État providence et population vieillissante
C’est un fait qu’à Maurice, nous faisons face à une population vieillissante. Qui dit vieillir dit retraite, et qui dit retraite, dit incontestablement pension. Le gouvernement actuel, et ceux qui suivront dans les prochaines années, se retrouvent avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête, en ce qui concerne le paiement des pensions et d’autres allocations sociales. Outre la pension de vieillesse, les autres pensions, telles que la celle des veuves, celle des invalides et des orphelins, sont aussi concernées par une hausse des bénéficiaires. Le point sur la question.
Marwan Dawood
Une véritable bombe à retardement qui s’annonce à l’horizon. La demande grandissante à Maurice concernant les pensions se présente comme un véritable casse-tête pour les dirigeants du pays. Cibler ou repousser l’âge de la retraite ? Pour le moment, ces deux options sont les seules qui sont évoquées. Mais depuis quelques semaines déjà, le gouvernement actuel semble avoir abandonné l’idée d’un ciblage de la pension à Maurice. En effet, depuis 1976 et l’introduction du National Pension Scheme, les Mauriciens jouissent d’une pension une fois l’âge de la retraite atteint, qui, valeur du jour, est toujours à 60 ans.
Remontons à 2016. Deux ans déjà depuis que le Premier ministre, Pravind Jugnauth, avait annoncé l’institution d’un High Level Committee pour se pencher sur les implications d’une réforme du système de retraite, comme préconisé par le Fonds monétaire international (FMI) en 2015. La montagne qui n’a accouché de… rien. En effet, rien de concret n’est ressorti de ce comité. Pour le moment, le gouvernement ne serait pas en présence d’un rapport officiel qui recommanderait l’extension de l’âge de la retraite ou encore l’instauration d’un système de ciblage.
La situation en chiffres
En juin 2018, Maurice comptait 208 949 bénéficiaires de la pension de vieillesse, soit environ 15 % de la population de l’île. La tranche d’âge 60-89 comporte le plus grand nombre de pensionnaires, comme il fallait s’y attendre : ils sont au nombre de 204 851. Concernant la tranche d’âge de de 90 à 99 ans, ils sont au nombre de 3 949. Par ailleurs, 149 centenaires touchaient la somme de Rs 20 810 mensuellement.
Déjà, le ministère de la Sécurité sociale se taille la part du lion du budget : il a reçu la somme de Rs 21,2 milliards récemment. Selon les projections démographiques officielles, d’ici 2058, soit dans 40 ans, 30 % de la population auront plus de 60 ans, ce qui représentera le tiers des habitants de l’île.
En se basant sur les chiffres de Statistics Mauritius pour 2018, soit pendant les six premiers mois de l’année, on arrive à calculer le nombre moyen de nouveaux demandeurs mensuellement. Ainsi, nous obtenons une moyenne de 471 nouveaux demandeurs chaque mois. Cette hausse, placée dans le contexte des enjeux économiques de Maurice, donne impérativement lieu à penser à la nécessité d’une réforme de la pension de vieillesse à Maurice.
Tableau 1 – Types de pension, le nombre de bénéficiaires et le montant perçu par mois
Type de pension |
Catégorie |
Nombre de bénéficiaires
|
Montant par mois |
Vieillesse |
60-89 ans
|
204 851
|
Rs 5 810
|
90-99ans
|
3 949 |
Rs 15 810
|
|
100+ ans |
149 |
Rs 20 810
|
|
Souffrant d’un handicap sévère
|
14 524 |
Rs 3 000
|
|
Allocation alimentaire
|
3 288 |
Rs 285
|
|
Income support
|
34 937 |
Rs 285 |
|
Veuve
|
18 693
|
Rs 5 810
|
|
Allocation alimentaire
|
39 |
Rs 285 |
|
Income Support
|
2 301 |
Rs 285 |
|
Invalide
|
28 103 |
Rs 5 810
|
|
Moins de 10 ans
|
2 773
|
Rs 1 400
|
|
10 ans +
|
5 773
|
Rs 1 500
|
|
Carers Allowance
|
6 497
|
Rs 2 500
|
|
Allocation alimentaire
|
388
|
Rs 285
|
|
Income support |
3 715 |
Rs 285
|
|
Orphelin
|
Guardians
|
185
|
Rs 1 000
|
Allocation alimentaire
|
|
Rs 285
|
|
Income Support
|
6 |
Rs 285
|
|
Voluntary Retirement Pension (VRP)
|
Retraité
|
11 694
|
|
Veuve
|
84
|
||
Invalide
|
40
|
||
Inmates Allowance
|
Vieillesse et Invalide |
534 |
Rs 589 022
|
Ces chiffres sont les plus récents publiés dans le Monthly Digest de juin 2018 concernant la Sécurité sociale.
Une pilule amère pour les politiques…
Tôt ou tard, un gouvernement devra prendre le taureau par les cornes pour apporter un changement dans le système de pension à Maurice. Mais une décision dans ce sens, qui cadrerait mieux avec la situation économique du pays, sera difficile à prendre. Ce qui expliquerait que Pravind Jugnauth joue la carte de la prudence. La preuve ? L’absence totale d’une mesure dans ce sens dans le budget 2018-2019, présentée par le Premier ministre en juin dernier. D’autant plus que les élections générales, prévues en principe pour 2019, sont un tournant pour l’alliance Lepep… ce qui explique alors pourquoi les choses sont au point mort !
