les problèmes ensemble. Il faut faire des études pour situer les problèmes et les demandes des familles. Des logements décents aussi peuvent aider à faire toute la différence. C’est un travail de longue haleine mais avec l’aide de tout un chacun, on peut changer beaucoup de choses », nous dit-elle.

Anushka Virahsawmy estime pour sa part qu’il y a beaucoup d’aspects qu’il faut prendre en considération, car les problèmes sont vastes. « Au niveau des ONG, il faut avoir une approche holistique pour tacler ces problèmes », explique-t-elle. « If not, we are losing the battle. »

Un autre aspect de cette approche : le besoin d’éduquer les gens sur les problèmes de société, selon Anushka Virahsawmy. En outre, les adultes doivent inculquer leurs valeurs de génération en génération, qui selon elle, ne se font plus maintenant. Selon la directrice de Gender Links, il y a tout un système  d’éducation qu’il faudrait mettre en place.

L’apathie des autorités

Une enseignante, qui compte 17 ans de carrière, nous explique qu’elle a travaillé avec plusieurs écoliers venant des quartiers pauvres. Elle a souvent rencontré des enfants qui essaient de survivre dans ces cités, ou elle a entendu des parents qui racontent comment ils vivent.

Selon l’enseignante, ces enfants font le tour de leur quartier pieds nus, cherchant de quoi à manger, ou bien mendient de l’argent, sur la demande des parents. Ils viennent à l’école avec les mêmes uniformes durant toute une semaine et il y a un gros problème d’hygiène. Souvent, ils n’ont rien à manger.

En tant qu’enseignante, elle s’est mise à effectuer plusieurs démarches pour ces écoliers. Elle a frappé à la porte de la Child Development Unit (CDU). Là, les officiers l’ont fait comprendre que c’est le travail du ministère de l’Éducation, non pas de la CDU.

L’enseignante entend continuer toutefois ses démarches, malgré les menaces qu’elle dit recevoir. Les rares fois que les inspecteurs du ministère de l’Éducation viennent dans les écoles des cités, leur réaction est choquante, nous décrit cette institutrice. « Les inspecteurs me disent : ‘Vous voulez un transfert, ou quoi ?’ », nous relate notre interlocutrice. Ils vont même lui demander de ne pas augmenter leur volume de travail : « Pas amen problem. Zenfant la pena mangé, li gagne maltraité, abé sa so zaffer ! »

L’enseignante nous affirme que dans 90 % des cas, c’est le genre de mentalité auquel elle a eu à faire face depuis 17 ans.

L’enseignante dit qu’elle a aussi envoyé des lettres à l’Ombudsperson for Children, pour demander un rendez-vous, mais il n’y a jamais eu de réponse.

La pauvreté a connu connait une augmentation ces 15 dernières années

Selon le rapport « Poverty Analysis 2017 » au cours des 23 ans écoulés, la proportion de ménages en situation de pauvreté a connu une augmentation générale. Le taux de pauvreté est passé de 8,7 % en 1996/97 à 7,7 % en 2001/02, puis de façon continue, a connu une augmentation au cours des 15 dernières années, soit 7,9 % en 2006/07, 9,4 % en 2012 et 9,6 % en 2017. En 2017, le nombre estimé de ménages dans la pauvreté était d’environ 36 500, environ 3 000 ménages supplémentaires par rapport à 2012.

De même, la proportion de personnes en situation de pauvreté relative est passée de 8,2 % en 1996/97 à 10,4 % en 2017, mais avec une baisse de 7,8 % en 2001/02. En 2017, le nombre estimé de personnes en situation de pauvreté relative a atteint 131 300, contre 122 700 en 2012 (voir Graphique ci-dessous).

Neevedita Nundowah