Les caméras de « Safe City : Quand ‘Big Brother’ fait peur à Maurice…

Vous avez sans doute lu le livre de George Orwell, 1984, où tous les citoyens d’une dictature étaient surveillés 24 sur 24 par un dictateur omniscient, connu comme ‘Big Brother’… Or, il semble qu’il commence à pointer le bout de son nez à Maurice ! La polémique enfle sur les caméras de Safe City. Si ce projet peut effectivement faire reculer la criminalité, il n’en demeure pas moins qu’il est un danger pour la vie privée et les libertés civiles. Notons que l’inauguration du Police Main Command & Control Centre est prévu pour demain (lundi 19 août). Il y a aussi la question du financement de Safe City (dont le coût est estimé à Rs 15-20 milliards) et l’allocation du contrat à Mauritius Telecom. Finalement, il y a les controverses entourant la firme chinoise Huawei, le fournisseur des caméras, accusée d’espionnage au niveau mondial

Les installations des caméras du projet Safe City ont repris depuis le lundi 5 août et s’achèveront le samedi 31 août pour huit endroits. Ces installations sont centrées dans les localités suivantes : Mare d’Albert, Union Park, Phoenix, Trianon, Mademoiselle Laure, Valentina, Forbach et Grand-Baie. Vers décembre 2019, toute l’île sera recouverte par le réseau de caméras.

Le leitmotiv du gouvernment : la confidentialité

Ce sujet est souvent à l’agenda lors des questions parlementaires, mais il faut noter qu’il reste toujours plusieurs questions sans réponse. Ainsi, les questions adressées au ministre Mentor, Sir Anerood Jugnauth, par le leader de l’Opposition étaient, on ne peut plus claires et simples, mais ont été sciemment esquivées par l’interéssé car selon SAJ, la confidentialité est de mise pour raisons de sécurité. Résultat : la population est toujours dans le flou, car le projet manque de transparence.

Huawei, une multinationale accusée d’espionnage sur le plan international

Huawei, qui est le fournissuer des caméras, serait un maillon important dans la surveillance de 1.4 milliards de Chinois, l’oppression d’opposants politiques et la persécution des minorités par le Parti communiste chinois. Alors, la question se pose : comment peut-on faire confiance à un telle compagnie ?

Les services de renseignement américains soupçonnent depuis longtemps Huawei d’être financée par les services de sécurité chinois, et de vouloir installer des outils de surveillance électronique directement au cœur de ses équipements.

Les États-Unis avaient annoncé vers avril 2019 des sanctions très fortes visant le géant chinois. Les entreprises américaines ne peuvent désormais plus collaborer avec ce groupe, et Google a annoncé qu’il ne lui fournirait plus son système d’exploitation Android.

Parallèlement, un autre article de The Epoch Times, publié le 3 janvier 2019, avait fait ressortir que la directrice financière de la compagnie chinoise, Meng Wanzhou qui a joué plusieurs rôles importants au sein de China Skynet, avait été arrêtée au Canada, pour espionnage.

Mais ce qui est clair, c’est que c’est l’État mauricien qui a choisi comme partenaire Huawei, qui a quelque peu grandiosement intitulé le projet « Building a Safe Mauritius, the Inspiration For Heaven ».

Allocation du contrat à Mauritius Telecom

En ce qui concerne l’allocation du contrat à Mauritius Telecom, il y aura le problématique d’une compagnie partiellement privée qui travaillerait en collaboration avec une entité publique, notamment la force policière. Cette affaire a bien été soulevée à l’Assemblé nationale par le parlementaire travailliste Osman Mahomed, mais le ministre Mentor a joué une fois de plus sur la carte de la confidentialité.

La question se pose : si Mauritius Telecom, une entité privée, a pu être choisie pour ce projet, pourquoi pas les autres compagnies de communication, telle qu’Emtel ou encore MTML ? À quelque mois de la fin de l’installation des caméras, la question est toujours d’actualité, quels sont les critères pris en considération pour le choix de Mauritius Telecom comme l’entrepreneur du projet ?

