L’entrée en opération de la nouvelle Cour Suprême :  Symbole d’une justice plus moderne… ou est-ce le même vieux système dans une tour d’ivoire ?

 

À partir du lundi 7 septembre, le nouvel immeuble de la Cour suprême est devenu opérationnel. Ainsi, après plus de deux siècles, la Cour suprême change de locaux, passant de l’ancien palais de justice sis à la rue Pope Hennessy à un immeuble flambant neuf à la rue Edith Cavell. En outre, du côté des décideurs, il semble qu’il y ait une certaine volonté de dépoussiérer le fonctionnement de la justice elle-même. Nous avons fait le point de la question avec deux avocats et un avoué, qui se montrent toutefois plus réservés et circonspects.

Le chef-juge, Asraf Caunhye, devait récemment expliquer que l’ancienne cour n’était plus appropriée pour le contexte actuel. Selon lui, avec la nouvelle cour ultramoderne, comprenant 24 salles d’audience, les procès seront traités avec plus de célérité. De son côté, lors d’une déclaration à la presse ce lundi 7 septembre, Me Satyajeet Boolell, le Directeur des poursuites publiques (DPP), a exprimé le souhait d’une refonte du Code pénal, qui date des années 1810. En outre, Judicial and Legal Services Commission (JLSC) vient de nommer cinq nouveaux juges, une première dans les annales de Maurice. Tout ceci semble indiquer une volonté de moderniser non seulement l’infrastructure de la justice, mais aussi son fonctionnement, pour qu’elle soit plus accessible et plus équitable.

Toutefois, on peut aussi craindre qu’il ne s’agit que de discours de circonstances, et que les choses ne vont retomber dans la torpeur bien connue de la justice. « It’s business as usual », comme nous le fait remarquer Me Siddharta Hawoldar, un de nos interlocuteurs pour ce dossier. Me Rama Valayden lui, attire l’attention que plusieurs ‘major areas’ de la justice sont toujours cruellement en attente de réformes, comme le système de la détention provisoire. Dans ce contexte, on peut aussi penser au système inique du ‘Sale By Levy’, une plaie au sein de notre judiciaire, et qui perdure depuis des lustres.

Espérons qu’il ne s’agit pas là d’une tour d’ivoire, où les serviteurs de la justice seront encore plus inaccessibles des justiciables.

Une infrastructure impressionante

Le nouvel immeuble abritera sous un même toit toutes les instances de la Cour suprême, à savoir les tribunaux civils, la Cour d’assises, la Cour commerciale, la Cour familiale, le service de médiation, les bureaux des juges ainsi que les services administratifs.

Comprenant 12 étages, l’immeuble compte 24 salles d’audience avec un équipement dernier cri pour permettre une justice plus efficiente.

Rama Valayden, avocat : « Vitesse ne rime pas nécessairement avec justice »

rama_valaydenRama Valayden, avocat, admet qu’il y a une meilleure infrastructure, mais ne déborde pas d’enthousiasme. « Il y a maintenant plus de juges et plus de salles d’audience, mais le système en soi n’a pas changé », nous dit-il d’emblée. « Avec un immeuble neuf, les Mauriciens sont subjugués le premier jour, mais ne trouvent pas l’imperfection qui se trouve plus loin », dit-il.

Est-ce que ce changement va assurer que les affaires sont écoutées plus rapidement ? Il estime que cela va dépendre, d’abord de la nature des affaires, des témoins et des suivis. Mais Rama Valayden croit qu’il y aura peut-être une baisse en ce qui concerne le nombre d’années d’attente.

Selon l’avocat, depuis des années, nous avons été témoins d’affaires qui ont été traitées de façon plus rapide devant la Cour suprême, notamment par la création des cours spécialisées formant partie de cette instance, comme la Cour commerciale et la Cour familiale, et bientôt la ‘Land Court’ pour le droit foncier. Et dans beaucoup de ces changements, il faut voir la griffe de Rama Valayden, cela depuis qu’il avait occupé le poste d’Attorney-General. « L’attente est en général moins longue », résume-t-il.

« Mais vitesse ne rime pas nécessairement avec justice », met-il en garde. C’est dans les pays totalitaires que la justice est dispensée très rapidement, tels que la Chine et la Corée du Nord. « Donc, il faut faire très attention. La justice expéditive ne reflète la justice », fait ressortir Rama Valayden.

Il explique que le système judiciaire ne peut être réformé en un seul jour mais les changements doivent être appliqués en permanence.

Il remet aussi en cause le support administratif des procès en cour. Par exemple, il y a juste une petite poignée de dactylographes (‘typists’), ce qui ne va pas faire avancer les choses. Il faut plus d’effectifs. Quand le nombre de juges a été augmenté,  il aurait fallu de l’autre côté augmenter le personnel de soutien pour que le service soit rapide. Il demande aussi une meilleure formation des huissiers et des greffiers.

Il confie que le judiciaire joue un rôle très important mais la dotation budgétaire consacré à cet item est moins d’un pourcent du total.

Selon lui, il y a un domaine qui n’a pas été adressé sur le fond : la détention provisoire, et l’institution responsable de cet élément de notre système de justice, la ‘Bail & Remand Court’. « La liberté individuelle compte parmi les plus grands acquis de l’ile Maurice, mais les gens qui sont arrêtés et sur qui pèsent des charges graves ou moins graves ne retrouvent pas la liberté conditionnelle facilement. C’est pour cette raison que les prisons de Maurice sont remplis de gens qui n’ont pas été condamnés par une cour de justice, ce qui peut être dangereux à l’avenir », affirme-t-il.

