Les 120 ans de la naissance de Sir Seewoosagur Ramgoolam : Un être exceptionnel qui restera à jamais gravé dans l’histoire de Maurice

 

Ce 18 septembre fait exactement 120 ans que Sir Seewoosagur Ramgoolam, le Père de la Nation,  vit le jour à Belle-Rive, dans l’Est de Maurice. Ce fut lui qui, avec d’autres tribuns, se fit le chantre de l’Indépendance mauricienne auprès des Britanniques. Ce fut aussi lui qui s’assura de la mise en place des institutions démocratiques à Maurice, et qui consolida l’État providence, notamment l’éducation secondaire gratuite. Quelques lignes ne peuvent faire justice à ce grand tribun, mais nous profitons de l’occasion pour inviter les jeunes découvrir celui qui enfanta la nation mauricienne, non sans douleur, et pour ceux qui ont connu cette période, une petite virée au cœur de l’histoire mauricienne.

Né en septembre 1900, dans un milieu très modeste à Belle-Rive, Sir Seewoosagur Ramgoolam (SSR) devint une des figures les plus marquantes du 20e siècle à Maurice. Leader du Parti travailliste à partir de 1956, Chef-ministre en 1961, Premier en 1965 puis Premier ministre de 1968 à 1982, SSR apporta une contribution majeure dans l’accession et la transition sans heurts majeurs du pays à l’indépendance nationale. Homme de grande vision, profondément attaché à l’unité nationale et à la protection des plus modestes, SSR assura avec difficulté mais ténacité la mise en place progressive de l’État mauricien dans sa forme actuelle et de ses institutions, assurant au pays la santé, l’éducation et la sécurité sociale gratuites. Il accomplit tout cela dans le cadre d’un ‘Welfare State’ prenant en compte les besoins des plus faibles et œuvrant constamment pour une paix sociale fragile mais essentielle.

SSR est celui qui a servi le plus longtemps comme chef de gouvernement mauricien. Il s’évertua, au milieu d’innombrables critiques, à mettre en place un cadre démocratique acceptable, à faire cohabiter divers intérêts économiques, politiques et ethniques compliqués, à réconcilier un pays profondément divisé par la perspective de l’indépendance et à instaurer un système d’économie mixte (secteur privé et État) fonctionnel dans le cadre d’un socialisme modéré. À de nombreux points de vue, son style et ses convictions politiques posèrent les jalons d’une île Maurice postcoloniale relativement harmonieuse.

Sir Seewoosagur fut issu d’une famille aux origines très humbles, et son enfance n’était pas du tout facile. À l’âge de sept ans, il perdit son père. À douze ans, il subit un grave accident dans une étable qui lui a coûté son œil gauche. Avec moult efforts, SSR finit par étudier au Collège Royal de Curepipe puis fit des études en médecine en Grande-Bretagne, où il passa 12 ans, rencontrant de nombreux dirigeants politiques (dont le Mahatma Gandhi qui se battait pour l’indépendance de l’Inde), où il va s’inspirer du socialisme britannique modéré. Ses rencontres avec des pauvres et la mort de sa mère l’ont inspiré à aider ceux qui étaient moins chanceux que lui, et ces expériences ont eu une profonde influence sur sa vie.

L’action marquante de la carrière de SSR : sa motion pour l’indépendance

Le 22 août 1967, Sir Seewoosagur Ramgoolam, secondé par son adjoint au PTr, Guy Forget, présente devant l’Assemblée législative sa motion pour l’indépendance du pays. Sa motion se résuma ainsi: « The expression of the collective will of the people of Mauritius as expressed at the recent elections […] to become an independent State within the Commonwealth and thus take its rightful place among the free nations of the world. »

La nouvelle Constitution du pays est proclamée le 4 mars 1968. Maurice ne devint officiellement indépendant que le 12 mars 1968.

La route vers l’Indépendance

Rentré à Maurice dans les années 30, après ses études en Grande-Bretagne, SSR s’intéressa très tôt à la politique mais ne se joignit pas au Parti travailliste avant la fin des années 40. Élu au Conseil municipal de Port-Louis en 1940, puis nommé jusqu’en 1948 au Conseil législatif par l’administration coloniale (qui voyait en lui un futur leader politique), Dr Seewoosagur Ramgoolam se fit élire dans le Nord en 1948, puis réélire en 1953, avant de prendre la direction du groupe parlementaire du Parti travailliste, animé par Guy Rozemont. À la mort de ce dernier, Ramgoolam devint le dirigeant incontesté du parti, rassemblant autour de lui de grands tribuns de la gauche mauricienne (Veerasamy Ringadoo, Satcam Boolell, Harold Walter, Guy Forget, Renganaden Seeneevassen, Raymond Rault) pour faire du PTr le fer de lance de la revendication indépendantiste et le bras politique de la communauté hindoue.

Attaqué sans répit par les opposants de l’indépendance, présenté par le PMSD et les Conservateurs comme un dangereux « communiste et communaliste », Seewoosagur Ramgoolam conclut une alliance politique avec le Comité d’action musulman (CAM) de Sir Abdool Razack Mohamed et associant in extremis Sookdeo Bissoondoyal (de l’Independent Forward Block, IFB) à son combat pour l’indépendance. Le Royaume-Uni accepta finalement la revendication de l’indépendance, après la victoire de l’’alliance PTr/IFB/CAM lors des élections de 1967 et SSR devint le premier Premier ministre du pays.

