Le Speaker a-t-il dépassé les bornes ?

Le leader de l’Opposition, Arvin Boolell, a été suspendu pour deux séances à l’Assemblée Nationale le vendredi 28 février, après de vifs échanges entre lui et le Speaker, Sooroojdev Phokeer, qui a surpris toute la population par ses vitupérations. On a eu droit à un walk-out de la part de tous les membres de l’Opposition, qui déplorent le manque d’impartialité du Speaker. Entretemps, la prochaine séance parlementaire a été ajournée pour le lundi 2 mars, où il n’y aura pas de PNQ. Nous avons consulté deux juristes et un ancien Speaker, qui nous explique que Sooroojdev Phokeer ne fait pas honneur à son poste constitutionnel.

La fronde de l’Opposition

Paul Bérenger, lors de sa conférence de presse, a exprimé sa solidarité envers le leader de l’Opposition et a fait ressortir que les membres du MMM ne seront pas présents demain, lundi 2 mars, au parlement. Le leader des mauves a aussi commenté la façon d’agir du Speaker en disant qu’il est pire que l’ancienne Speaker Maya Hanoomanjee.

Navin Ramgoolam pour sa part, pense que c’est pour éviter la PNQ sur la FATF (Financial Action Task Force), où Maurice se retrouve sur la liste grise entourant le blanchiment d’argent, qu’Arvin Boolell a été suspendu pour deux séances.

Parallèlement, Patrice Armance, député du PMSD a annoncé sur sa page Facebook que le PMSD sera aussi solidaire avec Arvin Boolell et ne sera pas présent pour la prochaine séance.

Réactions

Milan Meetarbhan : « Le calendrier parlementaire actuel ne permet pas ‘l’accountability’ du gouvernement envers le parlement »

Milan Meetarbhan nous explique que le respect pour la présidence de l’Assemblée nationale ne peut être imposé par la loi. « Le respect se mérite », nous dit-il. Il incombe à celui ou celle qui occupe la présidence de mériter le respect des parlementaires de par sa conduite exemplaire, sa neutralité et son engagement à protéger les droits de la minorité parlementaire. Punir au pénal celui qui manque de respect pour le Speaker qui ne le mérite pas est une aberration.

Le fait que le régime évite à tout prix que le parlement se réunisse un mardi afin que des élus ne puissent poser des questions aux ministres est aussi révélateur de l’état de notre démocratie. « Accountability of the executive to the legislative arm of government is the cornerstone of a parliamentary system like ours”, affirme le juriste. Or, le calendrier parlementaire actuel ne permet pas que le gouvernement rend des comptes envers le parlement.

Alors que la remarque « mille fois Maya » commence à circuler parmi les parlementaires, le juriste a un avis différent : « Je ne pense pas qu’il est nécessaire de comparer un speaker à un autre. Les deux speakers nommés depuis 2015 sont tous les deux issus du même clan familial. On pourrait dire qu’ils partagent les mêmes valeurs. »

En ce qui est du viol de la démocratie Parlementaire, l’avocat confie son désarroi : « Quand on entend celui qui occupe le poste de Premier ministre dire qu’il ne souhaite pas convoquer le parlement quand il est absent du pays, on se demande s’il s’agit de fake news. » Malgré tous les évènements dont les Mauriciens ont été témoins ces dernières années, ils se disent quand même qu’aucun dirigeant politique n’oserait dire une chose pareille. Mais pourtant, cela est bien arrivé. Que les séances du parlement mauricien soient, ou devront être, tributaires de la présence ou de l’absence d’un individu interpelle les Mauriciens, qui s’interrogent sur l’état de notre démocratie et le fonctionnement de nos institutions.

Alors que l’on parle de renouveau dans la classe politique, il faut malheureusement reconnaître que le discours de certains nouveaux élus n’a absolument rien de nouveau et parfois il s’agit d’une version encore plus médiocre des moins bons discours du passé. L’opportunisme politique de certains « nouveaux » qui ont changé de camp au dernier moment et qui sont aujourd’hui les défenseurs les plus zélés de leurs nouveaux maîtres à penser, est triste à voir, selon Milan Meetarbhan.

Rajen Narsinghen : « Si Phokeer ne fait pas attention, il pourrait être pire que son prédécesseur »

Selon ce conférencier en droit, le rôle principal du Speaker est de présider les séances de l’Assemblée nationale conformément aux dispositions de la Constitution et des ‘Standing Orders’, tout en puisant dans Erskine May, la bible des parlementaires.

Le Speaker peut rappeler à l’ordre des parlementaires, voire les expulser pour faute grave. « Toutefois, le pouvoir d’expulser doit être utilisé avec retenue et de manière judicieuse, faute de quoi nous transformons la démocratie parlementaire en farce. Le Speaker doit démontrer sa neutralité et son impartialité », résume-t-il.

 « Il est vrai que Phokeer doit maintenir la dignité et le décorum de la chambre, mais il ne devrait pas crier comme un troupier. Même si les membres de l’opposition se sont comportés comme on le prétend, il ne peut pas utiliser autant de cris. Il traumatisera les enfants et repoussera les jeunes qui veulent se lancer en politique. Sa réaction n’est pas proportionnée à l’inconduite présumée de certains parlementaires », nous dit Rajen Narsinghen.

Quelle comparaison fait-il avec Maya Hanoomanjee ? « Maya Hanoomanjee ne comprenait pas les fondements philosophiques du système de Westminster et l’esprit de la Constitution, mais si Sooroojdev Phokeer, juriste de formation, ne fait pas attention, il pourrait être pire que son prédécesseur », nous dit-il.

Il plaide pour que les Speakers aient une connaissance approfondie des dispositions de la Constitution et des ‘Standing Orders’ de l’Assemblée nationale.

Depuis 2014, les Speakers ont cessé de prendre leur distance de la majorité politique, constate-il. « Cet amendement de 1996 à la Constitution autorisant une personne extérieure à devenir Speaker était peut-être chargé de bonnes intentions. Malheureusement, plus tard, la raison d’être de cet amendement a été détournée », dit-il.

Ajay Daby, ancien Speaker, de 1982-1992 : « Que le Speaker sache garder son calme ! »

Selon cet ancien Speaker, il faut aussi qu’un Speaker garde son calme durant les séances parlementaires. Il explique que la situation est déjà tendue car on est en pleine contestation électorale. Pour lui, la Constitution a prévu que même s’il y a contestation des parlementaires, la légitimité des activités parlementaires n’est pas remise en question.

Là où le bât blesse, selon Ajay Daby, c’est aussi la limitation des questions parlementaires, qui est une source d’instabilité et de provocation.

Neevedita Nundowah