Me Siddhartha Hawoldar, avocat : « It’s business as usual… »

siddhartha_hawoldarNous avons aussi sollicité Me Siddhartha Hawoldar, qui compte plusieurs années comme avocat. Est-ce que le nouveau immeuble de la Cour suprême pourra amener un changement, pour une justice plus efficace, par rapport à la lenteur des procès devant cette instance ?

Il nous explique que le changement de lieu de la Cour suprême, dans un nouvel immeuble voudra bien sûr dire des salles d’audience plus modernes, avec beaucoup plus de nouvelles technologies, mais il ne croit pas que cela aura un impact significatif sur la lenteur ou la rapidité des affaires prises en Cour suprême. L’expédition des procès dépend de plusieurs facteurs, qu’on ne peut changer, comme par exemple les renvois, nous fait-il comprendre.

En tant qu’avocat, il aime les nouveaux moyens technologiques présents dans le nouvel immeuble, surtout quand il y a des auditions et des plaidoiries. Les procès pourront se dérouler de façon plus rapide, car tout est enregistré et digitalisé, ce qui est un net avantage.

Toutefois, malgré le nouveau palais de justice, avec tous ses moyens modernes, ce sera essentiellement  le « Business as usual », nous fait comprendre Me Hawoldar, car la cour va continuer de fonctionner selon les mêmes procédures et usages.

Me Pazhany Rangasamy, avoué : « Ce n’est pas parce qu’une cour de justice est grande, jolie et luxueuse qu’il y aura de meilleurs jugements ! »

RANGASAMY-PazhanyPazhany Rangasamy, avoué, jette un regard assez critique sur la nouvelle cour de justice. « Ce n’est pas parce qu’une une cour de justice est grande, jolie et luxueuse qu’il y aura de meilleurs jugements ! », nous dit l’homme de loi.

Dans le contexte actuel, les justiciables veulent une justice plus équitable, nous dit-il. Or, la lenteur de la justice est un gros problème. Il y a eu plusieurs cas qui ont tellement traîné en cour qu’ils ont dû être abandonnés car ils n’étaient plus des ‘live issues’, n’ayant plus de raison d’être.

Toutefois, avec les cinq nouveaux juges qui ont été nommés, il se dit confiant que cela pourrait éventuellement aider pour faire bouger les choses plus rapidement, en diminuant la charge de travail des autres juges de la Cour suprême.

Quelques problèmes que pose la nouvelle cour

  • Auparavant, les hommes de loi trouvaient fort commodes la proximité entre la Cour intermédiaire et l’ancienne Cour suprême, mais maintenant, c’est chose du passé, ce que plusieurs avoués et avocats disent regretter.
  • En ce qui concerne l’ancienne cour de justice, les hommes de loi avait facilement accès pour rencontrer les secrétaires des juges, ce qui ne sera plus le cas avec le nouvel immeuble, où les secrétaires sont maintenant dans les bureaux annexes à ceux des juges.
  • Il apparait aussi que la caisse de la Cour suprême se trouve toujours dans l’ancienne cour, tandis que les secrétaires se trouvent dans la nouvelle cour. Or, pour que les avoués puissent loger des affaires en cour, ils doivent se rendre dans la nouvelle cour pour rencontrer les secrétaires, et se rendre à la caisse se trouvant dans l’ancienne cour. Et les avoués doivent faire cela plusieurs fois en une journée, ce qui n’est pas évident.
  • En outre, la ‘Masters Court’ est restée dans l’ancien palais de justice, ce qui peut poser problème pour les hommes de loi et leur personnel.

Que va-t-il arriver à la vieille dame de la rue Pope Hennessy ?

Les hommes de loi qui ont connu assidûment l’ancienne Cour suprême et autres nostalgiques du vieux Port-Louis n’ont pu se retenir de verser une petite larme pour cet ancien palais de justice. Car avec le transfert de la Cour suprême, c’est tout un pan de notre histoire qui s’en va…

Il faut savoir que cette ancienne cour de justice a été bâtie du temps de la colonisation française, et date de 1780. L’instance qui y siégeait était connue comme le Conseil supérieur de l’Isle-de-France. Avec la colonisation britannique qui s’ensuivit, elle prit le nom de ‘Supreme Court of Mauritius’ en 1850.

C’est dans ce rectangle qu’ont eu lieu tous les grands procès historiques de Maurice. C’est ici que les plus grands juges de Maurice ont rendu leurs jugements, parfois d’une portée historique. C’est ici que les plus grands ténors du barreau mauricien ont déclamé leurs plus belles plaidoiries. C’est ici que la Cour d’assises a jugé, pendant plus de deux siècles, les crimes les plus graves qui se sont déroulés à Maurice…

Selon une information, il se pourrait que la Cour d’appel continue de siéger dans ces locaux.

Me Siddhartha Hawoldar, qui a connu quelques belles joutes en ces lieux nous confie : « Moi, je suis un romantique. Je continuerais de penser à la vieille Cour suprême, jolie et glorieuse.. Son architecture et ses boiseries massives vont me manquer. Nous avons quitté notre cour traditionnelle pour une cour moderne. Moderne certes, mais il y a quelque chose qui manque, en ce qui concerne les aspects traditionnellement associés avec les cours de justice. » 

Neevedita Nundowah