L’empiètement sur la vie privée et les libertés civiles

Questionné sur le positionnement des caméras le 21 mai, le ministre Mentor, Sir Anerood Jugnauth avait déclaré que ce serait le Commissaire de police, Mario Nobin, qui aura la responsabilité du positionnement des caméras. Dès lors, la question des libertés civiles revient sur le tapis. Car il ne faut pas oublier que les caméras peuvent même filmer ce qui se passe dans votre cour, ou même à l’intérieur de votre chambre ! Y a-t-il là un certain voyeurisme ? En effet, bon nombre de Mauriciens se sont plaints que les caméras voient même à l’intérieur de leurs maisons, et une fois dehors, ils ne se sentent plus libres. En tout cas, il mieux vaut installer des rideaux bien épais !

Un autre point important à faire ressortir : est-ce que ces caméras seront utilisées à d’autres fins, en dehors de la poursuite des criminels ou d’un usage sécuritaire. Par exemple, on pourra suivre les mouvements des journalistes ou d’autres politiciens.

Il ne faut pas oublier que ce sont des caméras équipées avec des logiciels permettant la ‘facial recognition’, ce qui est dangereux. Ainsi, ces caméras pourront suivre des personnalités qui sont déjà enregistrées dans une banque centrale de données. Les caméras peuvent même retracer les plaques d’immatriculation.

Ce qui fait craindre le pire : cette surveillance ne serait pas considérée comme un délit, car elle a été exemptée des protections offertes par la Data Protection Act. Aux États-Unis, pour traquer un criminel, il est important d’avoir un ordre de la cour. Mais à Maurice, vu que Safe City ne tombe pas sous la Data Protection Act, si les images provenant des caméras sont mal utilisées, ce ne sera pas considéré comme un délit.

Xavier-Luc Duval : « Le projet ‘Safe City’ opère dans un vacuum juridique »

Nous avons sollicité l’avis du leader de l’Opposition, Xavier-Luc Duval. Ce dernier nous explique que le problème avec le projet Safe City, c’est qu’il opère dans un « vacuum juridique ». Le projet est en effet exempté des protections sous le Data Protection Act (DPA), qui protège le public sur l’utilisation de certaines données confidentielles des citoyens.

« Nous avons déjà le NSS, qui a un rôle purement politique. Cette unité surveille de près les actions des journalistes et des politiciens. Avec les caméras de Safe City, les choses seront plus aisées pour le gouvernement : on pourra les utiliser pour recueillir des informations sur qui que ce soit. Ces équipements sont donc des moyens pour renforcer la surveillance sur la population », nous explique-t-il.

Ce projet de caméras de surveillance est bel et bien un projet de l’ancien régime. Des caméras avaient été placées dans les endroits tels que Flic-en-Flac et Quatre-Bornes, mais c’étaient des caméras sans la capacité de ‘facial recognition’, et elles tombaient sous la Data Protection Act. Donc, les policiers devaient suivre le ‘Code of Practice’ de la Data Protection Act, ce qui n’est pas le cas pour les caméras de Safe City.

 « Je pense qu’il y aura forcément des abus de la part du gouvernement, voire des policiers », nous affirme Xavier-Luc Duval. Sur la question si les policiers sont assez compétents pour assumer cette responsabilité, le leader de l’opposition pense qu’il y a des policiers capables. Mais ce qui pourrait faire basculer les choses : les policiers pourront être tentés, ou bien pourront recevoir des instructions du Commissaire de police pour avoir des informations, ou encore Huawei pourra elle-même demander des renseignements

Huawei est-elle un danger à Maurice ?

.« Pour moi, le danger est plus du côté du gouvernement et de la police » , nous dit Xavier-Luc Duval. « Si Huawei a vraiment accès à ces images des caméras, on pourra avoir des photos compromettantes des ministres, ce qui pourra déboucher sur des chantages avec les politiciens. On peut voir que Huawei a offert à plusieurs gouvernements un ‘no-spy agreement’ pour garantir qu’ils n’utiliseront pas ces caméras à des fins d’espionnage, mais je ne suis pas au courant si Maurice est détenteur de ce ‘no-spy agreement’ », conclut le leader de l’Opposition.

 

Neevedita Nundowah