Jocelyn Chan Low, historien 

« SSR était un chef d’État exceptionnel »

L’historien Jocelyn Chan Low nous explique qu’à l’époque, en 1970, il était étudiant, et comme tous les étudiants des années 70, il était politiquement très à gauche, ce qui le plaçait comme un adversaire du régime travailliste. Il se situait comme ‘révolutionnaire’ mais avec le temps, après avoir complété ses études et en tant qu’historien, il a eu plus d’admiration pour SSR. Le déclic est venu quand Jocelyn Chan Low, lors de ses études en Angleterre, faisait des recherches sur l’independence. « C’est là que j’ai réalisé que SSR était une personne et un chef d’État exceptionnel. »

Sir Seewoosagur Ramgoolam voulait l’avancement de Maurice dans le consensus. Il n’était pas un être qui prônait la confrontation. SSR comprenait que Maurice était à l’époque un pays difficile à gérer, surtout avec les crises économiques qui rendaient le pays plus vulnérable à l’époque.

Jocelyn Chan Low note que SSR a joué un rôle important dans l’exportation et la vente de notre sucre. SSR avait compris le rôle que la France pouvait jouer pour notre pays. De ce fait, il a rencontré le président français Charles de Gaulle. C’est là que Maurice a commencé à avoir accès au Marché Commun, ce qui a beaucoup aidé notre économie. « La diplomatie de Ramgoolam avait joué un rôle très important pour le pays. »

Sur le plan politique local, Jocelyn Chan Low mentionne que le Père de la Nation, avec beaucoup de respect envers ses adversaires politiques, était un homme de dialogue qui s’est toujours battu pour le ‘Welfare State’. Et SSR croyait beaucoup à l’éducation, dont les réalisations de Ramgoolam sont immenses. « Maurice a eu de la chance d’avoir eu un Père de la Nation comme lui », résume l’historien.

En ce qui concerne l’éducation et les services de santé gratuits, Jocelyn Chan Low fait comprendre que l’éducation primaire était déjà gratuite, mais SSR avait fait provision pour l’éducation gratuite au niveau du secondaire. Il explique que les services de santé étaient aussi gratuits, établis sous l’administration coloniale britannique. SSR a toutefois consolidé le ‘Welfare State’. Il a fait cela par conviction, car il était un socialiste modéré qui n’a jamais voulu nationaliser les banques ou autres entreprises. La vision de SSR pour Maurice : qu’aucun groupe ne soit exclu de la société. « Aujourd’hui, SSR appartient aux historiens. Il a été un véritable chef d’État, et un symbole de la nation mauricienne, donc il ne faut pas politiser SSR. » 

L’historien a conclu en disant que si l’éducation n’était pas gratuite au  niveau du secondaire, les filles n’auraient jamais eu la chance à l’éducation. Or, c’est cela qui a contribué à l’émancipation  de la femme mauricienne. « Avant, on disait que les garçons étaient premiers lots et les filles deuxièmes lots. Quand il fallait payer les frais scolaires, c’étaient pour les garçons que les parents acceptaient de payer. Il y avait beaucoup de problèmes quand les femmes peu éduquées étaient soumises à leurs maris. C’est donc là une contribution très importante que Sir Seewoosagur Ramgoolam a apportée dans le pays.

Le leadership de Sir Seewoosagur Ramgoolam : la stature d’un géant

Journaliste et observateur politique, Lindsay Rivière a dressé une analyse de Sir Seewoosagur Ramgoolam, en faisant ressortir son engagement dans la politique. En ses termes : « Un petit résumé de SSR qui aidera  les jeunes à mieux connaitre la contribution de ce dernier à l’Histoire de l’Ile Maurice. »

Son leadership fut marqué par de grandes avancées sociales, dans l’esprit même du ‘Welfare State’ (santé et éducation primaire gratuites pour tous, éducation secondaire gratuite en 1976 – sans doute sa plus grande réalisation, pension de vieillesse et d’invalidité, subventions sur les denrées essentielles, logement social, mise en place de toutes les structures d’un État indépendant, avec le début des corps parapublics, collaboration État-secteur privé etc). « Il accomplit tout cela dans le cadre d’un ‘Welfare State’ prenant en compte les besoins des plus faibles et œuvrant constamment pour une paix sociale fragile mais essentielle », explique Lindsay Rivière

SSR plaça aussi Maurice sur la carte du monde, par l’adhésion du pays à l’ONU, aux forums africains et tiers-mondistes. Il fut un des premiers leaders au monde à reconnaitre la Chine communiste de Mao Tse Toung, développa des liens privilégiés avec la France et le Marché commun européen et devint Président de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1976. Maurice, sous sa direction, négocia les accords économiques Afrique-CEE, et jeta avec son adversaire de 1968 mais ami, Sir Gaëtan Duval (avec lequel il fit une coalition), les bases de l’industrialisation et du tourisme. Il instaura aussi l’État d’urgence entre 1971 et 1975 face à la poussée du MMM, se maintint de justesse au pouvoir en 1976 grâce au PMSD et insista, en 1982, pour mener le gouvernement aux élections à l’âge avancé de 82 ans. Cette décision et l’usure du pouvoir lui furent fatales : il fut humilié par un 60-0 retentissant remporté par l’alliance MMM/PSM.

En conclusion, l’observateur politique, Lindsay Rivière estime que « Sans l’humanisme, la modération et l’attachement de SSR à l’unité et au socialisme modéré, Maurice ne serait sans doute pas le pays qu’on connait aujourd’hui et, malgré certains manquements, l’île Maurice lui doit énormément pour la transition vers l’indépendance et une certaine stabilité politique et socio-économique. Chacun reconnait aujourd’hui en SSR le ‘Père de l’indépendance’ mauricienne – et non sans raison. »

Neevedita Nundowah