Nos politiciens savent pertinemment que prendre une décision majeure aura des répercussions dans la course électorale. Flashback en 1995 : le tandem Ramgoolam-Bérenger annonçait en fanfare l’introduction d’une pension universelle. Une annonce payante électoralement, puisque l’alliance rouge-mauve allait remporter les élections générales, avec un 60-0 triomphal, quelques semaines plus tard. Les années vont passer, et on s’arrête un moment en 2004.
Paul Bérenger est aux commandes du pays tandis que Pravind Jugnauth occupe le poste de ministre des Finances. Le pays connait alors une situation d’urgence économique. Le gouvernement MSM-MMM décide d’instaurer le ciblage de la pension en 2004. Une décision qui lui coûtera, selon les observateurs, une victoire électorale en 2005. À l’opposé, en 2014, la pension sera rehaussée à Rs 5 000 : cette mesure fortement populaire a sans doute été cruciale dans la victoire de l’Alliance Lepep.
Tout ceci est pour démontrer qu’une décision de revoir la pension sous toutes ses formes ne sera pas d’actualité avant les prochaines élections. Mais pourtant, en 2016 déjà, Pravind Jugnauth s’interrogeait sur le bien-fondé du système actuel. Il s’intéressait à l’époque à la Basic Retirement Pension, notamment ceux qui touchaient entre Rs 100 000 et Rs 200 000 mensuellement, mais qui recevaient en outre la pension de vieillesse de Rs 5 810.
Les ‘overpayments’ : un corollaire inquiétant de la pension de vieillesse
De 1992 à juin 2017, le ministère de la Sécurité sociale a déboursé jusqu’à Rs 163 milliards en terme de pension à Maurice. Cependant, les chiffres révèlent que Rs 305 millions ont été ‘overpaid’. Cela, sur une période de 25 ans. Ces ‘overpayments’ concernent des gens décédés et ceux qui se sont établis à l’étranger.
Au Parlement récemment, Étienne Sinatambou avait confirmé ce chiffre. Il avait ajouté que de ces Rs 305 millions, Rs 215 millions ont été recouvrées par le gouvernement. Déduction faite, approximativement Rs 91,9 millions ont été ‘overpaid’ sur une période de 25 ans et n’ont jamais été recouvrées par le gouvernement. Cette somme de Rs 91,9 millions concerne quelque 1 903 personnes.
Le ministère de la Sécurité sociale a pris certaines mesures pour tacler ce problème, dont la signature d’un protocole d’accord entre le ministère et l’état civil pour la transmission des renseignements sur les cas de décès, qui sont aujourd’hui mis à jour sur une base quotidienne.
Cependant, dans le rapport de l’Audit 2016/2017, le directeur de l’Audit avance qu’il y a approximativement un sur paiement de Rs 16 396 000 en ce qui concerne les personnes décédées de Rs 17 584 000 par rapport aux personnes qui ont quitté Maurice pour une période de plus de six mois.
Là où le bât blesse, c’est que ces ‘overpayments’ continueront de s’accroître, avec la nombre de demandeurs croissants de la pension de vieillesse.
Que dit la National Pension Act ?
Il existe dans la loi deux dispositifs juridiques concernant la pension à Maurice. Sous la section 35 A (II) de la National Pension Act, l’officier de la Sécurité sociale peut demander un remboursement auprès de la banque où la pension a été déposée, si jamais elle a été déposée dans une banque. Cette disposition légale oblige la banque à procéder à un remboursement.
Deuxièmement, en vertu de la section 45(1) de la NPA, le bénéficiaire a le devoir d’informer le ministère de tout changement de circonstances. Toute violation de cette obligation est punissable de Rs 5 000 et d’un emprisonnement maximal de trois mois.
Les autres pensions de base
Outre la pension de retraite, les pensions dites de base comprennent la pension des veuves, la pension d’invalidité et la pension des orphelins. Ces pensions sont universelles et non-contributives, ce qui veut dire qu’un prestataire qui est a priori éligible doit obligatoirement recevoir une allocation de la Sécurité sociale sur une base mensuelle.
La pension des veuves
Cette pension est payable aux veuves âgées de moins de 60 ans et qui ont été mariées civilement ou religieusement. Montant de la pension : Rs 5 810.
La pension d’invalidité
La pension d’invalidité est payable à des personnes âgées entre 15 et 60 ans et qui ont été certifiés par un panel de médecins du ministère de la Sécurité sociale comme ayant une incapacité d’au moins 60 % pour une période de 12 mois. Montant de la pension : Rs 3 020.
La pension des orphelins
La pension des orphelins s’applique dans le cas où l’enfant a perdu ses deux parents. Elle est payable à partir de 15 ans, jusqu’à 20 ans si l’orphelin étudie à plein temps.
Pour un orphelin âgé de moins de 15 ans et qui n’étudie pas à plein temps, le montant de la pension s’élève à Rs 1673. Pour un orphelin âgé de 3 à 20 ans et faisant des études à plein temps, le montant de la pension s’élève à Rs 3 079.